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tion absolue de toute négation est l'expression la plus positive qu'on puisse concevoir et la suprême affirmation; donc le terme d'infini est infiniment affirmatif par sa signification, quoiqu'il paraisse négatif dans son tour grammatical (1). »

L'infini en nombre ou en quantité est contradictoire. « En effet, supposez qu'il existe et divisez-le en deux parties. Ces deux parties sont finies ou infinies. Si elles sont finies, comment deux parties finies peuventelles faire un tout infini ? Le fini, ajouté à du fini, quoi qu'en dise LOCKE, ne peut donner que du fini. — Si elles sont infinies, l'infini est alors égal à deux infinis, ce qui est contradictoire. Veut-on qu'une partie soit infinie et l'autre finie? La contradiction reste, car l'infini serait alors égal à l'infini + une autre quantité (2). » Donc un nombre infini, un espace infini, un temps infini n'existent pas et ne peuvent exister.

3o Le parfait ce qui est complet et achevé. C'est l'idée de l'être auquel rien ne manque, auquel on ne peut rien retrancher ou ajouter. -Le parfait a pour opposé l'imparfait : ce qui est incomplet et inachevé. II. Comparaison de ces trois idées : l'idée de parfait implique les deux autres. Qui dit parfait dit : a) nécessaire, indépendant de toute cause efficiente; car c'est la plus grande imperfection que de tenir l'existence d'un autre ; —b) infini, car le parfait est ce à quoi rien ne peut être ajouté, donc ce qui est sans limites, c'est-à-dire infini à tous égards.

L'idée de nécessaire entraîne celle de perfection, comme on le montre en Théodice, Art. I, Sect. I.

L'idée d'infini, d'après certains modernes, n'enferme pas l'idée de perfection. DESCARTES, BOSSUET soutiennent le contraire avec raison. On leur objecte : « L'infini s'applique aux catégories de la quantité et de la force, tandis que le parfait s'applique exclusivement à la catégorie fort différente de la qualité. En sorte qu'on peut concevoir la perfection d'une chose infinie aussi bien que d'un être infini (3). »

Réponse: a) La perfection d'une chose finie est relative et non pas absolue. b) De plus, l'infini en quantité répugne. — c) Enfin l'infini de la force, c'est l'infini de l'activité. Or les puissances actives d'un être en sont les qualités. Lorsqu'on les dit infinies, on entend donc parler selon la catégorie de la qualité et l'on revient ainsi à l'idée de perfection. Une force infinie est une force parfaite absolument.

III. - Objection de Hamilton (1) : KANT ne nie pas l'idée de l'absolu,

(1) FÉNELON, Traité de l'existence de Dieu, II P., ch. 11, 2o preuve.

(2) E. DURAND, Psychologie, p. 221-222.

() VACHEROT, La métaphysique et la science, T. III, Entretien XV, p. 234, Paris, 1886'.. (") Philosophie de l'absolu, dans les Fragments traduits par PEISSE, p. 18 et sq.

mais sa valeur objective; HAMILTON va plus loin; d'après lui, l'absolu est inconcevable, c'est un mot vide de sens, une pseudo-idée. Nous ne pouvons concevoir que le relatif.

Arguments 1) L'absolu est conçu, dit HAMILTON, comme unité ou comme cause; mais l'unité ne se comprend que par relation avec la pluralité; et la cause est relative à ses effets. Donc ce prétendu absolu, dès qu'on veut lui appliquer une des catégories de la pensée unité, causalité, etc. ne peut être conçu que relativement : « En voulant poser cette notion je la supprime. >>

2) Penser, concevoir, c'est conditionner, c'est établir une relation entre une chose et une autre. Donc toutes les formes de la pensée sont nécessairement relatives, puisque la loi de relativité est l'essence même de l'intelligence. C'est pourquoi le seul relatif est concevable: dès lors, essayer de penser l'absolu, c'est penser le non-relatif, c'est-à-dire la négation du concevable. Or la négation du concevable, c'est l'inconcevable, l'inintelligible.

Réponse ces arguments reposent sur une équivoque. On doit entendre par absolu non pas ce qui est en dehors de toute relation, mais ce qui exclut toute relation de dépendance. Sans doute nous ne pouvons pas comprendre l'absolu. Comprendre une chose, c'est la connaître autant qu'elle est connaissable, en avoir une idée adéquate. L'absolu seul peut se comprendre. Il ne suit pas de là qu'il soit pour nous l'inconnaissable, l'inconcevable, mais seulement que nous ne le connaissons qu'imparfaitement.

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L'idée d'absolu ne dérive pas de l'expérience: 1o Des sens : les sens ne nous montrent rien d'absolu.

