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épaules pour exciter la charité publique. Une histoire rapportée dans un de fes Livres, où l'on raconte que le diable étoit un jour fous la figure d'un de ces enfans, lui donnoit cette défiance.

un

Si quelqu'un qui ne le connoiffoit point l'appeloit par fon nom, foupçon de diablerie s'emparoit auffitôt de fon efprit; car il prétendoit encore être autorifé en cela par des exemples, &c. &c.

Tant de vifions l'agitoient continuellement, & il fentoit lui - même qu'il étoit en danger d'en perdre l'efprit. Frappé de cette idée, il eut encore affez de raifon pour chercher, non à détruire ces fatales impreffions, car il ne les attribuoit pas au mauvais état de fon efprit, mais à se délivrer de ces diables qui l'obfédoient fans ceffe. Ses Livres, où le pour & le contre étoient renfermés, contenoient auffi le mal & le remède. Le remède il trouvera fans doute quelques spécifiques indiqués par quelques

fous comme lui, ou par des empyriques plus redoutables; & fon mal ne fera qu'empirer.

Quoi qu'il en foit, il lut plus de trente volumes, & il trouva que l'on chaffe les diables avec la racine de baaras (racine qui ne fe trouve point), & qu'il chercha vainement.

Qu'on les chaffe encore avec une épée tirée hors du fourreau. Auffi-tôt il en acheta de longues, larges, & de la meilleure trempe; & l'ufage, fréquemment renouvelé, qu'il en fit en les croifant, les faifant couler l'une fur l'autre, les frappant avec une clef, donna, pendant quelque temps, un plaifant fpectacle dans fa maifon. Un gros diamant mis à fon doigt, à me fure qu'il faifoit jouer les épées, lui parut propre à donner à ce jeu plus d'efficacité pour l'expulfion des efprits

infernaux.

Aux diamans & aux épées il ajouta (toujours par l'infpiration de fes Livres) plufieurs coqs qu'il fit élever & nourrir dans fa maison, fans dire fon fecret; mais fa femme, bonne ména,

gère, voyant chez elle tant de coqs inutiles, s'avifa de leur donner des poules, & le projet s'évanouit.

Dans fa douleur, il fit de nouvelles recherches, & de nouveaux moyens s'offrirent à lui. Il porta fur lui de l'herbe que l'on appelle armoife; il employa celle que l'on nomme verveine. Il chercha deux coeurs de vautour qu'il porta fur lui, l'un lié avec un poil de lion, l'autre avec un poil de loup. Il fit faire une image qui repréfentoit deux têtes, l'une, d'un homme qui regardoit en dedans, l'autre, d'une femme qui regardoit en dehors. Il fe tint le plus gai qu'il put, afin que la mélancolie ne donnât aucune entrée aux démons. Tous ces moyens auroient été bien inutiles, & fes nuits n'en feroient pas devenues plus tranquilles; mais il trouva, dans un dernier Livre qu'il s'avifa de confulter, que lorfque le tonnerre tomboit fur une maifon, fût elle infeftée de cent mille démons, elle en étoit à l'instant délivrée pour jamais; & par bonheur le tonnerre tomba, le foir

même, dans fa chambre. La révolu tion fut fi prompte, que dès ce moment les chiens, les pourceaux, `les mouches, les papillons fortirent de fon imagination, & nulle trace ne fubfifta plus de ces cruelles vifions: mais il en avoit d'autres dont nous allons parler.

Jamais homme n'a cru fi fermement toutes les hiftoires qu'on fait des forciers, des magiciens, & de tout ce qui eft du reffort des fortilèges & des enchantemens; il ne doutoit de rien fur cette matière. Des vifions nouvelles fufpendoient quelquefois l'effet de celles-ci, comme avoient pu faire, par exemple, celles des revenans, des diables, des efprits aériens : mais fa folie fondamentale étoit la forcellerie; elle reprenoit toujours fes droits, lorfqu'il étoit guéri de quelque frénéfie nouvelle.

Il s'imaginoit qu'il pouvoit être continuellement enforcelé : il avoit lu tant de contes fur les cent mille moyens dont les forciers fe fervent pour enchanter, pour maléficier, pour

tourmenter ceux à qui ils en veulent, qu'il ne pouvoit être raffuré à cet égard. Ses meilleurs amis l'inquiétoient; les perfonnes qu'il n'avoit pas coutume de voir, & qui avoient un extérieur extraordinaire, ou qui montroient quelque difformité, le jetoient dans de fi grandes défiances, qu'il fe tenoit fort en garde contre eux. Si on le beurtoit par hafard, fi on lui frappoit fur l'épaule, il rendoit fur le champ la pareille avec une forte de brutalité. Si on le regardoit fixement, il fuyoit avec une viteffe qu'il ne couvroit d'aucun prétexte. Malheur à ceux qui lui faifoient quelque grimace; ils rifquoient d'en être punis par quelque infulte. Lui envoyer un préfent, c'étoit lui donner un fujet d'inquiétude, tant il craignoit qu'il ne fût accompagné de quelque fortilège. Enfin, comme il avoit lu une infinité de manières de jeter des forts, de pratiquer des enchantemens, de répandre des maléfices, tout ce qui avoit quelque ressemblance, quelque rapport avec ces manières, lui étoit fufpect, lui

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