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et qui déposa enfin, dans son cœur, ces deux puissans réparateurs, ces deux consolateurs ineffables, la pitié et la bienfaisance. Ah! s'il faut un culte, une divinité, des autels, élevez ces autels à la Pitié, à la Bienfaisance, ces divinités tutélaires du genre humain! Voilà le culte qu'il convient de rendre universel.

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Vous vous déchirez pour des opinions; et ces opinions, il ne dépend pas de vous de ne pas les avoir; car pouvez-vous faire que vous ne soyez point affecté de telle ou telle manière? Pouvez vous changer le cours de vos idées? Non, pas plus que celui des esprits animaux. Votre pouls bat, votre cœur suit le systême de diastole et de systole ; votre cerveau pense: ces mouvemens sont dans vous et non pas de vous. Mais cette opinion est mauvaise... Soit: c'est une raison de plus d'exercer la pitié. Eclairez, guérissez le malade au lieu de le tuer. J'ai dit le malade car je suis de l'avis de ce médecin qui appeloit la bêtise une maladie.— Mais la bêtise devient une frénésie. - Enchaînez ce frénétique, après avoir essayé l'opium et les calmans; réduisez-le à l'impuissance de nuire; exercez encore la pitié,

elle sera utile à vous-même. Si vous le frappiez, vous tourneriez sa rage contre vous et contre lui. - Mais je veux me venger! On voudra aussi se venger. Vous assommerez aujourd'hui votre ennemi, demain ses amis vous assommeront; vous tomberez dans la fosse que vous creusez, vos flèches tourneront sur vous-même, et vous boirez votre iniquité; pour parler plus exactement, toute action, au moral comme au physique, a une réaction; cela est mathématiquement vrai. Vous pressez sur les autres, à leur tour ils pressent sur vous; chacun tourne et retourne dans ce cercle, bourreaux et victimes, victimes et bourreaux, jusqu'à ce que les plus sages, se mettant entre tous, obligent chacun, pour son propre intérêt, à demeurer en repos. Les fruits de la vengeance empoisonnent celui qui les cueille;

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- Mais on se calme en l'assouvissant..... Quel calme! c'est celui du criminel que l'on détache de dessus la roue.

L'exemple de ce que produisent les persécutions n'est-il pas assez éloquent? On persécute des pâtres, des marchands, des pêcheurs; et ces pâtres humilient les forces de l'empire, et ces marchands deviennent les arbitrés de

l'Europe, et ces pêcheurs tiennent dans leurs mains le commerce des deux mondes. Si la terre leur manque, ils en demanderont aux mers là ils feront sortir de leur sein uue ville suspendue, comme par enchantement, entre les airs et les flots, là ils repousseront plus loin ceux de l'Océan, ils lui marqueront une nouvelle barrière!... Que si cette persécution est religieuse, vous versez dans les veines des prosélytés un poison plus actif, plus dévorant que l'opium, dont s'enivrent les Macassars lorsqu'ils se précipitent nus, un cric à la main, dans les rangs de leurs ennemis épouvantés. Deux torrens partis des extrémités de la terre, l'ont traversé ⚫ comme un orage: le fanatisme fit déborder · ces torrens. Odin, au Nord, Mahomet, au Midi, les soulevèrent et les gouvernèrent. La résistance accrut leur impétuosité. C'est du pied du Calvaire que le Christ a monté au Capitole. Pensez y. N'oubliez pas que tous les partis ont aussi leur fanatisme, et qu'une opinion politique est une opinion religieuse de là découlent naturellement les règles de conduite.

La pensée est un sanctuaire impénétrable où la plus effroyable tyrannie ne peut exercer

d'empire: c'est une propriété aussi indépendante que sacrée. La manifestation de la pensée, soit par discours, soit par les écrits, demeure inattaquable tant qu'elle n'est point liée à des actions matériellement et physiquement subversives de l'ordre social. Laissez donc à toutes les opinions leur manifestation, que d'ailleurs il ne dépend pas de vous d'empêcher; elles se balanceront par les contraires, et vous en aurez meilleur marché par la

Concurrence.

Tel est le devoir du gouvernement, Celui des particuliers est de tolérer pour être tolérés; est de se dire que tout ce qui tient aux apperçus de l'intelligence, aux combinaisons de l'esprit, aux lumières, ne peut être saisi par tous; cela est prouvé par la diversité des tempéramens, par l'inégalité, soit des forces physiques et morales, soit

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des

moyens naturels ou acquis d'instruction. Une opinion erronée, est comme une branche d'arbre tortue que les vents ont tourmentée, et où la sève s'est égarée. Le même homme éprouve combien il diffère de lui dans les différens temps de la vie, dans les différentes saisons de l'année que dis-je? souvent dans une heure; et la raison en est simple. Il

faudroit, pour qu'il fût toujours égal à luimême, qu'il y eût pour lui unité ou continuité des mêmes sensations, principe sur lequel, pour le dire en passant, étoit fondé le systême d'éducation de Platon et de Lycurgue; mais cela n'existant point, l'homine léger, passionné, mobile comme l'onde des circonstances, étant toujours tel que l'ont façonné les moules du lieu, du gouvernement, du siècle, etc.; il faut chercher un autre lien, qui réunisse les membres divers du corps politique. Je conclus:

SI LES HOMMES SONT SÉPARÉS PAR LES OPINIONS RAPPROCHONS LES PAR LES

AFFECTIONS.

Le point d'appui de ce lien est dans la nature. Tout ce qui tient aux premières est, en général et pour plusieurs, incertain, variable; tout ce qui tient aux secondes est fixe, immuable, irrésistible; et vous aurez, par cela même, une pierre de touche, une mesure de l'opinion. Quand elle sera d'accord avec les affections naturelles, l'opinion sera bonne quand elle leur sera opposée, elle sera mauvaise. Il en est ainsi du vice et de la vertu.

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