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de royaumes & de républiques, qui a étendu l'efprit humain en étendant les connaiffances; c'est par ce même efprit qui fe communique de proche en proche, que l'on s'eft appliqué plus que jamais à l'agriculture, & que les fages ont pensé à rendre la terre plus fertile, tandis que les ambitieux l'enfanglantaient. Enfin, il eft à croire que la raifon & l'induftrie feront toujours de nouveaux progrès, que les arts utiles prendront des accroiffemens, que parmi les maux qui ont affligé les hommes, les préjugés, qui ne font pas leur moindre fléau difparaîtront peu à peu chez tous ceux qui font à la tête des nations ; & que la philofophie par-tout répandue confolera un peu la nature humaine des calamités qu'elle éprouvera dans tous les temps.

C'est dans cette vue & dans cette espérance qu'on a donné au public l'Effai fur les mœurs & l'efprit des nations. L'humanité l'a dicté & la vérité a tenu la plume. Des hommes qu'on ne peut regarder que comme les ennemis de la fociété, ont accufé le peintre de cet immenfe tableau d'avoir peint les crimes, & furtout les crimes de religion, avec des couleurs trop fombres, d'avoir rendu le fanatifme exécrable & la fuperftition ridicule.

L'auteur n'a peut-être à fe reprocher que de n'en avoir pas affez dit, & les plaintes mêmes de ces fanatiques prouvent combien cette hiftoire était nécessaire. On voit qu'il y a encore de ces malheureux attaqués de cette maladie de l'ame, & qui craignent de guérir.

Nous allons répondre à quelques-unes de leurs objections.

EXAMEN DE QUELQUES OBJECTIONS Contre plufieurs faits rapportés dans l' Effai fur les mœurs & l'esprit des nations.

PREMIERE

REMARQUE.

Critiques qui révoltent un fiècle auffi éclairé que le nôtre.

IL y a toujours des barbares dans les nations les plus polies & dans les temps les plus éclairés ; il s'en eft trouvé un qui a fait un livre affez confidérable, muni d'approbation & de privilége, pour foutenir la vérité de la poffeffion des religieufes de Loudun. Un autre infenfé vient d'écrire que la St Barthelemi n'avait point été préméditée; il en excufe les fureurs; il célèbre les cruautés exercées contre les Albigeois. Le fupplice de Jean Hus & de Jérôme de Prague lui paraît jufte. Mais cet excès de démence fert même à prouver ce qu'on dit dans cette histoire, que la raison humaine s'eft perfectionnée de nos jours chez les hommes qui réfléchiffent; car il y a cent ans que de tels auteurs auraient pu être regardés comme pieux & zélés, aujourd'hui ils infpirent le mépris & l'horreur.

DEUXIE ME

REMARQUE.

Examen de la donation de Pepin.

Il y a plufieurs points d'hiftoire contestés furtout dans le moyen âge; qu'a-t-on pu faire de mieux que de prendre le parti le plus raisonnable?

Par exemple, Eginhard, secrétaire de Charlemagne, rapporte que Pepin offrit l'exarchat à St Pierre; mais Charlemagne, dans fon testament, fait des préfens à fes villes de Rome & de Ravenne; donc, puifque Rome & Ravenne étaient fes villes, le pape n'en était pas fouverain; donc il ne faut entendre par ces mots, il offrit à St Pierre, qu'une cérémonie de religion, une oblation pieufe, qui 'd'ailleurs ne pouvait conférer aucun droit, puisque Pépin n'en avait aucun fur l'exarchat.

Devant quel tribunal de justice pourrait-on dire, cela est à moi, car je le tiens de celui à qui il n'appartenait pas ? Ce n'eft certainement ni devant le tribunal des hommes, ni devant celui de DIEU. Après tout c'eft une dispute bien vaine, car ce n'est pas fur cette donation, dont le titre original n'a jamais paru, que la fouveraineté de Rome & de Ravenne eft fondée : la conceffion de Rodolphe de Habsbourg eft la feule qu'on montre à Rome, & c'eft la plus avantageufe.

