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MAIS

AIS l'agiotage porte avec lui-même son supplice, sa peine et sa ruine.

Je m'adresse à ceux qui ont les premiers combiné ce systême infame, qui en ont fait un art (et c'est ainsi que les brigands ont réduit en démonstration celui d'assassiner), à ces hommes qui spéculent froidement sur le malheur de plusieurs millions de leurs semblables, qui tendent autour de la tribune et du gouvernement leurs filets insidieux; qui ont déchaîné toutes les mesures désastreuses, tous les fléaux désolateurs dont l'effet étoit d'aspirer jusque dans ses derniers

canaux les richesses nationales, dissipées sous leurs mains.

Il est, il est sans doute des momens où la nature se réveille au fond de ces cœurs flétris..... Ces hommes jettent un regard sur euxmêmes, et se font horreur.... Le souvenir d'une bonne action ne vient jamais sourire à leur pensée, et ranimer, relever leur être.... Ils sont seuls dans la nature..... Ils ne sont ni fils, ni époux, ni pères, ni citoyens..... Le remords, comme un spectre effrayant, tire, dans la nuit, leurs rideaux de pourpre, s'assied à leur chevet, et les flagelle de ses serpens; il déroule devant eux la liste de leurs crimes; il évoque les fantômes des malheureux; il fait planer leur malédiction solemnelle sur ces têtes impies: elle sera exaucée; déjà elle est entendue.... Ils ne peuvent sommeiller sur l'édredon, les scélérats, tandis que leurs victimes goûtent, sur la paille et sous un toit ouvert aux injures des élémens, le sommeil de l'innocence et de la paix.

Ils crient en vain comme Macbeth: Horrible fantôme, arrête! Il les suit, il appelle près de leur lit les songes sinistres; le tocsin des vengeances retentit à leurs oreilles: ils rêvent

qu'on les déchire en lambeaux, qu'on les précipite dans des feux, qu'on apprête pour eux des gibets et des roues, qu'ils vont expirer dans des supplices affreux: un avenir plus épouvantable s'offre à ces ames foibles et coupables; c'est pour elles qu'un Dieu vengeur existe, et que les poëtes ont inventé un Tartare.

J'ajoute que l'agiotage traîne avec lui sa ruine. En effet, rien n'est si près de l'extrême misère que l'extrême opulence. L'esprit de suite et d'activité que suppose l'élé-vation d'une grande fortune s'use et se dissipe: les moyens de conserver sont d'ailleurs différens de ceux d'acquérir; ici la moindre précipitation, la moindre négligence est funeste. L'habitude est contractée, la soif de l'or et des jouissances s'accroît comme celle de l'hydropique; on se lance de nouveau dans les entreprises, on lasse son bonheur, et on rencontre enfin l'écueil et le terme de tant d'excès. Le mot de La Bruyère à l'égard des partisans, c'est-à-dire, des financiers et des fournisseurs de son temps, est profondément vrai: « Les partisans nous

font sentir toutes les passions, l'une après » l'autre. L'on commence par le mépris, à

"❞ cause

» cause de leur obscurité; on les envie en" suite, on les hait, on les craint.... L'on » vit assez pour finir à leur égard par la "compassion".

Et déjà éclatent de toutes parts les faillites honteuses. L'abyme qu'ils ont creusé sous les pas des autres s'ouvre enfin pour euxmêmes. Des fripons plus adroits ou plus heureux les trompent à leur tour. Tout cet édifice de prospérité s'écroule avec fracas, comme ces châteaux élevés par la magie au fond des déserts. Les parasites s'éloignent, les connoissances qu'ils appeloient leurs amis les persifflent, leur épouse et leurs enfans les maudissent; ils restent seuls entre le désespoir et le mépris.

Et croyez-vous que ceux qui penseroient se soustraire à cet inévitable revers échapperont de même au jour de la justice?

Il viendra peut-être ce jour, où le magistrat demandera compte à quelques hommes de leur fortune, où les gens de bien, satisfaits et vengés, applaudiront à la chûte de ces colosses d'immoralité.

Ils le craignent ce jour : ils sèchent dans l'attente, ils pâlissent à cette idée; cette

Tome I.

H

image suffit pour corrompre et empoisonner toute leur joie. Elle ronge leur pensée comme un ver secret: elle fait sur eux l'effet de l'épée de Damoclès.

L'orateur se tut: l'assemblée applaudit, et quelques amis lui donnèrent le conseil d'étendre ces réflexions, et de les dédier au gouvernement.

Le diable remonta sur son nuage, et le bachelier s'envola avec lui.

J'aurois voulu connoître cet orateur, di-
C'est un homme que

soit le bachelier.

l'agiotage a ruiné, et qui ressemble à D...., lequel fit un gros livre contre le jeu après y avoir perdu sa fortune.

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