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en soit l'origine; le second, c'est qu'ils sont indiscernables au milieu des erreurs et des contradictions, tant que la philosophie positive d'A. Comte ne vient pas en indiquer la place et la liaison; le troisième, c'est qu'ils sont absolument stériles, tant pour les contemporains que pour les successeurs, aussi longtemps que l'utilité particulière n'en est pas révélée par l'utilité générale de la philosophie positive ».

A l'appui de l'argumentation de Littré, rappelée par M. Corra, M. HILLEMAND fait valoir ce fait qu'on chercherait vainement trace de la loi des trois états, attribuée à Turgot par les ennemis de Comte, dans l'Esquisse d'un Tableau historique des Progrès de l'Esprit humain de Condorcet. Or, si Turgot avait vraiment trouvé cette loi capitale, dénommée par Stuart Mill l'épine dorsale de la nouvelle philosophie, comment pourrait-on expliquer que Condorcet, l'ami et l'admirateur de Turgot, n'ait pas songé à en faire la base de son Tableau historique et ait préféré le diviser artificiellement et un peu arbitrairement en trois périodes et neuf épo ques n'offrant aucun rapport avec ladite loi. La vérité est évidemment que l'aperçu de Turgot était indiscernable au milieu des erreurs et des contradictions, qu'il était fragmentaire, et qu'il devait rester stérile pour les contemporains et les successeurs tant qu'Auguste Comte n'était pas venu en indiquer l'importance et la liaison avec le reste de la Philosophie positive.

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M. HILLEMAND aborde ensuite l'analyse et l'appréciation du gros volume de goo pages consacré, par Franck Alengry, à l'étude du rôle joué par Condorcet : 1° dans l'avènement et l'évolution de la Révolution française; 2o dans la formation de la science du Droit constitutionnel; 3o dans la fondation de la Sociologie. Malgré que l'importance du rôle joué par Condorcet dans la préparation et dans le développement de la Révolution française ait déjàété signalée par diverses personnalités de l'Ecole positiviste, notamment par M. Robinet, il est équitable de reconnaître que l'ouvrage de M. Alengry nous met en possession d'une foule de documents inédits tendant tous à faire de Condorcet l'un des principaux guides du mouvement révolutionnaire et républicain. On savait déjà que Condorcet, longtemps avant 1789, avait participé, par ses écrits, au mouvement de décomposition du régime catholico-féodal, avec Voltaire et Rousseau, en ne laissant passer aucune occasion de protester contre les monstrueux abus de l'ancien régime. On savait aussi qu'il avait participé, d'une façon non moins efficace, dans les rangs des Encyclopédistes, au mouvement

de recomposition d'un régime nouveau fondé sur la science, l'art et l'industrie, par ses travaux inathématiques, par ses Eloges historiques, par une première élaboration des principaux problèmes de l'Economie politique, de la science constitutionnelle et de la Sociologie. On savait encore qu'il avait été successivement membre de la Commune de Paris, de l'Assemblée législative, de la Convention, et que, dans ces diverses situations, il avait été mêlé aux affaires les plus importantes du temps, qu'il avait pris part aux principales discussions parlementaires, qu'il avait présidé à l'organisation de l'enseignement public, etc... On savait également que son salon avait été l'un des lieux de réunion les plus fréquentés de l'élite de la société républicaine, etc. Mais il n'était guère possible, avant le travail de M. Alengry, de mesurer toute l'importance du rôle que le glorieux survivant des Encyclopédistes a joué – comme journaliste, discutant dans la presse toutes les questions d'actualité qui agitaient l'opinion, comme orateur de réunions publiques, cherchant à éclairer le peuple, -comme causeur, cherchant à convaincre les intellectuels qui étaient d'un avis contraire au sien. En se reportant aux documents produits par M. Alengry, on reste confondu d'une aussi prodigieuse activité, soutenue pendant plusieurs années.

M. Alengry ne s'est pas borné d'ailleurs à mettre en lumière l'importance du rôle joué par Condorcet de son vivant, il s'est attaché à démontrer l'importance de l'influence posthume qu'il a exercée sur la Convention, puis sur les survivances républicaines à l'époque de l'Empire et de la Restauration, plus tard enfin, par l'intermédiaire de l'Ecole positiviste, sur le réveil du parti républicain et sur sa politique depuis 1870. M. Alengry aurait même pu ajouter que, de nos jours, l'influence de Condorcet s'est traduite, à plusieurs reprises, dans quelques-uns des plus beaux discours de M. Léon Bourgeois, dont certains ne sont, à vrai dire, qu'une paraphrase de pages éloquentes de Condorcet.

