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"Oh! mon cher fils," lui dit sa mère en le pressant sur son cœur; "je t'amène ton père qui t'a pardonné, et qui est bien fier de toi !"

LOUISE COLET.

37.

NE TOUCHEZ PAS A L'ENFANT.

La foi, la loyauté, la pudeur, l'innocence,

Sont, dans le cœur humain, comme une exquise essence; Que par le moindre choc le flacon soit fêlé,

Le précieux parfum est bien vite envolé !

Oh! laissons à l'enfant sa candeur jeune et fraîche,
Cette fleur qui veloute ou la prune ou la pêche,

Ce duvet délicat, virginité du fruit,

Qu'on ne saurait frôler sans que tout soit détruit;

Ce glacis de vapeur de la grappe dorée,

Cet éclat de pastel, poussière colorée,

Voile mince et subtil, à s'en aller tout prêt,
Réseau fin et ténu, qu'un souffle enlèverait,
Enveloppe si frêle et si bien nuancée

Qu'on tremble d'y toucher, même de la pensée.

AMÉDÉE POMMIER.

38.

HANS CHRISTIAN ANDERSEN.

Parmi les écrivains d'un ordre secondaire qui ont à leur tour attiré l'attention, il en est un qui est venu luimême recueillir deux fois en France les témoignages d'une sympathie qu'il devait éveiller à la fois par son affectueuse et honnête nature, par le caractère original

de ses œuvres, par les curieuses et intéressantes péripéties de son existence: c'est Andersen. Il a écrit plusieurs romans qui ont eu une sorte de succès populaire en Allemagne, en Angleterre, en Russie; mais le plus intéressant de ces romans, c'est sa biographie même. C'est cette vie d'un malheureux enfant né, comme Hogg, dans une des classes les plus obscures de la société, animé, dès son bas âge, par le secret instinct et la vague ambition d'une vocation plus élevée, et luttant, avec un courage opiniâtre, avec une patience infatigable, contre la misère qui l'écrase, contre les entraves qui l'arrêtent sur son chemin : légende de plus à ajouter au martyrologe des poètes; page à mettre dans un recueil d'histoires instructives, à côté de la biographie du petit pâtre lorrain devenu le savant Duval.

En l'année 1804, un jeune cordonnier épousait à Odensée, en Fionie, une brave et bonne fille, qui ne lui apportait en dot que ses qualités de cœur. Le mariage, comme on peut le croire, se célébra fort modestement; les époux n'avaient pour toute ressource que le fruit de leur labeur journalier. Le mari façonna lui-même son lit avec des planches achetées à l'encan, et qui avaient servi au catafalque d'un gentilhomme du pays. Ce fut sur cette couche funèbre que, le 2 avril 1805, naquit notre poète Hans Christian Andersen. Le jeune couple n'avait pour demeure qu'une chambre obscure; mais l'ingénieux cordonnier avait tapissé les murailles de cette chambre d'une quantité d'images recueillies par hasard çà et là. Puis il aimait les livres, et il était parvenu à se composer une petite bibliothèque. Il avait eu dans son enfance l'espoir de faire ses études; des malheurs de famille l'obligèrent à entrer comme

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apprenti dans un atelier, et jamais il ne se consola de n'avoir pu suivre ses projets.

"Un jour," dit Andersen, "j'étais avec mon père sur le seuil de notre porte; il vit un étudiant qui, ses livres sous le bras, s'en allait au gymnase. Il murmura, en essuyant une larme dans ses yeux: Je devais aussi aller au gymnase." Mais il avait une intelligence audessus de son état et une imagination qui se complaisait aux fictions du poète. Le soir, pour se reposer du travail de la journée, il lisait à haute voix les comédies de Holberg, ou les contes des Mille et une Nuits. Le dimanche, il façonnait pour son fils des marionnettes; il lui érigeait sur une table un théâtre où l'enfant faisait manœuvrer les figurines en bois qui, pour lui, représentaient les principaux personnages du comique Holberg, ou les califes de Bagdad et les sultanes de l'Orient. Tels furent les premiers éléments d'éducation de celui qui devait un jour aussi créer ses personnages, et porter sur le théâtre royal de Copenhague ses conceptions dramatiques. En été, le jeune artisan s'en allait, les jours de fête, hors des murs de la ville, et se promenait, rêveur et silencieux, à travers champs, tandis que son fils courait gaiement le long des sentiers et que sa femme cueillait, dans les haies, des branches vertes dont elle décorait leur modeste asile. En 1814, le passage d'un régiment danois, qui s'avançait vers le Holstein pour se joindre aux troupes françaises, éveilla tout à coup dans le cœur inquiet de l'ouvrier une ardeur irrésistible. Il adorait Napoléon, il voulait combattre pour lui, se signaler par son courage, rentrer à Odensée avec l'épaulette d'officier. Ni les supplications, ni les terreurs de sa femme ne purent le retenir. Il partit et revint peu de temps après. La paix avait mis fin à

