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cette saleté n'existe pas à Jeypore avec ses rues larges et ses trottoirs magnifiqnes. Les Musées à Jeypore et à Baroda sont les plus beaux que j'ai visités dans l'Inde. Partout dans ces villes il y a de l'espace et de la lumière, de belles maisons et un air général de prospérité. Dans l'Inde britannique il faut aller dans les quartiers européens pour trouver ceci. Et puis comme les Etals sont plus petits, il est plus facile d'y tenter des expériences, la machine officielle fonctionne plus facilement; si l'expérience ne réussit pas, les conséquences sont moins désastreuses. En outre, les relations entre les gouvernants et les sujets sont plus simples et plus naturelles. Les saluts adressés au Rajah, lorsqu'il passe en voiture le soir, viennent directement du cœur. On peut respecter le fonctionnaire britannique mais on ne l'aime pas. Finalement ces Etats offrent des emplois à des hommes d'Etat de l'Inde; il y a maints exemples de cela. Heureusement la politique d'annexion de Lord Dalhousie n'est plus en faveur et aucun acte dans la longue carrière de Lord Salisbury ne lui fait plus d'honneur que la part qu'il a prise en rendant le Mysore à un gouvernement indigène. Il serait peut-être désirable que, dans l'avenir on augmentât l'étendue des territoires gouvernés par des chefs indigènes.

BULLETIN D'ANGLETERRE

I

Londres, le 22 Frédéric (115). 26 Novembre 1903.

Enfin, il a parlé! M. Chamberlain a fait un grand nombre de discours pendant les mois d'octobre et novembre. Il ne s'est pas ménagé, car il a commencé à parler en Ecosse; de là il s'est rendu au nord de l'Angleterre, puis à Birmingham et à Liverpool et il vient de faire deux discours dans le Pays de Galles. Son activité est étonnante quand on considère son âge. Non seulement il fait cette propagande énergique en prononçant de longs discours qui sont reproduits in extenso dans les journaux (car nos journaux sont très grands: dix ou douze pages tous les jours), mais une ligue appelée du nom de spécieux de «< ligue pour la réforme des tarifs » a littéralement inondé le pays avec des brochures dont on a publié des millions. Il faut toujours se rappeler que M. Chamberlain est passé maître dans l'art, non seulement de parler aux foules, mais aussi de tirer des carottes, et qu'il trouve toujours à sa disposition de grandes sommes d'argent. Voudrait-il réunit une somme de £100 000 (2 500 000 francs), qu'il n'éprouverait pas, je crois, de difficultés sérieuses. Il propose de mettre un impôt sur le blé, la farine, la viande, les produits alimentaires tels que le beurre, le fromage, etc., venant de l'étranger; cet impôt qui, pour commencer, serait très léger, aurait pour but d'avantager les colonies, surtout le Canada et l'Australie. En outre, M. Chamberlain propose de mettre un impôt de 10 % ad valorem sur tout produit manufacturé venant de l'étranger. De cette manière il espère que l'ouvrier surtout celui qui chôme

votera pour son projet.

Il est clair que le premier résultat de ce nouveau système pro

tectionniste serait de faire payer à l'ouvrier son pain plus cher et en même temps d'augmenter le prix de tout objet manufacturé. Il n'est pas du tout prouvé que ces réformes diminueraient le nombre des chômeurs et il est à remarquer que les chefs des syndicats ouvriers se sont opposés à cette mesure. Par contre, il est clair que le plan de M. Chamberlain est très favorablement accueilli par tous les propriétaires fonciers qui pourraient alors recevoir plus de rentes pour leurs fermages, et par les manufacturiers trop heureux d'être débarrassés de la concurrence des manufacturiers étrangers. Il y a eu une petite révolte parmi certains membres du parti unioniste et conservateur, mais elle n'est pas sérieuse, et les révoltés se soumettront, ou sinon ils perdront leur siège de député. Déjà Sir Michael Hicks Beach a rejoint le rang.

Les libéraux naturellement ne veulent pas entendre parler de ces nouveaux impôts, mais ils ne veulent pas reconnaître qu'il y a beaucoup de pauvreté dans le pays; ils citent des chiffres démontrant que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Voyez, disent-ils, l'impôt sur le revenu rend davantage et aussi l'impôt sur les successions. Comme si cela signifiait quelque chose, car l'impôt sur le revenu n'est pas payé à moins d'avoir 4 000 francs de revenu et les successions de moins de 2500 francs ne paient pas d'impôt. Or il est évident que tout cela n'a rien à faire avec l'ouvrier et ces chiffres ne prouvent qu'une chose, que la classe moyenne est plus riche. Là n'est pas la question, c'est du prolétariat dont il s'agit. Aussi est-il parfaitement ridicule de parler de l'argent déposé à la Banque d'Angleterre et dans d'autres banques. Un des chefs du parti libéral, M. Asquith, a même trouvé la vraie raison de la pauvreté de l'ouvrier: c'est l'alcoolisme. Encore une explication si simple qu'elle ne pouvait venir qu'à un libéral! Evidemment, si un ouvrier ne buvait que de l'eau et ne mangeait que du pain sec il pourrait mettre plus d'argent à la caisse d'épargne et alors aussi le capitaliste pourrait lui donner moins de gages et pourrait payer de plus beaux dividendes à ses actionnaires.

