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eft certain que la Chine, gouvernée par les lois, ne voulut qu'arrêter les Tartares, qui ne connaissaient que le brigandage. C'eft encore une preuve que la Chine n'avait point été peuplée par des tartares, comme on l'a prétendu. Les mœurs, la langue, les ufages, la religion, le gouvernement étaient trop opposes. La grande muraille fut admirable & inutile: le courage & la difcipline militaire euffent été des remparts plus affurés.

M. Paw a beau regarder avec des yeux de mépris tous les ouvrages de la Chine, il n'empêchera pas que le grand canal, fait de main d'homme, dans la longueur de cent foixante de nos grandes lieues, & les autres canaux qui traversent ce vafte empire, ne foient un exemple qu'aucune nation n'a pu encore imiter les Romains mêmes ne tentèrent jamais une telle entreprise.

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ARTICLE III.

De la population de la Chine & des mœurs.

VOILA donc deux travaux immenfes qui n'ont

pour but que l'utilité publique; la grande muraille qui devait défendre l'empire chinois, & les canaux qui favorisent fon commerce. Joignons-y un avantage encore plus grand, celui de la population, qui ne peut être que le fruit de l'aifance & de la fureté de chaque citoyen dans fa petite poffeffion en temps de paix; les mendians ne fe marient en aucun lieu

du monde. La polygamie ne peut être regardée comme contraire à la population; puifque par le fait, les Indes, la Chine, le Japon, où la polygamie fut toujours reçue, font les pays les plus peuplés de l'univers. S'il eft permis de citer ici nos livres facrés, nous dirons que DIEU même, en permettant aux Juifs la pluralité des femmes, leur promit que leur race ferait multipliée comme les fables de la mer.

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On allègue que la nature fait naître à peu près autant de femelles que de mâles, & que par conféquent fi un homme prend quatre femmes, il y a trois hommes qui en manquent. Mais il est avéré aujourd'hui que dans l'Europe, s'il naît un dix-feptième de plus d'hommes que de femmes, il en meurt auffi beaucoup plus avant l'âge de trente ans par la guerre, par la multitude des profeffions pénibles, plus meurtrières encore que la guerre, & par débauches non moins funeftes. Il en eft probablement de même en Afie. Tout Etat, au bout de trente ans, aura donc moins de mâles que de femelles, Comptez encore les eunuques & les bonzes, il restera peu d'hommes. Enfin, obfervez qu'il n'y a que les premiers d'un Etat, prefque toujours très-opulens, qui puiffent entretenir plufieurs femmes, & vous verrez que la polygamie peut être non-feulement utile à un empire, mais néceffaire aux grands de cet empire.

Confidérez furtout que l'adultère est très-rare dans l'Orient, & que dans les harem gardés par des eunuques il eft impoffible. Voyez au contraire comme l'adultère marche la tête levée dans notre Europe; quel honneur chacun fe fait de corrompre

la femme d'autrui; quelle gloire fe font les femmes d'être corrompues; que d'enfans n'appartiennent pas à leurs pères! combien les races les plus nobles font mêlées & dégénérées! Jugez après cela lequel vaut le mieux, ou d'une polygamie permife par les lois, ou d'une corruption générale autorifée par les mœurs.

Si dans la Chine plufieurs femmes de la lie du peuple expofent leurs enfans dans la crainte de ne pouvoir les nourrir, c'eft peut-être encore une preuve en faveur de la polygamie : car fi ces femmes avaient été belles, fi elles avaient pu entrer dans quelque férail, leurs enfans auraient été élevés avec des foins paternels.

Nous fommes loin d'infinuer qu'on doive établir la polygamie dans notre Europe chrétienne. Le pape Grégoire II, dans fa décrétale adreffée à St Boniface, permit qu'un mari prît une feconde femme quand la fienne était infirme. Luther & Mélancton permirent au landgrave de Heffe deux femmes, parce qu'il avait au nombre de trois ce qui chez les autres fe borne à deux. Le chancelier d'Angleterre Cowper, qui était dans le cas ordinaire, époufa cependant deux femmes, fans demander permiffion à perfonne; & ces deux femmes vécurent ensemble dans l'union la plus édifiante: mais ces exemples font rares.

Quant aux autres lois de la Chine, nous avons toujours penfé qu'elles étaient imparfaites, puifqu'elles font l'ouvrage des hommes qui les exécutent. Mais, qu'on nous montre un autre pays où les bonnes actions foient récompenfées par la loi, où le laboureur le plus vertueux & le plus diligent foit

élevé à la dignité de mandarin fans abandonner fa charrue; par-tout on punit le crime : il eft plus beau fans doute d'encourager à la vertu.

A l'égard du caractère général des nations, la nature l'a formé. Le fang des Chinois & des Indiens eft peut-être moins âcre que le nôtre, leurs mœurs plus tranquilles. Le bœuf eft plus lent que le cheval; & la laitue diffère de l'abfinthe.

Le fait eft qu'à notre Orient & à notre Occident la nature a de tout temps placé des multitudes d'êtres de notre espèce, que nous ne connaissons que d'hier, Nous fommes fur ce globe comme des infectes dans un jardin: ceux qui vivent sur un chêne rencontrent rarement ceux qui paffent leur courte vie fur un

orme.

Rendons justice à ceux que notre industrie & notre avarice ont été chercher par-delà le Gange; ils ne font jamais venus dans notre Europe pour gagner quelque argent ; ils n'ont jamais eu la moindre pensée de fubjuguer notre entendement ; & nous avons paffé des mers inconnues pour nous rendre maîtres de leurs tréfors, fous prétexte de leur rendre le fervice de gouverner leurs ames.

Quand les Albuquerques vinrent ravager les côtes de Malabar, ils menaient avec eux des marchands, des miffionnaires & des foldats. Les miffionnaires baptifaient les enfans que les foldats égorgeaient; les marchands partageaient le gain avec les capitaines; le ministère portugais les rançonnait tous ; & des auteurs moines, traduits enfuite par d'autres moines, tranfmettaient à la poftérité tous les miracles que

fit la Ste Vierge dans l'Inde pour enrichir des marchands portugais.

Les Europeens entraient alors dans deux mondes nouveaux ; celui de l'Occident a été prefque tout entier noyé dans fon fang. Si des fanatiques d'Europe ne font pas venus à bout d'exterminer l'Orient, c'eft qu'ils n'en ont pas eu la force; car le défir ne leur a pas manqué; & ce qu'ils ont fait au Japon ne l'a prouvé que trop à leur honte éternelle.

Ce n'eft pas ici le lieu de retracer aux yeux épouvantés des lecteurs judicieux ces portraits que nous avons déjà expofés, de la fubverfion de tant d'Etats facrifiés aux fureurs de l'avarice & de la fuperftition, plus cruelle encore que la foif des richeffes. Contenons-nous dans les bornes des recherches hiftoriques.

ARTICLE I V.

Si les Egyptiens ont peuplé la Chine, & fi les Chinois ont mangé des hommes.

Nous

ous avons toujours foupçonné que les grands peuples des deux continens ont été autoctones indigènes; c'est-à-dire originaires des contrées qu'ils habitent, comme leurs quadrupèdes, leurs finges, leurs oiseaux, leurs reptiles, leurs poiffons, leurs arbres & toutes leurs plantes.

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Les rangifères de la Laponie, & les girafes d'Afrique ne defcendent point des cerfs d'Allemagne & des

chevaux

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