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l'homme de celle des autres êtres cherche à tromper, mais ne trompe point la destination à laquelle l'a réservé la nature.

Ce préjugé agrandi par la politique, ennobli par le sentiment, n'en demeure past moins un préjugé.

Sans doute l'éloquence de la tombe est impérieuse; mais je dirois au politique: honorez davantage la vertu des vivans, et vous n'aurez pas besoin de parer celle des morts. Je dirai à l'homme sensible: ces reliques d'un objet chéri sont précieuses, mais c'est à vous de les recueillir; et d'ailleurs, quand on a perdu ce qu'on aime, on retrouve par-tout sa tombe: on l'emporte dans son

cœur.

Ces danses près des tombeaux bouleversent votre imagination. Reste de superstition catholique; ce n'est qu'à ses yeux que la mort est horrible aux yeux du sage elle n'est qu'un repos. Hobbes l'a dit, c'est un saut dans l'ombre. Les anciens, plus sages, plus près de la nature, dansoient aux funérailles. Cet usage est encore celui de plusieurs peuplades sauvages. La langue même n'avoit point d'expressions tristes, mais philosophiques; un tel a vécu; et ces mots ren

fermoient une image, un sentiment et une leçon. Toutes les épitaphes antiques la répètent. On lit sur plusieurs tombeaux, il dort; sur celui d'un charmant adolescent; « il a éprouvé le sort d'Hylas; il a été en"levé par les nymphes les nymphes". Les bas - reliefs funéraires, en général, ne présentent que des scènes de volupté et quelquefois pis. Parcourez, pour vous en convaincre, les antiquaires et Winkelmann. Scipion l'Africain ordonna expressément par son testament, qu'on vint se réjouir sur sa tombe. Oh, mest amis! plantez des myrthes et des lilas sur mon cercueil; venez boire sous leur berceau, et caresser votre maîtresse à l'ombre de ce délicieux feuillage embaumé de son haleine; au bord de cette onde pure qui réfléchit vos baisers, qui murmure vos soupirs, que cet arbre alimenté de ma substance, la racine plongée dans mon cadavre, les rameaux inclinés sur vos têtes, semble alors agité du zéphyr, tressaillir lui-même de volupté(1).

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(1) Dans mes promenades aux environs de Madrid, j'ai vu plusieurs cimetières ; un entr'autres, m'a frappé : je l'ai retenu; je le sais, pour ainsi dire, par cœur.

Il est sur une éminence, au centre du village;

Soit, s'écria le bachelier.... Vous avez raison et il courut embrasser un petit orphelin qui, dans un coin bien solitaire, pleuroit sur la pierre insensible qui couvroit sa mère.

il tient à l'église. C'est un quarré parfait ; une clairevoie l'entoure ; un ruisseau coule dans le milieu. Le sol est couvert de violettes, de jasmins, de roses et autres fleurs qui naissent sans culture; ni cyprès ni sycomores, ni aucun de ces arbres à douleur, à verdure bâtarde, qui semblent appeler le trépas et fixer la mélancolie sous leur ombrage. Des alisiers, des pommiers. Mille pinçous, mille moineaux font leurs nids, font l'amour sur les branches.

Ces oiseaux, ce ruisseau, l'éclat des fleurs, l'odeur des roses, tout rappelle ces jardins, ces berceaux délicieux, ces prairies fortunées, où, selon les anciens, les ames vertueuses foláirent, s'amusent et dansent pendant toute l'éternité.

Platon rendoit grâces aux Dieux d'être né à Athènes ; moi, je remercicrois l'Être suprême de me rappeler à lui pendant que je suis en Espagne. J'aimerois à reposer dans un de ces cimetières; j'aimerois à penser en expirant Quand mes enfans iront pleurer sur ma tombe, ils trouveront de l'ombre; ils pourront cueillir des roses faire des bouquets, s'asseoir au bord de l'eau, et manger des pommes (*). ( Note du Docteur.)

(*) Voyage en Espagne.

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CHAPITRE L.

DU BESOIN DES DISTRACTION S.

On se réjouit on est donc heureux? Quelle erreur ! et quelle différence il y a entre l'alégresse douce et tranquille de l'ame, et cette joie emportée, spasmodique, si je puis le dire, du désespoir qui tâche de se distraire de sa misère et de ses peines! Allez dans les prisons, vous en verrez autant. LANGLE.

LE mobile telescope des observateurs chercha un autre point de vue. Une nouvelle fête attira leurs regards. Ainsi le nègre oublie tous ses maux en dansant, reprit notre dissertateur. Il paraît que la nature humaine est la même sous les différens degrés de latitude.

L'homme est un animal qui veut jouir, a dit Mirabeau. C'est le vœu de toute espèce, la grande loi de nature. Mais l'homme peut différer des animaux par le caractère de ses jouissances. Il ne s'élève guère au-dessus de leur classe; il est même beaucoup au

dessous d'eux, lorsqu'il ne satisfait que ses sens. La plus grande partie de l'espèce humaine en est là. Boire, manger, dormir; dormir, boire et manger; manger, dormir et boire; condition de roi ou d'enfant, disoit Rabelais, c'est la condition générale : c'est le sort des trois quarts des bipèdes à face humaine.

Et ces bipèdes dissertent quelquefois avant de s'endormir, et établissent qu'ils ont une

ame.

Ils prennent le mouvement, ou plutôt l'agitation, pour le plaisir, et c'en est un, en effet; mais ce n'est ni le seul, ni le plus grand. Au défaut de leur tête, ils exercent leurs pieds. Une contre-danse leur rappelle qu'ils vivent. Puisque j'ai parlé des jouissances, je ne vous ferai point grâce d'une distinction que j'ai toujours regardée comme trèsimportante.

Il est plusieurs espèces de jouissances : celles de la nature, celles de l'art, celles des sens, celles de l'esprit, celles du cœur, celles des mouvemens ou de l'inquiétude, ou de la curiosité; celles des passions, de l'orgueil, du caprice, etc.

Il faut placer au premier rang celles qui

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