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"Je les rendrai tous heureux en souvenir de lui," dit-il à sa cousine Mary qui est sa confidente, et Mary se garde bien de le décourager.

DE WITT, née GUIZOT.

28.

LAISSEZ VENIR A MOI LES PETITS ENFANTS.

ST. MARC, X. 14

Laissez !-Tous ces enfants sont bien là.-Qui vous dit Que la bulle d'azur, que mon souffle agrandit,

A leur souffle indiscret s'écroule ?

[cris,

Qui vous dit que leurs voix, leurs pas, leurs jeux, leurs Effarouchent la muse et chassent les Péris ?...

Venez, enfants, venez en foule !

Venez autour de moi; riez, chantez, courez !
Votre œil me jettera quelques rayons dorés,
Votre voix charmera mes heures.

C'est la seule en ce monde, où rien ne nous sourit,
Qui vienne du dehors sans troubler dans l'esprit
Le chœur des voix intérieures!

Fâcheux qui les vouliez écarter 1-Croyez-vous
Que notre cœur n'est pas plus serein et plus doux
Au sortir de leurs jeunes rondes ?
Croyez-vous que j'ai peur quand je vois, au milieu
De mes rêves rougis ou de sang ou de feu,
Passer toutes ces têtes blondes?

La vie est-elle donc si charmante à vos yeux,
Qu'il faille préférer à tout ce bruit joyeux
Une maison vide et muette?

N'ôtez pas, la pitié même vous le défend,

Un

rayon de soleil, un sourire d'enfant

Au ciel sombre, au cœur de poète !

"Mais ils s'effaceront à leurs bruyants ébats, Ces mots sacrés que dit une muse tout bas,

Ces chants purs où l'âme se noie ?..." Et que m'importe à moi, muse, chants, vanité, Votre gloire perdue et l'immortalité,

Si j'y gagne une heure de joie !

La belle ambition et le rare destin!

Chanter! toujours chanter pour un écho lointain !
Pour un vain bruit qui passe et tombe !
Vivre abreuvé de fiel, d'amertume et d'ennuis!
Expier dans ses jours les rêves de ses nuits!
Faire un avenir à sa tombe!

Oh! que j'aime bien mieux ma joie et mon plaisir, Et toute ma famille avec tout mon loisir,

Dût la gloire ingrate et frivole,

Dussent mes vers, troublés de ces ris familiers,
S'enfuir, comme devant un essaim d'écoliers
Une troupe d'oiseaux s'envole!

Mais non.

Au milieu d'eux rien ne s'évanouit.

L'orientale d'or plus riche épanouit

Ses fleurs peintes et ciselées ;

La ballade est plus fraîche, et, dans le ciel grondant,
L'ode ne pousse pas d'un souffle moins ardent
Le groupe des strophes ailées!

Je les vois reverdir dans leurs jeux éclatants,
Mes hymnes parfumés comme un chant de printemps
O vous, dont l'âme est épuisée,

O mes amis ! l'enfance aux riantes couleurs
Donne la poésie à nos vers, comme aux fleurs
L'aurore donne la rosée !

Venez, enfants!-A vous jardins, cours, escaliers ! Ébranlez et planchers, et plafonds, et piliers!

Que le jour s'achève ou renaisse,

Courez et bourdonnez comme l'abeille aux champs !
Ma joie et mon bonheur et mon âme et mes chants
Iront où vous irez, jeunesse !

Il est pour les cœurs sourds aux vulgaires clameurs
D'harmonieuses voix, des accords, des rumeurs,
Qu'on n'entend que dans les retraites,

Notes d'un grand concert interrompu souvent,
Vents, flots, feuilles des bois, bruits dont l'âme en rêvant
Se fait des musiques secrètes !

Moi, quel que soit le monde, et l'homme, et l'avenir,
Soit qu'il faille oublier ou se ressouvenir,

Que Dieu m'afflige ou me console,

Je ne veux habiter la cité des vivants

Que dans une maison qu'une rumeur d'enfants
Fasse toujours vivante et folle.

VICTOR HUGO.

29.

LATUDE.