2o De la conscience je ne me connais pas comme quelque chose d'absolu.

Elle provient du concours de l'expérience et de la raison. C'est l'opinion d'ARISTOTE, des SCOLASTIQUES, de certains philosophes contemporains comme RABIER (1). Il y a deux questions à résoudre : Comment concevons-nous l'absolu ? Pourquoi ?

I. Comment, par quel moyen concevons-nous l'absolu ? L'intelligence l'abstrait des données fournies par l'expérience. L'absolu, c'est :

1o Le nécessaire tout ce que nous fait connaître l'expérience est à la fois cause et effet. Faisons abstraction de ce second rapport, il reste : une chose qui est cause et n'est point effet; c'est la notion du nécessaire. 2o L'infini: toutes les activités que nous connaissons par l'expé

(1) Psychologie, Ch. XXXIV.

rience sont finies et elles restent finies si loin que, par la pensée, nous reculions leurs limites. Faisons abstraction de toute limite, il vient la puissance sans limites; c'est l'idée de l'infini.

3o Le parfait toutes les choses que nous connaissons par l'expérience sont imparfaites, car nous pouvons nous les représenter toutes avec de nouvelles qualités. Supprimons toute borne, il reste un être doué de tous les attributs possibles, illimités chacun en son genre. C'est l'idée de l'être parfait.

Objection de Platon, de Descartes, de Bossuet, etc. expliquer les notions du nécessaire, de l'infini, du parfait, en prenant pour base les notions du contingent, du fini, de l'imparfait, c'est faire un cercle vicieux, car ces dernières notions présupposent les premières. Comment savoir vg. que je suis contingent si je ne me compare à l'idée d'un être nécessaire ? Il faut donc dire avec BOSSUET (1): « Le parfait est le premier et en soi et dans nos idées, et l'imparfait en toutes façons n'en est qu'une dégradation. Dis-moi, mon âme, comment entends-tu le néant, sinon par l'être ? Comment entends-tu la privation, si ce n'est par la forme dont elle prive? Comment l'imperfection, si ce n'est par la perfection dont elle déchoit ? »>

Réponse: pour savoir vg. : A) qu'une grandeur est finie, il suffit que je la compare à une grandeur qui la dépasse.

B) Que je suis imparfait, il suffit que je me compare à l'un de mes semblables mieux doué que moi.

C) Contingent, il suffit que je saisisse la relation qui m'unit à la cause particulière dont je dépends. Il n'est donc pas requis d'avoir au préalable les idées de nécessaire, d'infini, de parfait. Il faut, par conséquent, répondre à BOSSUET : l'être absolu est, dans l'ordre ontologique (de l'existence), antérieur à l'être relatif, est premier en soi; mais il n'est pas premier dans nos idées, dans l'ordre logique (de la connaissance) : l'idée de l'absolu est donc postérieure à l'idée du relatif.

II.

Pourquoi, pour quel motif sommes-nous poussés à concevoir l'absolu ? Notre esprit y est nécessité par le principe de raison suffisante. Une chose relative étant donnée, le principe de raison nous force de concevoir une autre chose qui l'explique. Mais si celle-ci est relative comme la première, elle nous renvoie à une troisième. Or, tant que l'intelligence demeure dans la série des choses relatives, elle ne trouve pas de raison suffisante pour s'arrêter, la même raison subsistant toujours d'aller plus loin, à savoir la dépendance qui est l'essence du relatif. Comme elle ne peut cependant aller à l'infini, comme il faut s'arrêter enfin, la raison conçoit un être absolu, qui est indépendant de tout et duquel dépend tout le reste, auquel se rattache toute la série des êtres relatifs.

(1) Élévations sur les mystères, I Semaine, 2° Élévation.

Bref, le procédé par lequel on conçoit l'absolu, c'est la négation de tout ce qui rend relatif le relatif : dépendance d'une cause, limite dans la perfection; le motif pour lequel on conçoit l'absolu, c'est la nécessité pour la raison de s'arrêter enfin à une explication suffisante, et l'impossibilité pour elle de voir en tout ce qui est relatif une raison suffisante de s'arrêter.

Conclusion: lorsque de la compréhension de l'idée de l'absolu on dégage les trois notions élémentaires du nécessaire, de l'infini et du parfait, l'absolu s'appelle Dieu. Donc, pour expliquer l'origine de l'idée de Dieu, il suffit d'expliquer l'origine de l'idée d'absolu.

