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commerce avec les dieux, Comte parle des conditions remarquables introduites dans la nature humaine par l'important phénomène moral et mental de la Prière dont les résultats sont très appréciables si l'on considère ce premier stade de notre évolution. Dans le 6° volume, il indique qu'une des principales fonctions du nouveau pouvoir spirituel sera d'imiter sagement le Catholicisme en organisant un ensemble d'institutions publiques et privées ayant pour objet de vivifier, de stimuler notre faculté de solidarité sociale. Et comme cette solidarité est incomplète si l'on n'y ajoute le sens de la continuité historique de notre race, le Positivisme mettra en jeu un de ses meilleurs attributs en établissant un système de commémoration universelle dont le Catholicisme ne nous a donné qu'une esquisse, le caractère étroit et absolu de ses principes lui interdisant de concevoir comme un tout le passé de l'Humanité. Il ajoute encore que la Morale positive visera toujours à nous convaincre que le bonheur humain est inséparable de la reconnaissance des actions bienveillantes et des émotions sympathiques à l'égard du genre humain et que ces sentiments doivent s'étendre à tous les êtres sensibles dans la mesure de leur utilité sociale.

Ce qui précède nous permet d'apprécier l'état d'esprit de Comte lorsque la lettre à Mme Austin fut écrite. La Philosophie positive ne s'était jamais présentée à lui comme étant uniquement une règle pour bien penser, mais aussi pour bien sentir et bien agir; et le moment était venu de faire connaître à ses semblables la triple nature du problème. Cette lettre pourrait être comparée à celle écrite à Mme Clotilde de Vaux, en juin 1845, sur la Commémoration sociale (Politique positive, vol. I) et aussi au chapitre final de l'Exposé général du Positivisme, publié trois ans après, et dans lequel, pour la première fois, le Positivisme est envisagé comme religion; cette dernière expression ayant été, jusqu'alors, employée par Comte dans son acception théologique.

En 1845-46, une grande crise surgit dans sa vie privée. Nous n'essaierons pas de diminuer l'influence que son affec

tion pour Mme Clotilde de Vaux eut sur ses pensées et ses sentiments. Mais, par contre, il est hors de doute que si cette crise donna plus d'ampleur à son œuvre, elle n'en changea ni le caractère, ni le but. Du commencement à la fin de sa carrière, ses efforts philosophiques tendirent vers la Religion de l'Humanité, centre de nos sentiments, de nos pensées et de nos actes. Avant la crise, pas moins qu'après, la prière fut pour lui un facteur important de la formation et de l'entretien de l'idéal.

(Traduit de l'anglais par G. Tridon )

J.-II. BRIDGES.

BULLETIN DE L'INDE

LES ÉTATS INDIGÈNES DE L'INDE

Les journaux en Angleterre ont réussi à persuader leurs lecteurs que le Durbar de Delhi fut bien vu par les Hindous et qu'il a considérablement augmenté la loyauté du peuple indien envers ses maîtres britanniques. Pour preuve de ceci on se contente de citer le goût des Orientaux pour les cérémonies et le faste, sans vouloir rien entendre de contraire à cette manière de voir. J'étais dans l'Inde pendant le Durbar et il ne m'a pas semblé qu'il fut populaire; au contraire, je remarquai qu'il causait beaucoup de mécontentement. Je n'avais qu'à dire que j'avais assisté au Congrès national et que je n'avais pas été au Durbar et je voyais que cela me faisait bien voir partout des Hindous. Il n'est pas du reste difficile d'expliquer pourquoi les Hindous n'aiment pas le Durbar de Delhi. Des gens qui se plaignaient depuis longtemps de l'argent gaspillé par le gouvernement ne devaient pas être disposés à se réjouir d'une cérémonie si coûteuse; tandis que ceux qui s'occupent de questions politique voyaient avec peine ce qui leur semblait un nouvel effort pour diminuer le prestige des princes indigènes. La proposition que les fils de princes régnants seraient les pages du Vice-Roi proposition qui fut depuis retirée et qui montrait que le gouvernement ne comprenait pas les opinions indiennes laissa des pensées indignées et amères. Le Nizam du moins on l'assure couramment en rendant hommage, a recouvert son prestige en lisant une phrase dans laquelle il se qualifiait d'allié de l'Empereur-Roi et cette assertion fut bien reçue dans toute l'Inde surtout parce que le Nizam, entouré de parents puissants et ayant un nombreux harem, n'avait jamais montré qu'il eût un caractère énergique. Ce ne fut seulement pas parmi les Indiens seuls que ces effets du Durbar furent reconnus car bien des Anglais dans l'Inde le

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louèrent parce que, disaient-ils, il forcerait ces gens-là - c'està-dire les chefs indigènes à savoir tenir leur place.

