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après; un article de sa gazette ayant déplu, l'autorité lui défendit d'en continuer la publication. James, qui tenait, avant tout, à l'argent, eut recours à un stratagème pour ne pas suspendre son journal, dont il tirait chaque jour un gain assuré: il le fit paraître sous le nom de son frère, et, pour faire croire à tous à la réalité de cette fiction, il rendit à Benjamin son engagement d'apprenti qui le liait jusqu'à vingt et un ans; mais il prit la précaution de lui faire signer un nouvel engagement secret qui l'enchaînait, sinon en public, du moins devant sa conscience.

Le studieux adolescent consentit à tout pour continuer à faire paraître ses travaux, et aussi dans l'espérance que son frère, touché par le profit que lui rapportait cette gazette, se départirait de sa rigueur envers lui; mais il est des âmes communes et jalouses qui se donnent pour mission d'être les mauvais génies des âmes élevées les exploiter et les abaisser, tel est le but incessant de leur envie. James, humilié de la supériorité déjà éclatante de son frère, l'accablait de la plus rude besogne, dans l'espérance que cette supériorité faiblirait du matin au soir il le forçait à travailler à l'imprimerie, quoiqu'il le vît pâle et défait lorsqu'il avait passé la nuit à écrire pour son journal.

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Un jour, Benjamin, lassé de cette lutte et de cette exploitation, déclara à son frère qu'il voulait sa liberté. James l'appela traître et parjure.

"Je sais bien que je manque à ma parole," répliqua le pauvre garçon, qui avait le cœur droit; "mais vous, James, vous manquez à la justice et à la bonté.”

Et il quitta la maison de son frère pour n'y plus reparaître.

James, furieux, alla se plaindre hautement à son

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père; il chargea Benjamin d'accusations odieuses; il le décria chez tous les imprimeurs de Boston, si bien que l'accusé n'osa plus se montrer. Cependant, la nécessité le pressait. Où s'abriter ? comment se nourrir? Soutenu par la vigueur de son esprit si au-dessus de son âge, il se résolut à faire quelques tentatives, et alla frapper à plusieurs imprimeries. Toutes lui furent fermées.

Désespéré, n'ayant plus pour ressources que quelques monnaies anglaises (en tout, la valeur de cinq francs), il alla s'asseoir sur le rivage de la mer, et, malgré lui, il se prit à pleurer; ce soir-là, il ne songea ni à nager ni à ramer au loin. Comme il se lamentait ainsi, sans regarder les vagues qui mouillaient ses pieds, le capitaine d'un brick, un de ses vieux amis, passa près de lui: Quoi! Benjamin devient paresseux au plaisir ? Benjamin ne nage plus, Benjamin ne chante plus ?" lui dit-il en lui frappant sur l'épaule; puis il ajouta : Benjamin ne veut-il pas, pour se distraire, venir boire un coup à mon brick, qui est en partance demain pour New-York?

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Touché de la bonté du vieux marin, Benjamin lui conta toutes ses peines.

"Eh bien!" lui dit le capitaine après avoir écouté son récit, "si tu m'en croyais, tu n'en ferais ni une ni deux, et tu partirais demain avec moi pour New-York; peut-être y trouveras-tu de l'ouvrage; en tout cas, tu iras jusqu'à Philadelphie, où j'ai un parent imprimeur, qui te recevra comme un fils."

Benjamin avait l'esprit aventureux; il agréa avec joie la proposition du capitaine, et le soir même, il était à son bord.

Favorisés par un beau temps, ils arrivèrent rapide

ment à New-York; mais, n'y ayant pas trouvé d'ouvrage, Benjamin en repartit aussitôt pour Philadelphie, muni d'une lettre du bon capitaine à son parent, l'imprimeur Keirmer. Il trouva une maison hospitalière, un maître intelligent et doux, qui comprit tout ce que valait le noble adolescent, et le traita comme son propre enfant. Benjamin travailla avec ardeur pour prouver sa gratitude, et bientôt il devint le chef de l'imprimerie. Mais un labeur plus élevé, la politique, la science, l'attirait toujours; quand le soir était venu et qu'il se promenait seul dans la campagne de Philadelphie, il se demandait souvent avec tristesse, si quelque voie lui serait enfin ouverte pour accomplir sa destinée.