cette expédition guerrière. Mais à peine de retour dans sa demeure, il tomba malade et mourut. Christian resta seul avec sa mère et une vieille grand'mère qui, de temps à autre, venait le voir et lui disait des contes de sorciers. La pauvre veuve n'avait plus de ressource que dans son propre travail. Elle passait une partie de la journée tantôt dans une maison et tantôt dans une autre, chez des gens qui l'employaient à laver leur linge. Pendant ce temps, Christian demeurait au logis, disposant ses marionnettes, lisant et relisant les quelques livres que lui avait laissés son père. On le fit entrer à l'école élémentaire gratuite, mais il était d'une nature timide qui l'empêchait de s'associer à ses condisciples. I devint l'objet de leurs plaisanteries, quelquefois de leurs mauvais traitements. Leurs jeux bruyants l'effrayaient. Dès que l'heure de la classe était finie, il se hâtait de fuir la troupe turbulente et se retirait comme un oiseau effarouché dans son gîte. Cependant, il arrivait à l'âge où il devait aussi songer à gagner sa vie. Sa mère, le voyant constamment occupé à habiller des marionnettes, jugea qu'il avait une vocation décidée pour le métier de tailleur, et voulut le mettre en apprentissage. Mais ses lectures romanesques lui avaient donné d'autres idées. Il ne voulait point exercer l'obscure profession d'artisan, il voulait devenir un homme célèbre. Souvent, le soir, dans les longues veillées d'hiver, il avait chanté devant sa mère, son aïeule et quelques voisines, des refrains populaires, et les bonnes femmes vantaient la douceur de sa voix claire et fraîche comme celle d'une jeune fille. Souvent aussi, il avait déclamé, devant le même auditoire, des scènes de comédie, et l'on admirait son accent solennel, son geste pompeux. De temps à autre, une troupe

d'acteurs ambulants s'arrêtait à Odensée; Christian avait gagné les bonnes grâces d'un des gardiens du théâtre qui lui donnait des billets gratis. Quand il voyait ces rois et ces reines revêtus de leur robe de pourpre, portant si fièrement le manteau sur l'épaule et la couronne de clinquant sur la tête, il se disait, que nulle existence au monde ne valait celle de l'acteur; puis, quand il se rappelait les succès obtenus sous le toit maternel par son chant, par sa déclamation, il se disait que la nature l'avait formé exprès pour porter aussi sur la scène l'épée de chevalier ou le diadème royal, pour recueillir ces applaudissements qui faisaient palpiter son cœur. Être acteur, c'était là son ambition suprême, son rêve idéal. Sa mère n'avait aucune prévention contre une telle carrière; seulement, elle s'effrayait de voir son fils porter sa pensée si haut, lui, qu'elle s'était toujours figuré assis sur un banc de tailleur, des ciseaux à la main, exerçant son intelligence dans la façon d'une redingote et les ornements d'un gilet. Bien des raisons furent employées par la sollicitude maternelle pour détourner l'enfant aventureux de ses projets gigantesques; mais il persistait dans sa résolution, et pour l'accomplir, il amassait, pièce par pièce, skelling par skelling, toute la menue monnaie que des personnes charitables lui donnaient, tantôt comme une aumône et tantôt pour le remercier d'un de ses chants. Déjà il avait, dans sa jeune audace, dépassé la gloire des acteurs d'Odensée; il aspirait à l'éclat d'un théâtre plus grand, du théâtre royal de Copenhague. Un jour, en comptant ses richesses, il se trouva possesseur d'une somme de treize rigsdalers (environ 35 francs). Treize rigsdalers! Avec une pareille somme que ne pouvait-on pas entreprendre? Si loin qu'on

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