Nos petites guerres au Somaliland et en Nigrérie continuent. Dans le Somaliland, nous avons remporté une victoire qui a coûté la vie à quelques milliers d'Africains, mais nous n'avons pas réussi à prendre prisonnier leur chef. En Nigrérie, une petite expédition a été massacrée. On ne nous a pas encore fait savoir pourquoi nous sommes en guerre. Sans doute, quelques militaires et quelques administrateurs recevront de l'avancement, et cela expliquera bien des choses. Notre presse a fait tout ce qu'elle a pu pour amener la guerre entre la Russie et le Japon. Toutes nos sympathies sont pour ce dernier pays, mais je ne crois pas que l'opinion publique soit favorable à une intervention de notre part. Il est étonnant comme nous nous indignons des atteintes portées à la liberté des peuples par d'autres nations. Nous voyons clairement qu'il est très mal pour la Russie d'essayer de faire des conquêtes, mais nous ne pouvons reconnaître que nous faisons la même chose. C'est une répétition de la vieille histoire de la paille et de la poutre. Nous sommes donc très sympathiques au Japon théoriquement, mais nous ne voulons pas faire la guerre, car nous savons que cela coûte très cher. Cependant il faut reconnaître que la situation est dangereuse et qu'un malheur pourrait facilement arriver. Depuis cette crise, ne parlons plus de l'intervention de la Russie en Macédoine et en Arménie et nos protestataires se tiennent tranquilles. Tout danger semble être écarté de ce côté. = Les affaires vont très mal au Transvaal. L'état du pays (je parle des Boers) est déplorable. Et encore ce n'est que de temps en temps que le voile épais étendu par nos gouvernants sur ce malheureux pays se lève et laisse voir les horreurs cachées si soigneusement. Miss Hobhouse, une femme d'un grand courage et d'une grande bonté, vient de publier des lettres donnant un compte-rendu de l'état de nos deux colonies. C'est épouvantable à lire. On se refuse à penser que les autorités militaires d'un pays civilisé aient pu permettre une telle dévastation; là, où il y avait l'abondance, il y a actuellement la misère — solitudinem faciunt et pacem appellant. Les affaires ne vont pas mieux dans les mines d'or. Avant la guerre, on nous disait que l'industrie minière souffrait parce qu'elle était opprimée par le gouvernement tyrannique du président Krüger. On nous assurait que tout serait changé sous le régime anglais. Mais cela n'est pas exact. Les directeurs des mines se plaignent que la main-d'œuvre est trop chère. Mais les naturels, qui pourtant vivent de peu, ne veulent pas travailler dans les mines à un moindre salaire. On avait d'abord projeté d'employer des blancs et un directeur de mines qui a fait l'expérience a dit que la main-d'œuvre n'était pas plus chère. Mais voilà! si les blancs viennent dans les colonies, ils voudront avoir voix au chapitre. Cela serait très sérieux et c'est pourquoi on a découvert qu'il fallait employer des Chinois! (On a organisé une pétition monstre en ce sens; avec de l'argent, il est très facile d'obtenir des signatures et on en a obtenu un très grand nombre). Ainsi nous avons dépensé 6 milliards et perdu des milliers d'hommes pour que des Chinois viennent travailler au Transvaal. Allez dire après cela que nous sommes des gens intéressés et non pas des amis de la race humaine (même de la race jaune). L'on nous avait assuré qu'il y aurait de la place pour des millions de nos compatriotes dans ces colonies. Tout homme ne pouvant gagner sa vie ici pourrait très facilement le faire là bas; on le dit encore, mais il paraît que cela n'arrivera qu'un peu plus tard (c'est comme le barbier qui rasera gratis demain). Si nous permettons aux Chinois de venir au Transvaal, il est bien entendu que ce n'est pas pour y rester, mais seulement pour travailler; ce seront vraiment des esclaves pour un certain temps. Ils auront seulement la permission de sortir de leur local de temps en temps pour 48 heures et il ne leur sera pas permis d'amener leurs femmes avec eux. Il est inutile d'insister sur ce point et on comprendra facilement quels dangers tout ce système présente. Je crois que néanmoins il sera adopté, car actuellement les rois de l'or ces capitalistes cosmopolites et sémitiques sont les maîtres de ce malheureux pays. Il est toujours très difficile de savoir exactement si le prolétariat est dans une meilleure position actuellement que dans le passé. Sur ce sujet on a écrit des volumes, tantôt optimistes, tantôt pessimistes; mais je crois qu'il est démontré que la misère a beaucoup augmenté. Il est vrai que les riches sont plus riches, mais les pauvres sont plus pauvres. En lisant les rapports sur le recrutement dans l'armée anglaise - car nous n'avons pas encore le service obligatoire on remarque que, tandis qu'en 1899 on avait seulement refusé 19,8 0/0 des engagés, en 1902, ce nombre était de 22,46 0/0 et, en 1903, de 24,77 0/0. Or l'armée se recrute parmi les pauvres : il résulterait donc de ces chiffres que notre prolétariat dégénère. De même, en Ecosse, on a fait une enquête très approfondie sur la santé des élèves des deux sexes fréquentant les écoles primaires