TROISIEME

REMARQUE.

Des rois bigames.

UN libellifte, auffi mal inftruit que mal intentionné, prétend que les rois Clotaire, Gontran, Cherebert, Sigebert, Chilpéric n'avaient pas plus d'une femme à la fois. Peut-il ignorer que Clotaire I épousa les deux fœurs Rugonde & Aregonde, & encore Gonduike fa belle-fœur, & encore trois autres femmes, qu'il en eut prefque toujours trois, & que c'était alors l'ufage des rois francs? Quel homme un

peu verfé dans l'hiftoire ne fait pas que quand Chilpéric fon fils époufa une fœur de Brunehaud, on fit jurer à fes ambaffadeurs que ce roi n'en épouferait pas d'autres du vivant de fa femme; ce qui prouvait affez que Chilpéric n'avait pas renoncé d'abord à la polygamie. Caribert donna trois indignes rivales à fa femme Ingoberge, & toutes trois eurent le nom d'épouses. Gontran eut dans le même temps Marcatrude & Auftregile: apparemment il s'en repentit, car il a été mis au nombre des faints. Il n'y a point d'annalifte français qui ne convienne que Dagobert I époufa prefque la même année Nantilde, Usfgonde & Bertilde. Cela eft plus fûr que le trône d'or maffif qu'on prétend que lui fit St Eloi.

QUATRIE ME

REMARQUE.

Des poffeffions & fortiléges.

L'HISTOIRE moderne eft plus fûre que l'hiftoire ancienne, & le tableau de nos faibleffes, de nos erreurs, de nos fuperftitions eft auffi bien plus inté reffant. C'eft dans l'hiftoire de nos propres folies qu'on apprend à être fage, & non dans les difcuffions ténébreufes d'une vaine antiquité.

On a dit dans l'Effai fur les mœurs &c. que dans tous les pays où l'on ceffa d'exorcifer, on ne vit presque plus de poffeffions, ni de fortiléges. Il eft vrai qu'il y en eut infiniment moins qu'ailleurs ; mais on ferait trop d'honneur à la nature humaine de croire que les poffeffions du diable & les fortiléges ceffèrent entièrement chez les peuples féparés de l'Eglife romaine.

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Telle eft la faibleffe de l'efprit humain, telle eft la contradiction de fes penfées, que long-temps encore après qu'on eut aboli les exorcifmes chez les réformés, ils admirent quelquefois des poffeffions du diable & des fortiléges. Il y eut de prétendus magiciens brûlés en Danemarck, en Suède, Pomeranie, en Hollande & ailleurs. Vous en trouverez dans le Monde enchanté de Beker des relations très-authentiques; vous verrez même que plus d'un miniftre de l'évangile a cru ou feint de croire à ces poffeffions & à ces fortiléges, de peur qu'en les rejetant ils ne femblaffent détruire une partie du christianisme fondé fur cette bafe: car, difaient-ils, puifque nous convenons tous que le diable nous inspire des pensées, & que les pensées agiffent fur les corps, pourquoi le diable n'aurait-il pas le même pouvoir fur nos corps que fur nos ames? Cette manière de raifonner pourrait être appliquée aux poffeffions, mais elle ne prouverait pas qu'il y a des forciers. Ce n'eft pas ici le lieu d'approfondir ces questions; il nous fuffit de connaître que la raison humaine, en fe délivrant d'une erreur, en conferve plufieurs autres, & s'en forme encore de nouvelles ; & que le nombre des fages eft bien petit dans les temps même les plus éclairés.

CINQUIEME

REMARQUE.

De l'évêque Opas.

LA vérité de l'hiftoire a obligé de dire que l'évêque de Séville Opas fut, avec le comte Julien,

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