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d'espérer conservar toutes les forces masculines, en transférant à l'homme les occupations habituelles de la femme. Prétendre que les femmes sont comme les hommes, en toutes choses, excepté dans la seule fonction distinctive de leur sexe, et qu'elles peuvent atteindre le même niveau de force que les hommes sans atrophier leur faculté affective, c'est ignorer toute l'expérience du passé.

Il est aisé d'exagérer le mal probable qui pourrait être fait par de semblables projets d'émancipation. Jamais, ni pour longtemps, ils ne pourront être acceptés par un grand nombre de femmes. Quand de pareilles doctrines sont acceptées par des femmes, elles rendent plus arides celles qui sont déjà insensibles et égoïstes, mais les meilleures natures n'éprouvent bientôt que de la répugnance. Il est aussi impossible de modifier la tendresse naturelle de la femme que de modifier sa forme corporelle, quoique l'essai puisse produire un mal temporaire.

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La difficulté de rendre le Positivisme attrayant pour les femmes était reconnue par Comte lui-même, convaincu, comme il l'était, que leur adhésion est nécessaire à son succès. Il semble avoir entrevu combien la méthode abstraite et le style aride, le seul dans lequel il était capable d'exprimer ses pensées, sont étrangers aux habitudes. intellectuelles des femmes et il dit presque désespérément, que l'avenir du Positivisme dépend uniquement d'une femme qui viendra interpréter ce qu'il a dit dans un langage mieux adapté à leur nature et à leur habitude de penser.

<«< Jusqu'alors, dit-il, on les supposera même impropres à comprendre jamais la nouvelle philosophie malgré leur affinité spontanée pour le positivisme1. >>

La vraie difficulté consiste à trouver des femmes ou des hommes qui puissent consacrer une attention sérieuse à des lectures systématiques et à des pensées profondes. La croissance rapide du journalisme qui occupe notre attention à chaque heure du jour, et les habitudes de trop grande activité (dues à la télégraphie sous toutes ses formes) 1. Pol. Positive, vol. I, p. 266-267.

que donnent les affaires, quelque précieux qu'elles puissent être matériellement, ne mènent guère vers l'étude paisible. Il y a aussi l'habitude des concours aux emplois plus lucratifs, qui entrave le développement du cerveau, et qui, dans neuf cas sur dix, mène à la nausée intellectuelle, affaiblissant le pouvoir de l'éducation et l'empreinte du maître et partout où il n'y a pas une vigueur morale et mentale. exceptionnelle, mène à la soif des plaisirs excitants.

La religion dominante ne demande que de la complaisance pour les usages que la tradition justifie, et qui, au pire, sont jugés inoffensifs, tandis que le caractère indémontrable des doctrines est supposé donner la foi qui est tout ce qu'on demande des adeptes. Mais le Positivisme suppose une révolte contre tout ce qui est faux en religion, et demande qu'elle se répande en une influence spirituelle, s'infiltrant à travers toute notre vie publique et privée. Une telle demande est étrangère à la conception générale de la religion; elle devrait s'adresser spécialement aux femmes qui ont le plus à perdre dans l'abaissement des idéals religieux. Jusqu'à ce que les femmes aient compris l'impuissance comparative de la théologie pour guider notre vie publique et privée, jusqu'à ce qu'elles voient clairement pourquoi la religion généralement acceptée a si peu d'influence sur les hommes politiques qu'elle peut être totalement ignorée comme inapplicable à n'importe quelle question importante, comme dans le cas de la dernière guerre, jusqu'alors, les femmes seront difficilement préparées à abandonner leur foi habituelle.

Mais, lorsqu'elles seront convaincues que la raison de cette impuissance réside dans les chimères des doctrines surnaturelles, qui par suite se rendent inapplicables à tous les problèmes de la vie, elles viendront à cette religion plus satisfaisante, parce qu'elle est universellement applicable, la religion de l'Humanité.

ROBERT NEWMAN.

Traduit, par Mile K., de la Positivist Review.

DE L'UNITÉ DE LA VIE ET DE L'ŒUVRE

D'AUGUSTE COMTE

La Positivist Review du 1er décembre dernier, vient de publier la traduction anglaise d'une lettre d'Auguste Comte à Mme Austin, qui a déjà paru dans la Revue Occidentale du 1er novembre 1898, en la faisant suivre des réflexions suivantes de M. Bridges que nous sommes trop heureux de reproduire. L. R.

La lettre d'A. Comte à Mme Austin, dont il est question ici, fut écrite le 4 avril 1844, un an avant que commençassent les relations du Maître avec Mme Clothilde de Vaux et deux ans après l'achèvement du Système de Philosophie Positive. Envisagée comme lien entre la première partie de sa carrière et la seconde, cette lettre est d'un extrême intérêt. Elle donne une nouvelle preuve, s'il en était besoin, de l'unité de but et de méthode qui domine l'œuvre du commencement à la fin.

