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égaré, qui enfouit de l'or, étoit à leur tête. Les gendarmes et les voyageurs ont voulu se défendre, mais ils ont été tués ; et parmi les morts, cet homme a reconnu son père et son frère..... La police les a suivis, et ils seront arrêtés cette nuit même. Le bachelier alloit reprendre la dissertation sur la corruption des grandes villes, et enfiler une autre dissertation sur les loix pénales, considérées sous le rapport de prévenir les crimes: ces loix dont la véritable base existe dans la constitution sociale, point de vue sous lequel nul écrivain ne les a encore examinées; mais il fut attiré par le bruit qui partoit d'une maison voisine.

Tome I.

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CHAPITRE X I.

LES OPINIONS, LA TOLERANCE.

Qui discute a raison, mais qui dispute a tort.
RHULIERES.

Au fond d'un grenier, deux hommes séparés par une mince cloison, venoient de la briser, et se gourmoient, en jurant, pour une question agitée au sein d'un café, et qu'ils ne comprenoient ni l'un ni l'autre. Ils s'étoient couchés en discutant; ils disputèrent bientôt, et ils se battoient pour mieux s'entendre. - C'est la fidelle image de ce qui se passe d'un bout de la république à l'autre. Vous voyez en petit ce que sont en grand les factions. J'aime mieux le caractère de ces deux hommes que vous appercevez dans ce salon simple, mais orné de tous les attributs des arts: ils soupent gaiement ensemble, entre leurs enfans et leurs femmes. Ils ont fait des couplets sur le bonheur domestique dont ils jouissent; ils les ont composé avec leur cœur; ils les chantent

avec accent leur plaisir est doublé, parce qu'il est partagé et senti. Ce plaisir brille dans leurs yeux, sur tous leurs traits épanouis par une sensibilité douce. Ils s'appellent amis; ils sont amis, en effet. Le premier est, comme on dit, un aristocrate, et le second est, comme on crie, un démocrate; mais leur erreur, si ce nom pouvoit convenir à chaque opinion, chez le premier vient de l'esprit, chez le second vient du cœur: l'un ne peut voir autrement; l'autre ne peut sentir différemment. Ils le savent, et ils s'estiment.

Ils s'estiment, parce qu'ils gémissent l'un et l'autre sur les fureurs des hommes, quel que soit le titre dont ils les couvrent quelle que soit la source dont elles dérivent; parce qu'ils pensent que l'opinion tient à une infinité de fils délicats, dont l'éducation, les préjugés, les circonstances ont mêlé le peloton; parce que, s'ils avoient à choisir un ami, ils se choisiroient encore; et cependant, si l'épouvantable tocsin des guerres civiles venoit à sonner, on les verroit se précipiter chacun sous une bannière contraire; mais ils iroient se chercher au fort de la mêlée, pour s'embrasser, se défendre mutuellement. Ces caractères sont rares.

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Et pourquoi, reprit le bachelier, ajouter aux malheurs, dont la nature a hérissé toutes les avenues de la vie, celui de la persécution? Comment les hommes, ces êtres foibles et périssables; ces atômes, qui brillent un instant dans l'espace pour s'effacer à jamais, versent-ils sur leurs traces fugitives, le poison des haines, des discordes.... Insensés, que la nature avoit créés, pour s'aimer, pour se secourir dans leurs infortunes mutuelles, pour partager leurs peines, leurs plaisirs, pour valoir et s'appuyer les uns par les autres....

Al! sans doute, lorsque cet être s'échappa à demi - formé, des mains de la nature elle dut gémir sur son ouvrage,. en voyant, et la fragilité de ses organes, ce tissu léger et délicat que le moindre choc alloit briser, et l'imperfection de son entendement qui ne devoit s'éclaircir que peu-à-peu, que tant de nuages enveloppoient, et ses sens bornés et trompeurs, et le limon dont étoit paîtrie son ame, son ame incertaine, irrésolue, mobile à tous les vents des passions, ouverte à toutes les erreurs, à tous les préjugés, dans les flots

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desquels elle est abymée et flottante. Telle

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est la conformation de cet être..... et tout, autour de lui, étale autant de force qu'il présente de foiblesse. Les élémens actifs et déchaînés minent, au moral et au physique, sa constitution, qui change, s'altère, croule et se dissout en détail. A chaque instant, les maladies l'assiégent, et parcourent, comme des essaims dévorans, le globe dépeuplé, qui', dans une agitation sourde et continue, se dévore lui-même.... Plus terrible encore que tous ces fléaux meurtriers, l'homme ouvre, sous les pas de l'homme, d'autres tombeaux!!! Mais, ne nous y trompons pas. L'homme cruel est l'animal domestique, et abruti des sociétés; c'est celui qu'ont dépravé de fausses institutions. La nature l'avoit doué de cet instinct précieux de la sociabilité, qui lui fait désirer l'aspect et la conversation de son semblable; qui, à sa vue, épanouit son visage, et place sur ses lèvres un sourire affectueux; qui donne aux plus farouches tyrans, le besoin d'un confident; qui, au spectacle de cette femme frappée par une tuile, ou de cet enfant écrasé sous les roues d'une voiture, lui arrache un cri de douleur; qui l'attendrit au théâtre sur des malheurs imaginaires,

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