On peut noter trois degrés dans la formation de l'idée de Dieu : 1o Quand l'esprit a acquis une certaine connaissance de l'univers, il le rapporte à une cause. 2o Réfléchissant sur la nature de cette cause, il comprend qu'elle est l'être nécessaire, parce qu'il faut bien arriver à un être qui soit indépendant de toute cause et qui soit cause de tout le reste ; sinon, il faudrait aller à l'infini, ce qui répugne. - 3o Enfin il comprend que cet être nécessaire et absolu est infiniment parfait. Cette forme abstraite de l'idée de Dieu réclame un contenu : Dieu est conçu comme : a) puissance sans bornes - b) intelligence infinie - c) bonté et amour parfaits. Ce sont les attributs de la nature humaine que nous transportons en Dieu, moins les imperfections qui les limitent en nous (Cf. Théodicée).

Remarque Idées du vrai, du bien, du beau au-dessus des vérités séparées les unes des autres, nous concevons une vérité suprême et absolue qui les unifie et les domine toutes; au-dessus des biens imparfaits et relatifs, nous concevons un bien absolu; au-dessus du beau réalisé dans les œuvres de la nature et de l'art, au-dessus de l'idéal créé par notre imagination, nous concevons une beauté absolument parfaite.

Conclusion générale: nous avons successivement appliqué aux notions d'être, d'unité, d'identité, de raison, de substance, de cause, de fin, d'absolu, la théorie empirico-rationaliste sur l'origine des idées. Or toutes ces notions ont pu s'expliquer par le concours de l'expérience et de la raison. N'est-ce pas pour la théorie la meilleure des confirmations ? (1)

188. SYNTHÈSE DES NOTIONS ET VÉRITÉS PREMIÈRES

L'idée de Dieu, de l'absolu résume en elle les principes directeurs de l'intelligence.

I. Principe d'identité et de contradiction: Dieu est l'Être par soi, l'Étre nécessaire (Ens a se). Dire que Dieu existe, c'est affirmer au l'Être est et ne peut pas ne pas être. Il est absolument contra

fond que

(1) Pour ne pas séparer le point de vue métaphysique du point de vue psychologique, nous avons traité dans ce chapitre certaines questions qu'on retrouvera en Ontologie.

dictoire de supposer que l'Etre par soi puisse ne pas exister. A l'égard des êtres créés, le principe d'identité ne s'applique que relativement : ils existent, mais ils pourraient ne pas exister. Leur être n'exclut le nonêtre que conditionnellement, c'est-à-dire supposé qu'ils soient déjà ; leur nécessité n'est que relative: ils sont contingents.

Mais, en définitive, il faut bien qu'il y ait un être dont l'essence même soit d'exister et qui, par conséquent, soit sans condition, nécessairement, absolument. Cet être, chez qui l'essence et l'existence ne se distinguent pas, c'est Dieu (1); chez les êtres créés il y a entre l'essence et l'existence une distinction virtuelle: car s'ils sont, ils pourraient ne pas être et ils auraient pu rester toujours à l'état de possibles.

II. Principe de raison : l'absolu est pour nous la raison suffisante de tout. En effet, une chose étant donnée, nous en cherchons la raison dans une autre ; mais si cette autre est dépendante comme la première, elle a aussi sa raison d'être dans une troisième; et ainsi sans fin. C'est pourquoi, tant que notre esprit ira de chose relative en chose relative, il ne découvrira jamais une raison qui lui permette de réduire tout à l'unité. Alors surgit dans l'esprit l'idée d'un être qui soit cause de tout le reste, sans avoir lui-même de raison en dehors et au-dessus de lui : c'est l'idée d'Être absolu. L'idée de Dieu résume done aussi tous les principes dérivés du principe de raison et toutes les notions premières.

Comme raison suffisante: 1o des causes secondes, Dieu (l'absolu) est nommé Cause première;

2o des substances relatives, il est nommé Substance absolue ;

3o de toutes les fins particulières, il est nommé Fin suprême et dernière, Bien absolu;

4o des lois de la nature, il est nommé Sagesse infinie ;

5o des choses qui durent, il est nommé Éternité ;

6o des choses étendues, il est nommé Immensité ; 7o de toute vérité, il est nommé Vrai absolu ;

8o de toute beauté, il est nommé Beauté absolue.

Remarque dans toute cette question des notions et vérités premières, on s'est placé au point de vue subjectif et psychologique ; à savoir, quelle est leur origine, quelles facultés servent à en expliquer la présence en nous l'expérience ? la raison? On envisagera, en Métaphysique, la question au point de vue objectif : quelle est la valeur des notions et vérités premières ?

(1) KLEUTGEN, La philosophie scolastique, DISSERT. VI•, Ch. II. BOSSUET, Logique, L. I, ch. XXXIX, XL, XLI.

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