Ce qui est extraordinaire c'est que les adversaires de M. Chamberlain, sauf quelques exceptions bien entendu, ne veulent pas voir (ou le voyant, ont peur de le dire) qu'une des causes de la détresse est le gaspillage pour employer un mot très modéré de plus de 6 milliards en Afrique. Tout le monde se dit impérialiste, et s'il en est ainsi, pourquoi attaquer le représentant le plus éminent de cette opinion qui, du moins, sait ce qu'il veut.

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Les socialistes ont eu le courage de le faire, et il n'est pas douteux, à mon avis, que le socialisme recrutera bien des adhérents après cette campagne.

Naturellement, les libéraux croient qu'ils vont remporter la victoire aux élections générales qui auront lieu, disent-ils, en 1905. Mais je crois que ceci est très douteux, beaucoup d'ouvriers seront séduits par la rhétorique de M. Chamberlain et, en outre, l'état d'indécision de bien des libéraux leur fera beaucoup de tort. Entre un libéral impérialiste comme Lord Rosebery et un impérialiste comme M. Chamberlain c'est kif-kif (comme vous dites) et beaucoup voteront en espérant qu'il en sortira quelque chose de bon pour eux. Pauvre John Bull, c'est lui qui paiera en somme. On dira peut-être qu'il n'aura que ce qu'il mérite; cela est peut être vrai, mais il faudra quand même le plaindre car il n'avait personne pour le conseiller.

L'attitude du parti irlandais a été et est très curieuse en ce moment. Ses membres ne disent rien; il y a là 80 à 90 députés qui pourront peut-être un jour renverser un gouvernement soit libéral, soit conservateur. M. Beesly a souvent fait remarquer que la présence des députés irlandais rendait plus facile des tripotages de cette façon et les événements sont en train de démontrer qu'il avait raison. Déjà les organes du gouvernement parlent de fonder une Université catholique en Irlande et ce n'est que des arrhes pour le parti irlandais. Je ne blâme pas le parti irlandais qui est logique en se faisant payer pour ses services, mais j'ai voulu signaler ce nouvel élément de complication dans notre politique. M. Chamberlain lui-même cherche à les ménager en déclarant qu'il ne mettrait pas d'impôt sur le maïs, dont la consommation est grande en Irlande.

Les Etats-Unis réclamaient une partie du territoire du Canada, disant que cela faisait partie de l'Alaska, notre gouvernement proposa de faire trancher le litige par la Cour arbitrale de La Haye, mais les Américains refusèrent. Enfin, après bien des pourparlers on nomma une commission de six membres: trois Américains, deux Canadiens et un Anglais. Les Américains, avant de venir siéger à Londres, déclarèrent qu'ils étaient convaincus que le territoire en question appartenait aux Etats-Unis. La Commission siéga à Londres et les Américains eurent gain de cause, le membre anglais du tribunal votant avec eux. Cela nous est un peu indifférent, mais cela n'a pas fait plaisir aux Canadiens, qui ont carrément refusé de signer la décision. Déjà les

Canadiens se sont plaints que s'ils ont des litiges avec les EtatsUnis leurs intérêts sont toujours sacrifiés. Cela est un fait qui montre aux Canadiens un de leurs désavantages à être une colonie anglaise. Le premier ministre du Canada, Sir Wilfrid Laurier a déjà refusé de contribuer aux dépenses de l'armée ou de la marine anglaise, et il a aussi refusé de promettre, comme le ui demandait M. Chamberlain dans un de ses derniers discours, de ne pas établir de nouvelles manufactures au Canada. Jusqu'à présent les Colonies ont eu tous les avantages et il sera curieux de voir quelle sera leur attitude quand elles commenceront à devoir contribuer aux charges de l'Empire.

Notre petite guerre continue toujours au Somaliland, nous y envoyons des troupes de l'Inde et on propose de bientôt commencer à marcher contre le Mullah, qui est fou. Je ne serais pas surpris si notre gouvernement essayait de faire payer les frais par les finances de l'Inde ; c'est si facile là-bas, il n'y a pas de parlement!

Mais nous allons entreprendre une nouvelle guerre et, cette fois, au nord de l'Inde, au Thibet. Les habitant de ce pays1 en veulent pas laisser pénétrer les Européens chez eux, et que ce soit un mal ou un bien c'est évidemment leur affaire. Mais la classe dirigeante anglaise aux Indes a la manie de toujours vouloir annexer quelque chose. Or, maintenant nous allons y envoyer une expédition dont, naturellement, les frais seront payés par les finances de l'Inde. On a trouvé un prétexte (quand on veut battre son chien, dit le proverbe, on trouve toujours un bâton), c'est que les Russes pourraient envahir l'Inde par ce côté, mais il n'est nullement prouvé qu'ils ont cette intention et l'Inde n'a jamais été envahie de ce côté-là.

Le nouveau traité d'arbitrage conclu entre la France et l'Angleterre est un événement dont nous sommes heureux. Il est vrai que d'après les termes du traité même on ne pourra soumettre au tribunal que des litiges de peu d'importance. Mais c'est un commencement, et il faut espérer que plus tard on conclura un traité sur des bases plus larges.

Nous avons vu aussi avec joie la visite des députés anglais aux

1. En 1866, deux missionnaires français, MM. Huc et Gabet, allèrent dans le Thibet, mais ils furent éconduits; leur récit est très intéressant et a une très grande valeur. Il a été mis sur l'index à Rome parce que les missionnaires trouvèrent trop de ressemblance entre les cérémonies bouddhiques et le christianisme, et parce qu'ils discréditèrent la légende des petits Chinois abandonnés par leurs parents.

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