Henri Masers de Latude naquit, en 1725, au château de Craisich, près de Montagnac, en Languedoc. Son père, le marquis de Latude, était officier supérieur. Le jeune Latude fut destiné au génie militaire. Pendant qu'il étudiait à Paris, en 1749, à l'âge de vingt-quatre ans, il eut la malheureuse idée de recourir à une supercherie pour attirer sur lui l'attention et la protection de Mme. de Pompadour. Il mit à la poste une petite boîte de carton, contenant une poudre insignifiante et portant l'adresse de la marquise, puis alla, à Versailles, lui déclarer, que deux individus voulaient l'empoisonner,

qu'il avait surpris leur secret et venait l'en prévenir. A l'expression d'une vive reconnaissance succéda bientôt chez la marquise le soupçon d'une fraude; elle demanda au jeune homme quelques lignes de son écriture, et la vérité fut bientôt découverte par l'identité de cette écriture et de celle de l'adresse que portait la boîte. Quelques jours après, Latudę était à la Bastille.

Au bout de quatre mois, on le transféra au château de Vincennes. Il avait tout lieu de se croire prisonnier pour la vie.

66

"Mon courage ne se soutint," dit-il dans ses Mémoires, que par l'espoir que je pourrais un jour me procurer ma liberté; je conçus que je ne devais l'attendre que de moi-même; dès lors, je ne m'occupai que des moyens d'y parvenir. Je voyais tous les jours un ecclésiastique âgé se promener dans le jardin qui fait partie du château. L'abbé de Saint-Sauveur, fils d'un ancien lieutenant du roi à Vincennes, avait la liberté de venir causer avec lui dans ce jardin, et il en profitait souvent. Notre janséniste, d'ailleurs, enseignait à lire et à écrire aux enfants de plusieurs officiers du château; l'abbé et les enfants allaient et venaient sans qu'on y fît beaucoup d'attention. L'heure à laquelle se faisaient ces promenades était à peu près celle à laquelle on me menait dans un jardin voisin, qui est aussi dans l'enclos du château. M. Berryer (le lieutenant de police) avait ordonné qu'on m'y laissât deux heures par jour, pour prendre l'air et rétablir ma santé. Deux porte-clefs venaient me prendre et me conduisaient; quelquefois, le plus âgé allait m'attendre au jardin, et le plus jeune venait seul ouvrir les portes de ma prison: je l'habituai pendant quelque temps à me voir descendre l'escalier plus vite que lui, et, sans l'attendre, je rejoignais son camarade;

arrivé au jardin, il me trouvait toujours avec ce dernier.

Un jour, résolu, à quelque prix que ce fût, de m'échapper, il eut à peine ouvert la porte de ma chambre que je m'élançai sur l'escalier; j'étais en bas de la tour avant qu'il eût pensé à me suivre; je fermai au verrou une porte qui s'y trouve, pour rompre toute communication entre les deux porte-clefs pendant que j'exécuterais mon projet. Il y avait quatre sentinelles à tromper la première était à une porte qui conduisait hors du donjon, et qui était toujours fermée; je frappe, la sentinelle ouvre; je demande l'abbé de Saint-Sauveur avec vivacité Depuis deux heures, dis-je, notre prêtre l'attend au jardin; je cours après lui de tous côtés sans pouvoir le rencontrer... En disant cela, je continuais toujours à marcher avec la même vitesse. A l'extrémité de la voûte, qui est au-dessous de l'horloge, je trouve une seconde sentinelle; je lui demande, s'il y avait longtemps que l'abbé de Saint-Sauveur était sorti; elle me répond, qu'elle n'en sait rien, et me laisse passer; même question à la troisième, qui était de l'autre côté du pont-levis, et qui m'assure qu'elle ne l'a pas vu: Je l'aurai bientôt trouvé! m'écriai-je. Transporté de joie, je cours, je saute comme un enfant; j'arrive dans cet état devant une quatrième sentinelle, qui, bien éloigné de me soupçonner un prisonnier, ne trouve pas plus surprenant que les autres de me voir courir après l'abbé de Saint-Sauveur ; je franchis le seuil de la porte, je m'élance, je me dérobe à leurs regards; je suis libre.

Je courus à travers les champs et les vignes, en m'écartant le plus que je 'pouvais du grand chemin ; je vins m'enfermer à Paris, dans un hôtel garni, et jouir

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