On demandera naturellement pourquoi des Indiens vivant directement sous le gouvernement de la Couronne britannique désirent honorer les Chefs indigènes et s'indignent si on essaie de diminuer leur prestige. D'après l'opinion des Anglais aux Indes, les habitants de ces États vivent sous des despotes qui ont moins d'énergie, de respect pour la liberté personnelle, de capacité administrative que le plus petit des fonctionnaires anglais. Si en somme leur gouvernement vaut quelque chose, c'est grâce à l'exemple des Anglais et aux soins vigilants du Résident anglais. S'ils n'étaient pas là, les pires effets de la tyrannie asiatique renaîtraient comme jadis, avant que les Anglais ne viussent protéger les Indiens contre eux-mêmes. Par son annexion de l'Inde Lord Dalhousie rendit un grand service aux habitants de ce royaume, et restaurer le gouvernement indigène dans un district quelconque seraitt presque un crime commis contre cette population. Il est vrai qu'un ou deux écrivains en Angleterre, que leur sympathie pour le peuple indien rend dignes de l'attention du public, ont une opinion différente. Pour eux les Etats indigènes libérés des maux économiques de l'Inde britannique sont des oasis bénis au milieu d'un désert dévasté par la famine. La vérité ne se trouve dans aucun de ces systèmes. Les Etats indigènes ne sont pas économiquement indépendants, et il y a de fortes raisons pour lesquelles les Indiens doivent désirer les préserver et font bien de regretter tout ce qui pourrait diminuer le prestige des chefs indigènes.

L'étendue du pays sous l'administration de ces chefs est plus grande qu'on le croit ordinairement. Plus d'un tiers de l'Inde et peut-être le cinquième de sa population est gouverné par eux. On les trouve un peu partout. Il y en a quelques-uns dans les Himalayas et dans le Punjab. Au sud de cette province il y a le groupe nombreux de Rajputana, et dans l'un de ces Etats, Oodeypore, les chefs prétendent descendre du héros épique Rama, ce qui leur donne des ancêtres autrement lointains que les descendants de Alfred et de Hugues Capet. Puis il y a les Etats de Kaltywar, qui, dans ce coin éloigné, ont survécu à la formation et à la chute d'Empires. Dans l'ouest et le centre de l'Inde il y a ce qui reste des royaumes des Mahrattes les territoires de Scindia, d'Holkar et du Gaekwar de Baroda. En outre il y a le pays du Nizam qui a une population double de celle de l'Irlande, et les Etats prospères de Mysore et de Travancore, tandis que le

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Rajah de Cochin, dont les ancêtres furent les premiers à entrer en relation avec les Européens, existe toujours. Pendant mon séjour dans l'Inde j'ai visité cinq de ces Etats: l'Etat mahométan · de Hyderabad, les Etats mahrattes de Gwalior et de Baroda, Jeypore dans le Rajputana et Limdi dans le Kattywar; dans cet Etat, j'étais le seul Européen et mon boy, de Madras, le seul chrétien.

On ne pouvait certainement pas dire que tous ces Etats avaient pu échapper à la famine et on pourrait conclure que la pauvreté de l'Inde n'a rien à voir avec la politique. Mais en fait l'Inde britannique domine les Etats indigènes politiquement et économiquement. L'exportation des produits de l'Inde doit se faire par les grands ports qui sont dans le territoire britannique, et, de cette manière, les effets du drainage, en augmentant le prix de ce qui est importé et en diminuant ce qui est exporté, sont sentis partout. De même ces Etats sont exposés à l'invasion des produits à bon marché de l'Europe et ainsi les industries indigènes sont exposées à tomber en décadence. Le Gouvernement est presque aussi cher. Car d'abord on a enseigné aux princes que la machine compliquée de l'ad-mi-nis-tra-tion établie dans l'Inde britannique est le nec plus ultra de la sagesse politique qu'ils doivent copier autant que possible, et puis, attaché à chaque Etat important ou à chaque groupe de petits Etats il y a un Résident britannique qui veille constamment et dont il ne fait pas bon de rejeter les conseils; or, ceux-ci sont ordinairement des réformes qui exigent de grosses dépenses.

On pourrait croire qu'il n'y a rien à gagner en préservant les Etats indigènes. Mais ce n'est pas l'opinion de la majorité des Indiens. D'abord il y a l'avantage économique que les fonctionnaires y demeurent et dépensent leurs salaires et leurs pensions dans l'Inde quoique pas toujours dans les Etats où ils ont servi. Les meilleurs princes cherchent leurs ministres dans toutes les parties du pays. Et si, pour les raisons que je viens de donner, les districts ruraux ne sont pas plus prospères que ceux de l'Inde britannique, les capitales des Etats indigènes font une grande impression sur les voyageurs. Dans le territoire britannique une grande partie des ressources municipales sont gaspillées pour le quartier européen. La ville indigène paraît être très négligée, surtout à Calcutta sous le règne de sa municipalité réformée el à moitié européenne. Mais à Jeypore, et à Gwalior, et à Baroda il n'y a pas de quartier européen important. Les Indiens parlent souvent de la saleté du quartier indigène de leurs villes mais

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