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fut pas tenu plus de compte que si c'eût été une anomalie, une singularité de la nature. Or, si nos explications sont souvent insuffisantes à encadrer les faits, les faits néanmoins ne sont jamais isolés.

Un homme devait venir et vint en effet, lequel, au vaccin trouvé par fortune, ajouta la série des vaccins créés systématiquement, en vertu d'une méthode générale. Cet homme fut Pasteur.

C'est un beau sujet que la vie de ce grand savant, et j'aimerais à dérouler devant vous le tableau merveilleux de ses découvertes, et à vous montrer comment elles s'enchaînent dans une heureuse progression, comment sa bonne étoile voulut qu'au lieu de s'attaquer au problème des maladies infectieuses sous leur aspect le plus compliqué, il put, n'étant pas médecin, étudier d'abord les faits les plus généraux et les plus simples.

C'est ainsi qu'il débuta par des études sur les cristaux, et, passant à celle des fermentations, démontra par quels procédés on stérilise et conserve à volonté les substances organiques, sans jamais observer la génération spontanée des germes vivants qui sont l'unique cause des fermentations. L'étude de la fabrication et des altérations du vin, du vinaigre, de la bière, etc., le familiarisèrent avec les formes et les propriétés de diverses espèces de microbes, et, par les services rendus à l'industrie, attirèrent sur lui l'admiration et donnèrent à sa parole une grande autorité.

L'étude de la maladie des vers à soie, dont il fut chargé par le gouvernement, le mit en présence d'un problème de pathologie limité et d'une facilité relative, mais gros de conséquences au point de vue des grandes causes morbides: contagion, hérédité.

Il isole et cultive divers microbes pathogènes et démontre que chacun d'eux est la cause unique et suffisante d'une maladie infectieuse définie.

Il a l'immense joie de découvrir le moyen d'atténuer la virulence de ces microbes et de réduire leur action à être préservatrice et vaccinatrice. Jenner est rejoint!

L'agent de mort pouvait donc servir à procurer l'immu

nité et c'est là le chef d'œuvre de cet expérimentateur incomparable.

Les services rendus par lui eussent été encore immenses, quand même il se fût borné à démontrer la cause des maladies infectieuses, à prouver que le milieu extérieur n'est pas seulement physique et chimique, mais aussi biologique, fourmillant d'êtres invisibles, dont beaucoup nous sont funestes et auxquels il importe de fermer l'accès de notre milieu intérieur.

J'appelle votre attention sur cette notion de milieu intérieur, car elle est devenue capitale en médecine comme en hygiène.

Nous sommes formés d'une fédération d'éléments très petits; les uns fixés dans des tissus, les autres libres et mobiles, tous baignés d'un liquide: sang, lymphe, sérosité, qui constitue leur milieu.

Protégé par la peau, la muqueuse et leur épiderme, ce milieu est garanti contre l'invasion des microbes. Sauf les plus subtils d'entre eux, ils n'y pénètrent guère qu'à la faveur d'une effraction de l'épiderme ou d'une blessure, accidentelle, chirurgicale ou obstétricale. Nous sommes prévenus, c'est à nous de nous défendre, et vous savez avec quel succès, le chirurgien, l'accoucheur, le médecin et surtout l'hygiéniste utilisent ces données.

L'action de Pasteur ne s'est pas bornée à ses propres découvertes. Celles-ci, malgré d'inévitables exagérations et de bien excusables anticipations, se montrent fécondes en solides conséquences et permettent les espérances les plus légitimes et les plus grandioses.

En inoculant le sérum des animaux immunisés, on a créé une méthode nouvelle la sérothérapie, qui s'est montrée envers la terrible diphtérie d'une efficacité que ne se lassent pas d'admirer ceux qui ont connu l'impuissance des médications antérieures.

L'étude de ce milieu intérieur si compliqué, à laquelle s'acharnent chimistes, micrographes, physiologistes, nous réserve sans doute bien des surprises. De même que l'homme a réussi à se créer un milieu extérieur, en grande partie ar

tificiel, ne pourrait-il pas modifier son milieu intérieur dans un sens favorable à la vie de ses organites? C'est l'espérance encore utopique que nous donne un homme d'une imagination géniale, le professeur Metchnikoff, de l'institut Pas

teur.

Si l'hygiène, suivant Lavoisier, est l'hygiène physiologique, l'hygiène, d'après Pasteur, peut être appelée : l'hygiène prophylactique. Elle nous apprend à nous protéger contre toute la grande classe des maladies infectieuses. Ces deux hygiènes, loin de se contredire, se prêtent mutuellement main forte.

