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la rapacité, la jaloufie entre les déprédateurs heureux & les malheureux; une autre jaloufie plus furieuse encore, celle du commandement qui eft fi fouvent accompagnée de l'infolence, de la perfidie, des plus noires intrigues, & des plus fatales impoftures.

Les vaiffeaux de l'Inde partaient moins chargés de marchandises que de délateurs, de calomniateurs, de faux témoins, de procès-verbaux fignés par le menfonge dans l'Inde, & foutenus par la corruption en France. Il en coûta quatre ans de liberté au vainqueur de Madrafs, à un homme d'un rare mérite, à ce la Bourdonnais, qui feul avait vengé l'honneur du pavillon français dans les mers de l'Inde. Il en a coûté la vie au lieutenant-général Lalli, qui du jour qu'il aborda dans Pondichéri pour y mettre l'ordre & y rétablir le fervice, eut dix fois plus d'ennemis dans la ville qu'il n'avait d'anglais à combattre brave homme fans doute, jacobite jufqu'au martyre, implacable contre les Anglais, attaché à la France par paffion : fa fatale catastrophe eft aujourd'hui confondue avec tant d'autres qui font inutilement frémir la nature humaine, & que Paris oublie le lendemain pour des plaifirs fouvent ridicules & bientôt oubliés auffi.

Quel fut depuis le fort de la compagnie? des procès contre des citoyens qui avaient combattu pour elle, des dettes immenfes avec l'impuiffance de payer, la reffource inutile des loteries, le défir & l'incapacité de fe foutenir. Elle avait été la feule compagnie dans l'univers qui eût commercé pendant près de cinquante années fans jamais partager entre

les actionnaires le moindre profit, le moindre foulagement produit par fon commerce.

Tout ce que je fais, c'eft que la compagnie anglaife partage actuellement cinq & demi pour cent pour les fix mois courans.

A l'égard de celle de Hollande, c'est une grande puiffance fouveraine. Les actionnaires avaient déjà partagé 150 pour cent de leur première mise en 1608, après les dépenses immenfes de l'établissement payées fur les profits.

Maintenant qu'on reproche tant qu'on voudra au duc d'Orléans régent d'avoir rendu la vie à notre compagnie des Indes, & à Louis XIV de l'avoir fait naître, je dirai, ils ont tous deux fait une belle entreprife. Le roi de Danemarck les a imités & a réuffi. Les Français fe font mal conduits, & ils ont échoué; la vérité ordonne d'en convenir.

Il faut avouer auffi que la cour de Danemarck n'a point envoyé à Tranquebar de miffionnaire intrigant, brouillon & voleur qui fema la difcorde dans les comptoirs, qui en emporta l'argent, & qui en revint avec onze cents mille francs dans fa caffette, après avoir gagné des ames à DIEU, comme a fait notre révérend père Lavaur de la compagnie de JESUS.

On fait affez que l'histoire ne doit être ni un panégyrique, ni une satire, ni un ouvrage de parti, ni un fermon, ni un roman. J'ai eu cette règle devant les yeux quand j'ai ofé jeter un œil philofophique fur la terre entière. J'envisage encore le fiècle de Louis XIV comme celui du génie, & le fiècle préfent comme celui qui raisonne fur le génie. J'ai travaillé

foixante ans à rendre exactement juftice aux grandshommes de ma patrie. J'ai obtenu quelquefois pour récompense la perfécution & la calomnie. Je ne me fuis point découragé. La vérité m'a été plus précieuse que les clameurs injuftes ne font méprifables. Je ne me défends point; je défends ceux qui font morts en fervant la patrie ou en l'inftruifant. Je défends le le maréchal de Villars, non parce que j'ai eu l'honneur de vivre dans fa familiarité dix années confécutives dans ma jeuneffe, mais parce qu'il a fauvé l'Etat. Un miférable réfugié affamé ofe, dans fa démence, imprimer (mm) qu'à la bataille de Malplaquet ce général paffa pour s'être bleffé légèrement lui-même, afin d'avoir un prétexte de quitter le champ de bataille, & de faire croire qu'il eût été vainqueur fans fa bleffure. Je dois confondre l'infamie abfurde de ce calomniateur.

