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d'une victoire? Oui, sans doute; il s'agit de la plus sublime conquête, de la conquête du génie!...

Je passe à cette dernière question: Les moyens de la régénération dramatique étant déterminés, comment étendre les bienfaits de cette instruction sur tout le peuple? Un des avantages des anciennes républiques, c'est que le peuple assistoit gratuitement au spectacle. L'état s'acquittoit envers lui en payant ses plaisirs. Dans un gouvernement, composé d'esclaves, le luxe est toujours égoïste, rétréci, personnel; mais dans les états libres, il est un autre luxe de grandeur, d'utilité. Quoi donc, établirions - nous, à l'exemple des Grecs, un spectacle aux frais de la nation, et sous l'inspection des magistrats du peuple? Tout éloigne encore cette idée. D'ailleurs, irions-nous ressusciter le masque antique et replacer Melpomène sur un cothurne colossal. La décoration première de ce théâtre nous manqueroit ; il nous manqueroit le ciel pur de la Grèce. Cependant quel avantage n'eût pas retiré le peuple, d'une pareille institution. Cette institution, bien dirigée, eût poli les mœurs et la langue; l'éducation ne tend qu'à former la génération future, et par-là

vous formiez la génération actuelle. Qui pourroit suppléer à ce moyen? Ici un vœu s'échappe de mon cœur, et je sens que ma pensée le caresse: la réflexion pourroit le repousser, mais le sentiment l'adopteroit sans doute. Voici mon rêve. J'ai vu la famille des artistes et des amateurs, de ceux qui ne cultivent que par amusement et par goût l'art du théâtre, se consacrer à l'instruction publique ; j'ai vu des patriotes rassemblés par le même zèle, élever un temple à Melpomène ; j'ai cru voir un peuple introduit avec ordre, peupler leurs loges civiques; il me sembloit que les Talma, le brûlant Monvel et le patriote Dugazon, guidoient les pas de ces nouveaux catéchumènes, et les couronnoient de leurs lauriers ; il me sembloit que l'ombre de l'auteur de Brutus s'élançoit du séjour des tombeaux et planoit autour d'eux, satisfaite et consolée. Il s'y rassembloient quelquefois après des travaux plus importans. J'ai cru entendre des auteurs qui n'étoient rivaux que de patriotisme.

CHAPITRE LXXIII.

SUITE DE L'HISTOIRE DU THÉATRE. 129

CHAPITRE LXXIII.

SUITE DE L'HISTOIRE PHILOSOPHIQUE DU THÉATRE.

En prêtant l'oreille à la poésie dramatique, nous garantir ons nos cœurs d'être abusés par elle, et nous ne souffrirons pas qu'elle trouble l'ordre et la liberté, ni dans la république intérieure de l'ame, ni dans celle de la société humaine. Ce n'est pas une légère alternative que de se rendre meilleurs ou pires.

PLATON.

Il ne vous reste plus qu'à peser sur l'importance des représentations théâtrales; sur leur liaison intime avec les mœurs.

Vous vous proposez sans doute de les considérer comme institution, comme ressort politique.

Vous citerez Platon, Aristote, la philosophie, l'histoire, les grands noms, les grandes autorités, les grands mots; que sais-je? vous irez peut-être jusqu'à prouver que les compositions scéniques ont toujours fidèlement réfléchi l'esprit du gouvernement et des nations.

Tome II.

I

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Vous rapprocherez le berceau d'Athènes et les tombereaux de Thespis; les victoires des Grecs, leur luxe de gloire, de monumens, et la pompe théâtrale des pièces sublimes d'Eschyle et de Sophocle; la grandeur de Rome et l'enflûre de ses poëtes dramatiques; l'avilissement de l'Europe chrétienne et la comédie de l'ancien et du nouveau Testament, les confrères de la passion, en France; les autos sacramentales, en Espagne; la tragédie de la chute du premier homme, en Italie; l'élévation de l'Angleterre et le talent fier, sauvage, grossier, sublime de Shakespeare, inégal et grand, qui ressemble à un chêne noirci de la foudre, s'élevant seul dans un champ de bruyères et étendant au-dessus des tempêtes, la majesté sombre de ses rameaux égarés dans l'espace. Les révolutions de la Ligue, de la Fronde, et le génie de Rotrou et de Corneille. Les fêtes du sérail, sous le sultan Louis XIV, et les prologues de Quinault; les pièces de l'Ercole, amante, et la tragédio transformée en élégie; la scène soumise à l'amour par le plus tendre et le plus parfait des poëtes.

Vous ne manquerez point de remarquer

qu'il entroit dans les calculs du despotisme d'amollir, de désarmer la fierté naturelle du caractère national qui s'étoit trempé et exalté dans les guerres civiles; vous ajouterez que telle fut, sans doute, la politique de Richelieu, lorsqu'il faisoit soutenir des thèses d'amour dans ce cabinet d'où il remuoit l'Europe, où il dansoit et ordonnoit le siége de la Rochelle, où il caressoit le col charmant de Marion Delorme et faisoit couper celui de CinqMars et du célèbre de Thou, où il écoutoit les calembourgs de Bois-Robert, les vers de Colletet et proscrivoit ceux de Corneille; enfiu, vous montrerez le règne crapuleux du Régent et de Louis XV, et le théâtre d'Arlequin, les tripots de la foire, où l'esprit d'imitation et des ordres positifs commandoient d'avilir les mœurs des esclaves, où le peuple applaudissoit à ces caricatures dans lesquelles il étoit peint, toujours ou sot, ou ridicule, ou vicieux, méchant et pervers. On sait aujourd'hui que la pièce ordurière de Jeannot chez le Dégraisseur, fut composée par le ministre Maurepas; que la scène du pot-de-chambre fut jouée dans les petits appartemens de sa majesté. C'est ainsi que sous Louis XIV, le farceur Dancourt,

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