L'homme épuisé par les excès, le surmenage, les privations, l'être privé d'air et de lumière est la proie désignée des microbes. L'alcoolique, ce malheureux qui abuse d'un aliment violemment combustible et extrêmement diffusible, est voué aux formes les plus rapides de la tuberculose.

Et réciproquement, un bon équilibre physiologique nous préserve d'une foule d'agressions microbiennes réservées aux débiles. S'il ne nous sauve pas des infections les plus virulentes rage ou charbon, fièvre jaune ou peste, etc., quand ces maladies nous sont inoculées, du moins nous sauvegarde-t-il, jusqu'à un certain point, dans la lutte.

III

L'hygiène physiologique et l'hygiène prophylactique, telles que nous les avons définies, ne sont pas toute l'hygiène. Elles ne comprennent pas tout ce qui est nécessaire à la plénitude, au développement et à la stabilité de la santé.

Je vous dirai quelques mots de la troisième étape de l'hygiène que je vous ai annoncée.

Jusqu'ici, tout, dans les explications qui précèdent, s'applique aussi bien aux animaux qu'à l'homme. Sans différer d'eux essentiellement dans sa constitution primitive, l'homme est pourtant autre chose, comme membre de l'Humanité, et il a prodigieusement développé sa vie cérébralé.

Le champ de ses désirs, de ses espérances, de ses regrets, de ses craintes, de ses souvenirs et de ses prévisions, s'élergit de plus en plus. La source des émotions ne tarit plus ét par conséquent des répercussions sur la vie organique.

Car nous savons, depuis l'illustre Cabanis, combien réagissent l'un sur l'autre le moral et le physique de l'homme, ou plutôt par les progrès de la physiologie, nous comprenons de plus en plus la puissante centralisation que réalise en nous l'action partout présente du système nerveux, prolongement du cerveau.

D'autres nous ont enseigné comment nos instincts innés sont variés et contradictoires, et font de nous des êtres fluctuants et divers.

De son côté, l'histoire nous montre l'Humanité en continuelle évolution, c'est-à-dire en perpétuelle instabilité, toujours partagée entre la conviction d'hier et la vérité de demain, passant d'une forme sociale à l'autre, à travers des luttes continuelles.

Et pourtant nous avons besoin d'ordre et de fixité, nous avons besoin d'être d'accord avec nous-mêmes et de vivre en harmonie avec nos semblables.

L'animal est à peu près à l'abri des désordres cérébraux, mais il nous montre quelquefois la puissance de son besoin de sociabilité, en refusant de vivre séquestré de ses pareils.

Il y a donc, outre le milieu interne qui nous baigne et le milieu extérieur qui nous enveloppe, il y a le milieu social qui ne nous est pas moins indispensable.

Ce milieu social n'est pas composé des seules existences contemporaines, mais aussi des existences passées qui continuent à nous gouverner et dont nous sommes de tant de façons les héritiers et les débiteurs, et n'exclut pas nos futurs descendants. Il se modifie sans cesse et nous devons être, par devers lui, en adaptation continue. Il se compose essentiellement des collectivités qui nous enveloppent famille, patrie, humanité.

Nos instincts égoïstes sont certainement indispensables et légitimes, mais ils doivent être réglés, sinon ils devien

nent doublement perturbateurs en étouffant nos meilleures tendances, et, parce qu'ils sont insatiables, en nous mettant en lutte avec le milieu social.

L'hygiène mentale et morale implique donc la prépondérance de la notion de devoir et de subordination.

Ce serait un pauvre professeur d'hygiène, celui qui ne la placerait pas sous l'égide de la morale et du devoir social. Ce serait un professeur bien incomplet de morale, celui qui n'y ferait pas rentrer l'hygiène.

Si les motifs de l'hygiène doivent être tirés du devoir social, ce n'est pas seulement pour les ennoblir, c'est parce que là se trouve leur véritable source, et non dans l'intérêt personnel.

Que direz-vous au jeune homme auquel vous conseillerez la tempérance, la sobriété, le souci de sa santé, s'il vous répond qu'après tout il ne fait de mal qu'à lui-même et que sa santé ne regarde que lui?

Pouvez-vous ne pas invoquer le devoir social, ne pas lui dire qu'il manque à ses ascendants et à ses descendants, qu'il viole un dépôt, et ne pas lui expliquer le devoir rigoureux que lui crée la loi d'hérédité?

La sobriété, alors que tant de pauvres gens manquent de tout, n'est-elle pas un devoir social, avant d'être une prudence personnelle?

Je vous renvoie au philosophe qui a, le premier et le plus fortement, démontré ces principes, au fondatenr de la sociologie et de la morale positive, à Auguste Comte, et j'appelle cette hygiène morale et sociale, l'hygiène suivant Auguste Comte, l'hygiène positive.

Dr CANCALON.

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