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de ces cavités profondes. Le lézard et le serpent fuient et se glissent dans les rochers: un nuage de chauves - souris obscurcit la voûte, dont il se détache bientôt, et tourbillonne sur nos têtes. J'ai cru sentir l'impression de l'air extérieur, et j'entends, dans le lointain, le hennissement des chevaux, et la voix des conducteurs. Le premier de mes guides donne un signal: aussitôt, les flambeaux et ceux qui les portoient s'éloignent par des issues secrètes, et semblent plonger sous la terre. Une obscurité profonde règne autour de moi. Je me sens saisir par des bras vigoureux. Je suis sans crainte. On me fait asseoir sur une espèce de siége; on tire une corde : j'entends crier des poulies. Je suis enlevé dans les airs comme une divinité d'opéra. Je prends terre, et crois sortir du fond d'un puits.

Des hommes masqués me font monter précipitamment sur un cheval, et m'entraînent avec eux, après m'avoir voilé les yeux. Nous parcourons ainsi plusieurs milles. Alors, un d'entr'eux, écartant mon bandeau, m'ordonne de suivre le chemin qui se présente devant moi, et d'adresser la parole au premier homme qui s'offrira, sur la route, un

livre à la main. En disant ces mots, ils partent. Un temps de galop et les arbres d'une forêt profonde, les dérobent à mes regards. Je poursuis lentement, et plongé dans la plus sombre méditation. Plusieurs voyageurs passèrent à mes côtés; mais sans attirer ni fixer ma vue. J'étois tout entier au sentiment; je savourois le bonheur de recouvrer la liberté. Tout ce que j'avois éprouvé me sembloit un songe. Le souvenir de Rosina, l'image du danger de Theresa se retraçoient à mon imagination. Jeune encore, j'avois déjà parcouru un cercle d'aventures bien étranges. A quels nouveaux événemens étois-je réservé! O fatalité! déesse aveugle et souveraine, dont les invincibles. décrets conduisent à leur insçu, et malgré eux, les hommes vers le but que tu leur traces dans tes jeux, fatalité! que me veux-tu?

CHAPITRE LXVI I.

SUITE DE L'HISTOIRE DU BACHELIER.

LE VIEILLARD ET LE LIVRE.

......

.Scontro un eremita in una valle C'havea lunga la barba a mezo del petto Devoto, e venerabile d'aspetto.

ARIOSTO.

EN disant ces mots, j'aperçus au fond d'un vallon, près d'une chaumière, sur le bord d'une prairie émaillée de fleurs où s'égaroit un ruisseau ombragé de saules mélancoliques, un vieillard qui parcouroit attentivement un livre placé sur ses genoux: de jeunes enfans qui paroissoient être ses petitsfils, bondissoient avec les chevreaux, se jouoient avec les agneaux de la prairie; leur mère chantoit en recevant dans des vases de terre, le lait des vaches fécondes, tandis que son mari hâlé par le soleil, mais dont les traits annonçoient un homme au dessus de la condition rustique, labouroit la terie et sembloit prendre, en contemplant

ce spectacle, une force nouvelle. Je m'arrêtai pour en jouir: une émotion douce et pleine de charmes humecta mes yeux de pleurs délicieux. O nature! m'écriai-je, ô nature!... Le vieillard m'entendit, posa le livre et s'avança vers moi en souriant. Aussitôt je fus entouré et caressé de ses enfans... Ils me conduisirent à la chaumière, j'y reçus l'hospitalité à la manière des auciens; les soins les plus touchans me furent prodigués. Je mets au nombre des jours les plus heureux de ma vie ceux que je passai dans cette cabane: je voulois m'y fixer. - Jeune homme, il n'est pas temps encore, me dit le vieillard avec dignité; il faut acheter, par des services rendus à ses semblables, le droit de se reposer: lorsque vous aurez vengé votre pays et proclamé la liberté, lorsque votre sang aura coulé pour cette cause sacrée, lorsqu'enfin vous aurez payé votre dette à l'humanité en courage, en vertus, en dévouement, alors Vous pourrez songer à la vie obscure...... Cette cabane vous sera ouverte: vous viendrez y prendre, parmi mes enfans, votre place: dès ce moment elle est marquée ici. Allez et remplissez vos destinées.

CHAPITRE L X VIII.

SUITE DE L'HISTOIRE DU BACHELIER, LE RECTEUR DE L'UNIVERSITÉ De...

Nos philosophes n'ont-ils pas une doctrine exclusivement réservée à ceux de leurs élèves, dont ils ont éprouvé la circonspection?..... ... Il est des vérités

le

que

sage doit garder comme en dépôt, et ne laisser tomber que goutte à goutte.

(Voyage d'Anacharsis.)

J'EMBRASSAI avec transport ce bon vieillard: il ordonna à son fils de me conduire à la ville voisine chez le recteur de l'Université de.... qui devoit être chargé de mon éducation: je partis, et bientôt j'arrivai au collége de.... Mon guide me conduisit au parloir, me remit une bourse qui contenoit l'argent nécessaire à ma dépense, et s'éloigna.

Le recteur sonna, et deux hommes que je pris à leur costume pour des ecclésiastiques m'introduisirent. Tandis qu'ils furent présens, le recteur m'adressa froidement quelques paroles vagues et insignifiantes; mais dès qu'ils

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