Un soir, assis sur une hauteur qui dominait la ville, il s'y oublia jusqu'à la nuit. Tout à coup, un orage le surprit, un de ces orages formidables dont ceux des contrées européennes ne sauraient nous donner une idée; la foudre éclata sur un édifice et y mit le feu ; bientôt la flamme s'étendit et dévora le monument. Benjamin accourut, guidé par la sinistre lueur; plusieurs personnes avaient péri; c'était un spectacle navrant. Le jeune savant rentra le cœur brisé, et passa la nuit à méditer, la tête penchée sur sa table de travail : il avait, depuis quelque temps, constaté le pouvoir qu'ont les objets taillés en pointe de déterminer lentement et à distance l'écoulement de l'électricité; il se demanda si on ne pourrait pas faire de ces objets une application utile qui fît descendre ainsi sur la terre l'électricité des nuages; il se dit que, si les éclairs et la foudre étaient des effets de l'électricité, il serait possible de les diriger et de les empêcher de détruire et de ravager. C'est aux réflexions de cette nuit de veille douloureuse qu'on dut plus tard le paratonnerre, dont Benjamin fut l'inventeur.

Cependant, la renommée d'un savant si précoce ne tarda pas à se répandre dans Philadelphie. Sir William Keith, gouverneur de la province, qui était un homme remarquable, voulut le voir et l'interroger; il comprit ce que deviendrait dans l'avenir ce jeune et hardi génie. Il songea à l'attacher à la mère patrie par les liens de la reconnaissance et de la gloire.

"Voulez-vous aller à Londres ? lui dit-il; "vous partirez sur un vaisseau de l'État, vous y serez défrayé par moi, vous connaîtrez là-bas les littérateurs et les savants, vous serez des leurs, mon jeune ami; puis vous reviendrez à Philadelphie, et vous répandrez les trésors de votre esprit dans le nouveau monde.”

Benjamin accepta.

De ce jour, il se sentait émancipé; d'adolescent, il devenait homme! Mais son premier bienfaiteur, en lui parlant ainsi, ne se doutait guère que son protégé serait un jour le fameux Benjamin Franklin, un des fondateurs de la république des États-Unis !

LOUISE COLET.

SOUFFRANCES D'HIVER,

Le souffle de l'automne a jauni les vallées;
Leurs feuillages errants dans les sombres allées
Sur le gazon flétri retombent sans couleurs ;
Adieu l'éclat des cieux ! le bel azur s'altère,
Et le soupir charmant de l'oiseau solitaire
A disparu comme les fleurs.

L'aquilon seul gémit dans les campagnes nues:
Tout se voile; les cieux, vaste océan de nues,
Ne reflètent sur nous qu'un jour terne et changeant ;
L'orage s'est levé; l'hiver s'avance et gronde,
L'hiver, saison des jeux pour les riches du monde,
Saison des pleurs pour l'indigent!

Oh! le vent déchaîné sème enfin les tempêtes,
Heureux du monde ! Il passe et respecte vos fêtes;
L'ivresse du plaisir embellit vos instants,
Et, malgré les hivers, vous respirez encore,
Dans les tardives fleurs que vos soins font éclore,
Un dernier souffle du printemps.

Et le bal recommence, et la beauté s'oublie
Aux suaves concerts de la molle Italie,

A ces accords touchants de grâce et de langueur;
Et bercée à ces bruits, qu'un doux écho prolonge,
Votre âme à chaque instant traverse comme un songe
Tous les prestiges du bonheur.

Mais la douleur aussi veille autour de sa proie.
Soulevez, soulevez ces longs rideaux de soie,
Qui défendent vos nuits des lueurs du matin !
Hélas! à votre seuil que verrez-vous paraître ?
Quelque femme éplorée, ou bien encor peut-être
Un vieillard tout pâle de faim.

Oh! vous ne savez pas ce qu'on souffre à toute heure
Sous ces toits indigents, frêle et triste demeure,
Où l'aquilon pénètre, et que rien ne défend;
Non, vous ne savez pas ce que souffre une mère
Qui, glacée elle-même au fond de sa chaumière,
Ne peut réchauffer son enfant !

Non, vous n'avez pas vu ces fantômes livides
Sous vos balcons dorés tendre des mains avides;

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