A-t-il la fcélérateffe non moins extravagante d'imputer (nn) au régent de France des actions que les plus vils des hommes ne regardent aujourd'hui (grâce à mes foins peut-être) que comme des rêveries dignes du mépris le plus profond ; j'ai dû faire rentrer dans le néant cette exécrable impofture.

A-t-il dit (oo) que le premier président de Maisons (dont le fils mon ami intime eft mort entre mes bras) était premier préfident quand le duc d'Orléans fut déclaré régent, & qu'il fefait une cabale contre ce

(mm) Mémoires de Maintenon, tome V, page 99.

(nn) Ibid. tome IV, pages 346 & fuivantes de l'édition de l'Hiftoire de Louis XIV, falfifiées par lui & chargées de notes infames, chez Eflinger à Francfort.

(00) Ibid. tome V, page 228.

prince, j'ai dû faire apercevoir que jamais ce magistrat ne fut premier préfident, & apprendre au public que loin de vouloir priver le prince de fon droit, ce fut lui qui arrangea tout le plan de la régence.

J'ai dû confondre toutes les calomnies vomies par ce malheureux contre la famille royale, contre les meilleurs miniftres, & contre les hommes du royaume les plus refpectables. Pourquoi ? parce que ces impoftures fe vendent long-temps dans les pays étrangers, & beaucoup mieux que de bons livres, parce qu'elles vont à Leipfick, à Berlin où un héros ne parle que français, à Hambourg, à Dantzig, à Moscou, à Jaffi; parce que tous ceux qui lifent en Europe entendent le français jufqu'à des turcs, nos grands-hommes ayant porté notre langue auffi loin que l'impératrice. de Ruffie porte fes armes & fes lois. Voilà ce qu'on ne fait pas dans les foupers de Paris; on dit : il a tort de relever des fottifes fi méprifables; non, il n'a point tort prenez une carte géographique, voyez que l'univers n'eft pas borné à votre quartier; concluez qu'on peut parler à d'autres hommes qu'à vous, & qu'on doit venger votre patrie & les grands-hommes qui ont bien mérité d'elle.

Plus de cent hiftoires modernes ont été compilées fur des journaux remplis de nouvelles impertinentes, femblables à ces menfonges imprimés dont je parle. Peut-être un jour ces hiftoires pafferont pour authentiques. Celui qui consacrerait son travail à prévenir le public contre cette foule d'impoftures, éléverait un monument utile. Ce ferait le serpent d'airain qui guérirait les morfures des vrais ferpens. Si j'ai pris la liberté de réfuter le livre eftimable des Ephémérides

'du citoyen, j'ai dû à plus forte raison confondre les calomnies de l'extravagant ennemi de tous les citoyens. (pp)

A l'égard des impoftures contre de fimples particuliers, d'ordinaire on les néglige, fans quoi la terre qui a befoin d'être cultivée deviendrait une grande bibliothèque.

ARTICLE XXI.

Sur les diffentions des églifes de Pologne. (*)

AVANT

VANT de donner au public une idée jufte des différends qui divifent aujourd'hui la Pologne; avant de déférer au tribunal du genre-humain la caufe des diffidens grecs, romains & proteftans, il eft néceffaire de faire voir premièrement ce que c'eft que l'Eglife grecque.

(pp) C'eft un nommé la Beaumelle, qui écrit de ce flyle incorrect, audacieux & violent qu'on tâche de mettre à la mode aujourd'hui.

Figurez-vous un gueux échappé des petites-maisons, qui couvrirait de fon ordure les ftatues de Louis XIV & de Louis XV, tel était ce miferable. Son vrai nom eft Angliviel, dit la Beaumelle, né dans un village des Cévènes, né huguenot, élevé dans cette religion à Genève, mais bien éloigné de reffembler aux fages proteftans qui, respectant les puiffances & les lois, font toujours attachés à leur patrie; il avait été infcrit à Genève parmi les propofans qui étudient en théologie, le 12 octobre 1745, fous le rectorat de M. Ami de la Rive, & s'était effayé à prêcher à l'hôpital pendant une année il faut convenir qu'il méritait d'être exhorté publiquement.

(*) Ce petit ouvrage avait d'abord été imprimé fous le nom de Bourdillon, professeur en droit public.

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