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marginale de M. Huet; & cette note dit qu'on avait vu le manufcrit chez Mme d'Aiguillon nièce du cardinal. Ne voilà-t-il pas de belles preuves? Oui, je crois fans peine que tous ceux qui s'intéresfaient à la mémoire du cardinal, voulaient avoir un manufcrit qui portait fon nom, & que l'auteur voulait accréditer par ce nom même; & de-là je conclus que ce manuscrit était manifeftement fuppofé puifque de tous les parens, de tous les domeftiques, de tous les amis de ce miniftre, aucun n'a jamais pris la moindre précaution pour établir l'authenticité du livre.

X X V I.

QUE la curiofité humaine se fatigue maintenant à chercher le nom du faussaire, je ne perdrai pas mon temps dans ce travail. Qu'importe le nom du fourbe, pourvu que la fourberie foit découverte ? Qu'importe que Courtilz, ou un autre, ait forgé le teftament de Mazarin, de Colbert & de Louvois? Qu'importe que Stratman, ou Chevremont ait pris infolemment le nom de Charles V duc de Lorraine? Mérite-t-on d'être connu pour avoir fait un mauvais livre ? Que gagnerait-on à connaître les auteurs de toutes les plates calomnies, de toutes les critiques impertinentes dont le public eft inondé? Il faut laiffer dans l'oubli les auteurs qui fe cachent fous un grand nom, comme ceux qui attaquent tous les jours ce que nous avons de meilleur, qui louent ce que nous avons de plus mauvais, & qui font de la noble profeffion des lettres un métier auffi lâche & auffi méprifable qu'eux-mêmes.

DOUTES NOUVEAUX

Sur le teftament attribué au cardinal de Richelieu.

LORSQUE M. de Foncemagne, en 1750, écrivit pour foutenir l'authenticité du Teftament politique, voici ce qu'on lui répondit, & ce qui ne fut pas imprimé, parce que l'auteur de cette réponse voyagea hors de fa patrie.

UN académicien connu de fes amis par la douceur de fes mœurs, & du public par fes lumières, a écrit contre mon fentiment.

Son ouvrage eft plein de cette fageffe & de cette politeffe que fon titre annonce. Tout homme doit fe défier de fon opinion, lorfqu'il eft repris par un tel critique.

Mon illuftre adverfaire emploie toute la fagacité de fon efprit à prouver que ce teftament politique, attribué au cardinal de Richelieu, eft en effet de ce grand ministre. On voit (ce qui est assez commun) qu'il tâche de croire, & qu'il doute. Il a trop d'efprit & trop de raifon pour ne pas apercevoir les contradictions, les erreurs, les anachronismes dont ce livre eft rempli: it fait fans doute mieux que moi que les grands-hommes ne difent jamais d'inepties. Voilà pourquoi il avoue, après s'être tourné de tous les côtés, que le cardinal de Richelieu n'a dicté ni écrit tout l'ouvrage, & qu'il en a confié la rédaction à des ouvriers fubalternes. Je n'en veux pas davantage. Avouer qu'un teftament politique destiné par un

premier miniftre à un roi, un ouvrage qui devait être fi fecret, eft cependant de plufieurs mains, c'est avouer qu'il n'eft pas du premier miniftre.

Si j'avais l'honneur d'entretenir ce fage adverfaire qui fait douter, je lui dirais : Avouez qu'au fond vous ne croyez pas qu'il y ait un mot du cardinal dans ce teftament; penfez-vous de bonne foi que le chevalier Walpole fe fût avifé d'écrire un catéchisme de politique pour le roi George I? l'idée feule vous en paraît ridicule. Examinez la fituation où était le cardinal de Richelieu avec Louis XIII, & vous conviendrez peut-être que la feule pensée de faire un pareil livre pour l'ufage de ce monarque était cent fois plus déplacée.

