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La vente de gré à gré est onéreuse pour le colon; elle l'oblige à verser de suite un capital important qu'il peut ne pas avoir à sa disposition au moment même; elle l'oblige à faire des emprunts à des banques, emprunts plus ou moins ruineux et qui constituent pour son exploitation un poids des plus lourds.

La concession gratuite n'est pas rationnelle. La terre est une œuvre ou tout au moins une conquête sociale. Il est donc contraire aux principes que, d'un trait de plume, le gouvernement fasse abstraction des droits de la puissance publique et remette gratuitement à des particuliers, sans aucune compensation, ce qui doit appartenir sous certain rapport à la collectivité sociale.

Le système des concessions emphyteotiques nous paraît la solution indiscutable du grand problème de colonisation que nous venons de poser.

Et ce système, on devrait l'appliquer non seulement en Algérie, mais en Tunisie et dans nos colonies françaises.

Les applications que nous venons de signaler ne sont que des exemples.

Nous sommes convaincus qu'avec le temps la pensée d'Auguste Comte deviendra de plus en plus une réalité. De plus en plus, la propriété se transformera et s'épurera; de plus en plus, elle prendra un caractère altruiste et social.

On a dit souvent que la propriété est la manifestation, le prolongement de la personne humaine. A ce point de vue, toute révolution, tout changement dans l'état des personnes ne peut que se traduire dans l'organisation de la propriété et de la richesse publique.

Au fur et à mesure que la personne humaine s'élève à une condition meilleure, il y a lieu de refaire le régime de la propriété et de l'harmoniser avec l'état des personnes.

C'est d'ailleurs l'évolution naturelle des choses qui opère naturellement et insensiblement cette transformation.

Grâce à la théorie de Comte, nous avons des vues nettes et précises sur ce que sera la société future et la propriété de l'avenir. Avec cette doctrine, nous avons la clef du problème social.

Le parti collectiviste a une théorie sur la question de la propriété; le parti radical-socialiste a sur cette matière des notions un peu vagues, un peu confuses.

Notre doctrine de l'emphytéose convient à merveille aux radicaux-socialistes. Nous offrons notre étude aux méditations de tous les esprits réfléchis qui recherchent sans parti pris la solution de cette grande question si angoissante pour la démocratie: la question sociale.

CARRÉ.

IV

LA QUESTION DE L'ALSACE-LORRAINE

Extrait du journal Le Temps, du 18 avril 1904.

On se rappelle qu'il y a quelque temps, un écrivain suédois, M. Nystrom, a publié une brochure sur l'Alsace-Lorraine, qui fit sensation. Il vient de reprendre le même thème et de l'amplifier encore dans une seconde brochure, où il déclare qu'au point de vue sociologique l'Alsace-Lorraine, quoique étant de langue allemande, est unie à la France par des liens étroits et par deux siècles de traditions.

Cette assertion a naturellement soulevé de vives protestations de la part de certains journaux allemands, qui estiment que les 800 ans ayant précédé l'annexion de l'Alsace par Louis XIV ont dû au moins autant contribuer à rattacher sociologiquement l'Alsace à l'Allemagne que ne l'ont fait pour la France les deux cents ans de domination française.

Il était intéressant de savoir ce que diraient les journaux alsaciens. Un article, qui vient de paraître dans les Affiches de Strasbourg, signé Fr. H., très courageusement donne son opinion, et place en 1789 la véritable annexion de l'Alsace à la France.

Les affinités de races, de religion, de langue, qui unissaient l'Alsace à l'Allemagne, dit-il, disparurent devant la liberté conquise, devant cette libre communauté d'idées, de sentiments, de

volontés, qui attache des hommes et des peuples à une même patrie et fait de la nation une personne, un organisme moral, dans lequel les différences mêmes servent à la vie et à la puissance de l'ensemble.

Cette liberté que, sur les champs de bataille, surent conquérir les volontaires de la République et les généraux alsaciens qui soutinrent la gloire française, cette liberté fit plus que toutes

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les années écoulées depuis 1648.

L'Alsace devint française, non parce que, pendant deux cents ans, elle avait été gouvernée par la France, mais parce que, par la conquête de sa liberté, elle s'assimila à elle.

La liberté, ce fut là le lien important qui rattacha l'Alsace à la France, la liberté et le respect qui toujours furent accordés à ses intérêts, à ses vœux, à ses traditions, à sa langue.

Le maintien même de cette langue allemande, qu'on invoque à tout propos pour attester notre origine germanique, est un des témoignages les plus éclatants de la tolérance qui, sous la domination française, était en vigueur. Point n'existaient alors de décrets sur les enseignes, point de mesures restrictives contre tout ce qui était allemand. Les Alsaciens aimaient la France parce qu'ils lui devaient la liberté et parce qu'ils voyaient en elle une nation noble et enthousiaste, qui avait prodigué sa pensée, ses trésors et son sang pour l'émancipation du peuple.

