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SUR

L'HISTOIRE.

ARTICLE

PREMIER.

Qu'il faut fe défier de prefque tous les monumens

IL

anciens.

y a plus de quarante ans que l'amour de la vérité, & le dégoût qu'infpirent tant d'hiftoriens. modernes, inspirèrent à une dame d'un grand nom, & d'un efprit fupérieur à ce nom, l'envie d'étudier avec nous ce qui méritait le plus d'être obfervé dans le tableau général du monde ; tableau fi fouvent défiguré.

Cette dame célébre par fes connaissances fingulières en mathématiques, ne pouvait fouffrir les fables que le temps a confacrées, qu'il eft aifé de répéter, qui gâtent l'efprit & qui l'énervent.

Elle était étonnée de ce nombre prodigieux de fyftèmes fur l'ancienne chronologie, différens entre eux d'environ mille années. Elle l'était encore davantage que l'hiftoire confiftât en récits de batailles fans aucune connaissance de la tactique, excepté dans Xénophon & dans Polybe; qu'on parlât si souvent de prodiges, & qu'on eût fi peu de lumières fur

l'hiftoire naturelle; que chaque auteur regardât sa fecte comme la feule vraie, & calomniât toutes les autres. Elle voulait connaître le génie, les mœurs, les lois, les préjugés, les cultes, les arts; & elle trouvait qu'en l'année de la création du monde trois mille deux cent, ou trois mille neuf cent, il n'importe, un roi inconnu avait défait un roi plus inconnu encore, près d'une ville dont la fituation était entièrement ignorée.

Plufieurs favans recherchaient en quel temps Europe fut enlevée en Phénicie par Jupiter; & ils trouvaient que c'était jufte treize cents ans avant notre ère vulgaire. D'autres réfutaient cinquante-neuf opinions fur le jour de la naiffance de Romulus, fils du dieu Mars & de la veftale Rhéa-Sylvia. Ils établiffaient un foixantième système de chronologie. Nous en fîmes un foixante & unième ; c'était de rire de tous les contes fur lefquels on difputait férieufement depuis tant de fiècles.

En vain nous trouvions par toutes les médailles des veftiges d'anciennes fêtes célébrées en l'honneur des fables; des temples érigés en leur mémoire ; elles n'en étaient pas moins fables. La fête des lupercales attefta le 15 février, pendant neuf cents ans, non-feulement le prodige de la naiffance de Romulus & de Rémus, mais encore l'aventure de Faunus qui prit Hercule pour Omphale dont il était amoureux. Mille événemens étaient ainfi confacrés en Europe & en Afie. Les amateurs du merveilleux disaient Il faut bien que ces faits foient vrais, puifque tant de monumens en font la preuve. Et nous difions: 11 faut bien qu'ils foient faux, puisque

le vulgaire les a crus. Une fable a quelque cours dans une génération; elle s'établit dans la feconde; elle devient respectable dans la troisième ; la quatrième lui élève des temples. Il n'y avait pas dans toute l'antiquité profane un feul temple, une seule fête, un feul collège de prêtres, un feul ufage qui ne fût fondé fur une fottife. Tel fut le genrehumain ; & c'eft fous ce point de vue que nous l'envifageâmes.

Quelle pouvait être l'origine du conte d'Hérodote, que le foleil, en onze cents années, s'était couché deux fois à l'Orient? où Licophron avait-il pris qu'Hercule, embarqué fur le détroit de Calpé dans fon gobelet, fut avalé par une baleine; qu'il resta trois jours & trois nuits dans le ventre de ce poiffon, & qu'il fit une belle ode dès qu'il fut fur le rivage?

Nous ne trouvons d'autre raifon de tous ces contes que dans la faibleffe de l'efprit humain, dans le goût du merveilleux, dans le penchant à l'imitation, dans l'envie de furpaffer fes voifins. Un roi égyptien fe fait enfevelir dans une petite pyramide de douze à quinze pieds; un autre veut être placé dans une pyramide de cent; un troisième vajufqu'à cinq ou fix cents. Un de tes rois eft allé dans les pays orientaux par mer ; un des miens eft allé dans le foleil, & a éclairé le monde pendant un jour. Tu bâtis un temple à un bouf; je vais en bâtir un pour un crocodile. Il y a eu dans ton pays des géans qui étaient les enfans des génies & des fées: nous en aurons qui efcaladeront le ciel & qui se battront à coups de montagnes.

Il était bien plus aifé, & même plus profitable

d'imaginer & de copier tous ces contes que d'étudier les mathématiques. Car avec des fables on gouvernait les hommes ; & les fages furent presque toujours méprifés & écrafés par les puiffans. On payait un aftrologue, & on négligeait un géomètre. Cependant il y eut par-tout quelques fages qui firent des chofes utiles ; & c'était-là ce que la perfonne illuftre dont nous parlons voulait connaître.

L'hiftoire univerfelle anglaise, plus volumineufe que le difcours de l'éloquent Boffuet n'eft court & refferré, n'avait point encore paru. Les favans qui travaillèrent depuis avec un juif & deux presbytériens à ce grand ouvrage, eurent un but tout différent du nôtre. Ils voulaient prouver que là· partie du mont Ararat, fur laquelle l'arche de Noé s'arrêta, était à l'orient de la plaine de Sénaar, ou Shinaar, ou Seniar; que la tour de Babel n'avait point été bâtie à mauvaise intention; qu'elle n'avait qu'une lieue & un quart de hauteur, & non pas cent trente lieues, comme des exagérateurs l'avaient dit; que la confufion des langues à Babel produifit dans le monde les effets les plus heureux & les plus admirables : ce font leurs propres paroles. Ils examinaient avec attention lequel avait le mieux calculé, ou du favant Pétau, qui comptait fix cents vingt-trois milliars fix cents douze millions d'hommes fur la terre, environ trois fiècles après le déluge de Noé, ou du favant Cumberland, qui n'en comptait que trois milliars trois cents trente-trois mille. Ils recherchaient fi Ufaphed roi d'Egypte était fils ou neveu du roi Veneph. Ils ne favaient pourquoi Cayomarat, ou Cayoumaras ayant été le premier roi de Perfe, cependant fon

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