Ainsi qu'on le verra, le sujet de la lettre est la Prière. Il semblerait que sa correspondante ait exprimé quelque doute sur la question de savoir comment les émotions et aspirations pouvaient trouver place dans la Philosophie Positive. La réponse de Comte est décisive et extrêmement remarquable.

Les formes que la prière a prises sous l'influence de la croyance théologique ont passé ou sont en voie de disparaître rapidement. Mais l'essence reste: l'émotion profonde, l'aspiration ardente vers ce qui est meilleur, plus noble, plus élevé, ne seront pas affaiblies mais plutôt fortifiées, lorsque l'homme passera des songes nuageux d'un monde surnaturel à la claire vision des réalités de la vie. Comte

parle de sa propre expérience. La vie austère du penseur solitaire n'a jamais atténué en lui les impulsions sympathiques à l'égard de ses semblables aussi bien dans ses relations usuelles avec eux que dans ses laborieuses méditations philosophiques. « Dieu n'est pas plus nécessaire au fond pour aimer et pour pleurer, que pour juger et pour penser. »

Tout ceci, ajoutait-il, ressortira clairement lorsque le moment viendra d'exposer cette partie de la philosophie positive relative aux impulsions et aux émotions.

Point n'est besoin de rappeler que, dès ses premiers volumes, Comte ne caresse jamais l'illusion que la régénération puisse être le résultat exclusif de conceptions philosophiques, si originales, si profondes soient-elles. La loi des trois états, la loi de classification des sciences abstraites, la loi de transformation de la vie militaire en vie industrielle ont été, sans aucun doute, les conditions indispensables d'une telle régénération. Sans elles, les penseurs fussent restés exposés à errer sans but parmi les utopies de renaissance théologique ou à se perdre dans les abstractions métaphysiques. Mais parallèlement à l'établissement d'une saine philosophie, une série d'efforts de nature toute différente était nécessaire.

« Pour qu'un nouveau système social s'établisse,' dit « A. Comte (Politique positive, vol. IV. Appendice), il ne << suffit pas qu'il ait été conçu convenablement, il faut en<«< core que la masse de la société se passionne pour le cons«tituer. Cette condition n'est pas seulement indispensable «< pour vaincre les résistances plus ou moins fortes que ce « système doit rencontrer dans les classes en décadence. <«< Elle l'est surtout, pour satisfaire ce besoin moral d'exal<< tation inhérent à l'homme, quand il entre dans une car«rière nouvelle; sans cette exaltation, il ne pourrait ni <«< vaincre son inertie naturelle, ni secouer le joug si puis<< sant des anciennes habitudes, ce qui, néanmoins, est né<< cessaire pour laisser à toutes ses facultés, dans leur nou« vel emploi, un libre et plein développement.

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... On ne passionnera jamais la masse des hommes « pour un système quelconque, en leur prouvant qu'il est «< celui dont la marche de la civilisation, depuis son ori

gine, a préparé l'établissement, et qu'elle appelle aujour«<d'hui à diriger la société. Une telle vérité est à la portée << d'un trop petit nombre d'esprits, et exige même de leur << part une trop longue suite d'opérations intellectuelles, << pour qu'elle puisse jamais passionner. Seulement, elle produira, dans les savants, cette conviction profonde et opiniâtre, résultat nécessaire des démonstrations positives, et qui offre plus de résistance, mais par cela même «<aussi moins d'activité, que la persuasion vive et entraî<< nante produite par les idées qui émeuvent les passions.

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<< Le seul moyen d'obtenir ce dernier effet consiste à pré<< senter aux hommes le tableau animé des améliorations << que doit apporter dans la condition humaine le nouveau << système, envisagé sous tous les points de vue différents, <«<et abstraction faite de sa nécessité et de son opportunité. « Cette perspective peut seule déterminer les hommes à << faire eux-mêmes la révolution morale nécessaire pour que <«<le nouveau système puisse s'établir. Elle seule peut re<«<fouler l'égoïsme, devenu prédominant par la dissolution << de l'ancien système, et qui, lorsque les idées auront été << éclaircies par les travaux scientifiques, sera le seul grand « obstacle au triomphe du nouveau. Elle seule enfin peut <«< tirer la société de l'apathie. et lui imprimer, d'ensemble, «< cette activité qui doit devenir permanente, dans un état << social qui tiendra toutes les facultés de l'homme en action «<< continue. »>

Dans les années qui suivirent, Comte posa les bases scientifiques de reconstruction sociale. Le système de Philosophie positive fut achevé en 1842. Les lecteurs attentifs remarqueront dans le dernier volume, spécialement aux 57° et 60 chapitres qui indiquent l'orientation de ses pensées vers un système de moralité sociale qui constitue la superstructure de son vaste édifice. Dans le quatrième volume, en montrant l'énergie de l'homme soutenue par son

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