I

M. J. CALCAS

Nous avons le regret d'apprendre la mort de notre confrère, M. Jules Calcas, décédé à Saint-Mandé le 15 mars dernier, à l'âge de 55 ans, après une longue et douloureuse maladie.

M. Jules Calcas était membre de la Société positiviste depuis plus de quinze ans. Ses occupations de chef-comptable dans une grande maison de produits chimiques et l'éloignement de son domicile ne lui permettaient pas d'assister à nos réunions aussi souvent qu'il l'eût désiré.

Volontiers silencieux, d'allure modeste, il passait inaperçu : mais ceux qui ont joui de son intimité peuvent témoigner de la vive intelligence et des hautes qualités de cœur qu'il mit, avec un dévouement absolu, au service de ses chefs commerciaux et qui, dans sa commune, lui valurent la confiance maintes fois renouvelée de ses concitoyens.

Avec une ardeur inlassable, comme conseiller municipal, administrateur de la caisse des écoles, fondateur d'un patronage laïque, administrateur de la Bibliothèque de Saint-Mandé, il s'appliquait à introduire dans la gestion des affaires publiques ses qualités remarquables d'ordre et de méthode. Il mettait à la disposition de tous sa grande expérience, son jugement droit, sa parole affable, sa bienveillance et son altruisme toujours en éveil. Nous n'avons pas eu le bonheur d'utiliser directement, pour le développement de la grande cause qui nous est chère, des dons si précieux; mais M. Calcas, rallié depuis longtemps au positivisme, en pratiquait étroitement les préceptes et la reconnaissance avisée de ses amis put facilement distinguer à quel ardent foyer il retrempait son courage, à quelle discipline supérieure il avait demandé la direction de sa vie.

Sur sa tombe, M. Rischmann, ancien maire de Saint-Mandé, a rappelé ses convictions philosophiques et religieuses dans le discours suivant que nous sommes heureux de reproduire :

Mesdames, Messieurs,

Il semble que notre ami Calcas, qui était doué de la plus excessive sensibilité, avait été frappé au cœur, l'an dernier, par la mort de sa femme.

Depuis ce moment, il nous apparaissait à tous physiquement transformé, tout différent de lui-même, et l'on devinait, en le voyant, qu'il devait souffrir d'un mal secret qui, avivé par la douleur de l'âme et par les regrets de l'être aimé disparu, allait faire des progrès rapides.

Aussi, malgré les soins tendres et dévoués dont sa fille et son gendre n'ont cessé de l'entourer durant plusieurs mois, nuits et jours, il vient de s'éteindre avant l'heure, à l'âge de cinquante trois ans, terrassé par cette douleur intime, compliquée d'une terrible maladie qui ne pardonne presque jamais.

Il est mort cependant, comme il avait vécu, le sourire sur les lèvres, rentrant en lui-même sa douleur, toujours tendre pour les siens, pour ses enfants et petits-enfants, dont un de plus lui élait venu, toujours affectueux, aimable pour tous, sans une plainte, formant même des projets, la conscience tranquille et animée de cette philosophie rationnelle qu'enseigne à ses disciples la belle et simple religion d'Auguste Comte, la seule à laquelle il croyait tout au fond de lui-même!

Cette Philosophie fait les hommes supérieurs aux autres, et Calcas en alimentait depuis longtemps son âme, son cœur et son esprit.

Arrivé à Saint-Mandé en 1892, il y a douze ans à peine, il avait bientôt pris une place importante parmi nous, se faisant remarquer entre tous par son intelligence vive et lucide, par son jugement ferme, droit et sûr, par son humeur toujours égale, par son extrême bonté, par son indulgence pour la faiblesse des autres, en même temps que sa grande sévérité pour lui-même et aussi par l'élévation de ses sentiments qui le portaient à n'aimer que le Bien et la Justice, et à s'intéresser aux faibles, aux petits, ainsi qu'à toutes les œuvres réellement républicaines, démocra tiques et humanitaires.

C'était un républicain patriote à la manière de Gambetta, né, comme lui, à Cahors, sous le ciel du Midi, mais doublé d'un philosophe et d'un penseur philanthrope, à la manière de Littré et d'Auguste Comte!

Aussi, à peine était-il à Saint-Mandé que, cédant à son double penchant, il s'inscrivit de suite à toutes nos Sociétés locales, patriotiques, philanthropiques ou d'intérêt général.

Mais il se consacra surtout à la Caisse des écoles et à la bibliothèque des Amis de l'Instruction, se plaisant, pour satisfaire ses goûts d'ordre et de méthode, à apporter d'heureuses modifications dans les écritures, dans la tenue des livres, comme dans

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