Dans la deuxième partie de son travail, M. Alengry attribue à Condorcet le mérite d'avoir déterminé la méthode du Droit constitutionnel, assigné son fondement et tracé ses cadres. Ce qui ressort surtout des nombreux documents qu'il produit à l'appui de ses dires, c'est que Condorcet a effectivement agité et discuté toutes les questions de la politique contemporaine, et inspiré quelques-unes des solutions les plus en faveur de nos jours. On doit savoir spécialement gré à M. Alengry d'avoir bien mis en lumière, dans cette partie de son travail, le point de vue différent sous lequel l'individu est envisagé par Condorcet et par Comte : le pre

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mier considérant l'individu comme l'élément fondamental de la société, en vue des intérêts duquel la société, simple réunion des individus, doit être organisée; le second ne voyant dans l'individu qu'une fraction d'êtres collectifs comme la Famille, la Patrie, l’Humanité, qui, seuls, possèdent une existence réelle et distincte. Dans son étude sur Condorcet précurseur de la Sociologie, M. Alengry nous semble trop porté à exagérer la part de Condorcet dans la fondation de la Sociologie au détriment de celle d'A. Comte, lorsqu'il écrit: << tous deux (Condorcet et Comte) créent une nouvelle science, un nouvel art politique, une nouvelle morale qui, dans les grandes lignes essentielles, sont les mêmes de part et d'autre ». De telles conclusions sont manifestement fausses, car, s'il est parfaitement vrai que l'un et l'autre ont cherché à créer une science sociale, un art politique fondé sur cette science, et une morale scientifique, il ne faut pas perdre de vue que Condorcet a échoué dans son entreprise, puisqu'il n'a pu trouver aucune des lois sociologiques et morales dont l'existence avait été pressentie par son génie, mais dont la découverte était réservée à Comte.

Personne ne demandant la parole sur la communication de M. Hillemand, M. CORRA remercie MM. Paul Boell, Dubuisson, Hillemand, de leurs intéressantes communication s et de leur dévoué concours à l'instruction commune des membres de la Société, présents à la séance; il invite, en outre, tous ceux qui désireraient faire, ultérieurement, des communications aux réunions plénières, à bien vouloir le lui faire connaître, en temps utile, pour qu'il puisse arrêter les ordres du jour, avec maturité.

Antérieurement, M. Boell avait fait, à la date du 19 mars, une conférence sur le Conflit russo-japonais, à l'Université populaire « la Coopération des Idées (faubourg Saint-Antoine) ».

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LA MALADIE CONTEMPORAINE 2

(2o article).

J'ai essayé de ramasser en un tableau synoptique les traits principaux des deux esprits, révolutionnaire et positiviste, pour en faire éclater l'opposition irréductible.

Le Positivisme, en effet, n'est, en politique, ni rétrograde ni révolutionnaire; de même qu'en philosophie, il n'est ni matérialiste ni spiritualiste; ni optimiste ni pessimiste : il est le Positivisme, c'est-à-dire une doctrine qu'il faut étudier si on la veut connaître, mais qui ne rentre dans aucune des catégories préexistantes.

Il convient aujourd'hui de revenir sur certains détails que je n'ai qu'indiqués, et de donner, au fur et à mesure des besoins, les solutions que propose notre doctrine.

Mais d'abord il faut mieux préciser la physionomie d'ensemble de l'esprit révolutionnaire; non pas que je veuille le suivre en son histoire, ce n'en est pas ici le lieu, car j'aurais alors à donner les motifs qui le justifient, c'est-à-dire les causes profondes qui l'ont fait naître, et qui sont du même ordre que celles qui ont dissous les théocraties antiques; je ne vise, dans cette étude, que son action nuisible pendant le XIX° siècle, surtout dans la dernière moitié, et, à l'heure présente. Son caractère a toujours été essentiellement le même;

1. Sous cette Rubrique sont publiés des travaux dont les signataires se réclament de la Méthode et de la Philosophie positives, mais dont la teneur fait l'objet d'importantes réserves de la part de la Direction. 2. Voir Revue Occidentale, mars 1904.

et s'il a surtout montré ses défauts aux époques ci-dessus indiquées, cela tient à ce que son œuvre utile était terminée, et qu'il se survit pour ainsi dire.

Il emprunte, avons-nous dit, tout son fonds d'idées à la Métaphysique; et nous avons examiné successivement les principaux dogmes révolutionnaires; on peut remarquer en passant que ces idées sont toutes simplistes: liberté absolue, égalité absolue, raison souveraine, etc., etc.

Mais ce qui caractérise le mieux l'esprit révolutionnaire, ce ne sont pas les idées, c'est le tempérament, c'est-à dire le sentiment de révolte contre la tradition, l'humeur critique et agressive poussée quelquefois jusqu'à la guerre déclarée, qui parlent et agissent au nom de la liberté et du progrès, mal compris du reste; et tout cela recouvre des passions et des appétits qui réclament impérieusement des satisfactions immédiates.

C'est ce tempérament, bien plus que ses idées, qui explique ce qui va suivre.

L'esprit révolutionnaire est incompatible avec l'esprit scientifique. P. Laffitte, dans le discours d'ouverture de son cours sur l'histoire générale des Sciences, au Collège de France, dit :

« L'évolution scientifique développe en nous, par la con<<templation de son mouvement même, le sentiment de la «< continuité qui est le caractère essentiel de notre espèce. « Nous voyons ainsi comment peut s'accomplir, sans jamais « s'arrêter, un progrès continu, et qui, au lieu d'être jamais «< compromis par la subordination au passé, en est au con«traire solidement coordonné, en évitant les oscillations per«turbatrices. L'esprit scientifique convenablement conçu est « donc le contraire de l'esprit révolutionnaire qui procède << par chocs brusques et qui nous présente une insurrection << constante de l'individu contre le passé. >>

Avant de prononcer ce jugement, il a fait voir que Descartes prend pour point de départ, dans le premier livre de sa Géométrie, le problème de Pappus, c'est-à-dire le point même où la science antique avait laissé la Géométrie, ne voulant pas répéter, disait-il, des vérités fort bien démon

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