et on a constaté qu'à Edimbourg 19-17 0/0 étaient au dessous du niveau de la moyenne. La question, on le voit, est donc très sérieuse et on frémit en pensant à la misère qui surviendra si le prix des denrées alimentaires est augmenté par des tarifs protectionnistes. = Notre parlement a commencé sa session le 2 février et le roi a lu lui-même son discours ou plutôt celui de ses ministres. Il faut dire en passant que depuis son avènement, il ne néglige aucun moyen de paraître, et cela contribue à accroître les forces de la réaction. Il annonce le dépôt de projets de lois sur l'immigration des étrangers, sur les licences pour débits de boissons, pour l'instruction en Ecosse, etc. Jusqu'à présent aucun de ces projets n'a été déposé. J'en parlerai dans mon prochain bulletin. On a discuté sur l'adresse et un grand débat a lieu actuellement sur le protectionnisme, mais notre premier ministre heureusement est malade et n'a pas eu à faire connaître son opinion. Notre opposition critique très bien, mais, jusqu'à présent, elle ne nous fait pas bien savoir ce qu'elle mettrait à la place du gouvernement conservateur et, en politique comme en toute chose, on ne détruit que ce qu'on remplaçe. PAUL DESCOurs. (Texte revu par M. Busmey). BULLETIN DE FRANCE Société positiviste d'enseignement populaire Sa constitution définitive et sa première réunion plénière. La Société positiviste d'enseignement populaire, dont nous avons annoncé la formation et publié les statuts dans notre avant-dernier numéro, est maintenant définitivement constituée. Son comité de direction est composé de la manière suivante : MM. EMILE CORRA, président; GRIMANELLI, AUGUSTE KEUfer, viceprésidents; PAUL BOELL, trésorier; VAILLANT, secrétaire; Dr CANcalon; Dr Delbet ; Dr Dubuisson; Finance; D' Hillemand; C. MoNIER; G. PRUNIÈRES. La première réunion plénière, mensuelle, de la Société positiviste d'enseignement populaire a eu lieu, le mardi 8 mars dernier, à l'hôtel des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, à 8 h. 1/2 du soir. L'ordre du jour était ainsi libellé : 1o Constitution définitive de la Société. Exposé de ses projets d'action. 2o Nomination de deux contrôleurs des finances pour l'année 1904. 3o Appréciation des rapports parlementaires internationaux relatifs à l'arbitrage, par le Dr Delbet. Entretien consécutif. Au début de la séance, M. ÉMILE CORRA a fait connaître que, pour juger convenablement les statuts qui ont servi de base à la constitution de la Société positiviste d'enseignement populaire, on doit les considérer surtout comme le résultat d'un accord conclu entre la direction générale du Positivisme et les représentants accrédités du groupe positiviste français. Tout en respectant les prérogatives du Comité occidental qui s'efforce d'organiser, d'une manière pratique, le pouvoir spirituel conçu par Auguste Comte et auquel Pierre Laffitte a donné un commencement d'existence effective, les représentants du groupe français ont pensé qu'il était utile d'instituer pour ce groupe, dans l'intérêt spécial de sa propagande, un modus vivendi, plus ou moins semblable à celui des groupes britannique, suédois, mexicain, avec lesquels il est plus complètement en communion d'idées. Le titre synthétique de Société positiviste, ajoute M. Corra, nous aurait mieux convenu; mais, d'une part, obéissant à des scrupules auxquels nous ne pouvons que rendre hommage, M. Jeannolle s'est refusé à laisser modifier l'institution du même nom qui a été fondée par Auguste Comte; d'autre part, cette société a un caractère international que le groupe français, désireux de profiter des avantages que lui offre la nouvelle législation sur les associations, ne peut pas revêtir entièrement. Le titre de Société positiviste d'enseignement populaire a donc été adopté, faute de mieux. D'ailleurs, continue M. Corra, c'est bien réellement la propagande positiviste, à l'aide de l'enseignement, que nous nous proposons d'organiser dans le milieu français, et avec des procédés propres à ce milieu. Quoique nous soyons positivistes, ou plutôt parce que nous le sommes, nous ne devons pas perdre de vue, en effet, qu'il faut être, suivant une remarque judicieuse, non pas du temps que l'on désire, mais du temps dans lequel on vit. Le bon sens et la raison pratique l'exigent. Or, les positivistes français actuels vivent en France et au début du vingtième siècle, c'est-à-dire dans une société et dans un temps où il ne semble pas que le meilleur moyen de faire adopter le Positivisme soit de représenter Auguste Comte comme un prophète infaillible, ses œuvres, comme des livres sacrés intangibles, et de professer qu'il faut, absolument et sans délai, régénérer la Famille, par la pratique du mariage chaste, la Patrie, par la décomposition des nations actuelles en un plus ou moins grand nombre d'intendances, pourvues, chacune, d'un triumvirat gouvernemental, et l'Humanité, par l'institution du culte de la ViergeMère. Au contraire, l'expérience faite, lors de l'érection du monument d'Auguste Comte, à Paris, a révélé qu'un très grand nombre d'excellents esprits, qui n'acceptent pas intégralement toutes les |