Songez que Louis XIII toujours malade était menacé d'une mort prochaine; fongez que le cardinal de Richelieu penfait à faire exclure de la régence le frère unique du roi; fongez au caractère d'un ambitieux; & voyez s'il eft dans fon cœur de s'occuper de principes d'éducation, de parler des vitres de la fainte chapelle de Paris, des trois fentences requifes pour punir les clercs; d'intituler un chapitre, du règne de Dieu; de recommander la chafteté, & à qui ? à un monarque infirme âgé de quarante ans, auquel on espère furvivre car en 1639, & au commencement de 1640, le cardinal de Richelieu fe portait bien encore, & vous favez jufqu'où il pouffa fes efpérances.

Je ne veux que cette feule raison. Le testament fût-il auffi bien fait qu'il l'eft mal; fût-il en effet cc qu'il n'eft point du tout, (un vrai testament politique) fût-il un développement fage & profond

de la conduite que Louis XIII devait tenir avec toutes les puiffances de l'Europe, avec fes alliés & fes ennemis, dans la crife la plus violente, avec fa femme, avec fon frère, avec les princes de fon fang, & fes généraux & fes miniftres; en un mot l'ouvrage fût-il digne du cardinal de Richelieu, j'oferais croire encore qu'il n'en eft point l'auteur. Je vous dirais qu'il n'eft pas dans la vraisemblance qu'Agrippa faffe un tel teftament politique pour Augufte, ni Séjan pour Tibère, ni la Trimouille pour Charles VII, ni George d'Amboife pour Louis XII, ni Volfey pour Henri VIII, ni Buckingham pour Jacques I, ni Olivares pour Philippe IV, ni enfin Richelieu Louis XIII. pour Un miniftre dit à fon maître de vive voix tout ce qu'il croit important, & furtout il ne fait point de testament pour lui dire des choses vagues, inutiles & fauffes.

Scilicet is magnis labor eft, ea cura potentes

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Ces fortes de livres font d'ordinaire le partage des politiques oififs. Quand le duc de Sulli dans fa retraite fit composer ses mémoires par fes fecrétaires, il ne donna point de leçons d'enfans à Louis XIII.

Vous avez beau employer toutes les reffources de votre efprit, vous avez beau recueillir quelques maximes éparfes dans le teftament politique pour tâcher de les faire regarder comme des émanations de l'ame du cardinal de Richelieu.

Eh, Monfieur, vous favez mieux que moi que Balzac, Sirmond, Chapelain, Silhon, Sérifi en ont débité, dix fois davantage. Depuis quand les lieuxcommuns font-ils un fi grand mérite? ne trouve-t-on

pas

pas des maximes par-tout? J'ouvre le prétendu teftament de Louvois dont Courtilz eft l'auteur; j'y vois : L'exemple tient très-fouvent lieu de raison. Il eft de la prudence de faire place au torrent, il perd fa rapidité dans fa courfe. Qui veut s'élever trop haut attire l'envie de fes égaux & la haine de fes fupérieurs. Il y en a cent de cette efpèce. On en trouve dans le teftament ridicule du cardinal Albéroni, & dans celui du maréchal de Belle-Ifle. Je fuppofe que quelques-unes des maximes & des anecdotes qui font dans le livre attribué au cardinal, aient été en effet recueillies de fa bouche; s'enfuivra-t-il qu'on doive lui attribuer l'ouvrage? faut-il d'ailleurs de fi grands efforts de génie pour rappeler quelques petites anecdotes, quelques circonftances de la vie privée d'un prince, d'un miniftre, & pour favoir les appliquer? n'eft-ce pas un artifice commun pratiqué non-feulement par tous ceux qui fe font avifés de forger des teftamens politiques, mais par les auteurs de tous les faux mémoires dont nous fommes inondés?

Vous avez déterré comme moi un miférable manufcrit plein d'antithefes & d'hyperboles, digne du pédant Granger, intitulé Teftamentum politicum. Il paraît que cette rapfodie pouvait annoncer à toute force un ouvrage plus étendu, & de-là vous inférez que le cardinal de Richelieu pourrait bien avoir part à cet ouvrage plus étendu, & que c'eft fon teftament politique! A quoi eft-on réduit en tout genre, quand on veut prouver ce qui eft improbable?

Nous pouvons, Monfieur, mettre au rang des menfonges imprimés le petit traité du capucin Jofeph, de l'unité du miniftre, présenté à Louis XIII. Mélanges hift. Tome II.

T

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