Page images
PDF
EPUB

revoir deux des plus célèbres monastères de France que Mabillon n'avait pas visités depuis de longues années Saint-Benoît-sur-Loire et Saint-Bernard de Clairvaux. Ce dernier surtout, rempli des traces du plus grand saint du moyen âge, de cet homme vraiment extraordinaire et dont le rôle conserve quelque chose de fabuleux, même dans la lumière de l'histoire, avait toujours été pour Mabillon l'objet d'une pieuse prédilection. Il pouvait à la fois y satisfaire sa piété et y recueillir de nombreux documents. Aussi le voyage fut-il plutôt un pèlerinage qu'un voyage littéraire. « Nous' partîmes », dit Thierry Ruinart, qui raconte les étapes de ce voyage avec une pieuse émotion, « sur la « fin de septembre 1701, et nous arrivâmes à Saint« Benoît-sur-Loire le vingt-neuvième du même mois. Après y avoir passé trois ou quatre jours à examiner quelques anciens monuments et ce qui reste de cette << fameuse bibliothèque qui était autrefois si célèbre, << nous visitâmes les monastères, les archives qui se pré« sentèrent sur notre route, et nous arrivâmes à Clair« vaux le huitième d'octobre. Dom J. Mabillon avait « coutume dans ses voyages, lorsqu'il commençait à << entrer dans quelque pays, d'en saluer aussitôt les << saints tutélaires par quelques prières qu'il récitait à « ce sujet. Mais lorsque, approchant de quelque lieu, «< il apercevait l'église du principal patron ou du saint

[ocr errors]
[ocr errors]
[blocks in formation]

SAINT-BERNARD DE CLAIRVAUX.

325

« à qui il allait rendre ses vœux, il descendait ordi« nairement de cheval, et il se mettait à genoux, pour

[ocr errors]

«

α

s'acquitter plus religieusement de cet exercice de piété, qu'il s'était prescrit à lui-même dès ses pre«mières années. Il n'eut pas besoin de tous ces aver« tissements pour réveiller sa ferveur le jour que nous a devions arriver à Clairvaux: car, dès le matin que « nous partîmes de l'abbaye de Montieramé, il ne fit « autre chose, pendant tout le chemin, que de chanter « et de réciter des hymnes et des cantiques, tant il « était pénétré de joie de pouvoir encore une fois visi« ter cette solitude que saint Bernard et tant de ses « illustres disciples avaient sanctifiée d'une manière particulière. Mais quand, à la sortie du bois, nous << arrivâmes à la vue de cette sainte maison, il se sen<< tit transporté d'une dévotion si extraordinaire que j'en fus tout surpris. Il descendit de cheval, et il se prosterna à terre pour faire l'oraison à son ordinaire. Ensuite, se relevant sans discontinuer ses prières, il « se mit à marcher à pied pour achever ainsi le reste « du chemin... On ne peut exprimer la joie et la cor<< dialité avec lesquelles il fut reçu en cette célèbre mai« son. Il y passa quelques jours dans des exercices << continuels de piété, que les recherches que nous

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

faisions dans la bibliothèque, dans les archives et « dans le trésor, ne purent interrompre... Il célébrait << tous les jours la sainte messe sur le tombeau de saint Bernard, et avec le calice même dont le saint s'était

«

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

servi dans ses voyages: il visitait tous les endroits << que ce grand homme avait sanctifiés par quelque action particulière, et il en remarquait soigneuse<< ment toutes les circonstances. Enfin, je ne doute pas « que ce n'ait été en ce lieu qu'il a obtenu de Dieu la « force de continuer la composition des Annales de « notre Ordre jusqu'à la mort de saint Bernard il « m'a assuré plusieurs fois qu'il demandait tous les jours cette grâce à Notre-Seigneur, et que s'il la lui accordait, il mourrait content. Dieu a exaucé ses « vœux, car, outre les quatre volumes qu'il a impri« més pendant sa vie, il en a laissé la suite toute disposée pour l'impression jusqu'au temps du décès de ce grand saint. »

Ces courses sans cesse renouvelées, tantôt à pied, tantôt à cheval ou dans de mauvais coches, imposaient de dures fatigues à Mabillon, qui n'était plus jeune et dont la santé allait toujours déclinant. Aussi ses amis eussent-ils voulu l'arrêter et lui imposer le repos: on ne lui épargnait pas les reproches à ce sujet. C'est ainsi qu'au retour de ce pèlerinage à Clairvaux, il reçoit du président Le Pelletier cette vive exhortation à une plus grande prudence: «Je ne saurais assez vous dire », écrit de Villeneuve l'aimable président, « avec quelle

[ocr errors]

joie j'ai appris votre retour à Paris en bonne santé, « car je ne pouvais être sans inquiétude de vous voir

1 MABILLON, Correspondance. Bibl. nat., fonds français, 19354, fo 199.

[ocr errors]

LE PREMIER VOLUME DES ANNALES. 327

« faire un aussi grand voyage à cheval. Vous m'êtes « cher par l'estime que j'ai pour votre candide vertu, << et vous êtes nécessaire à l'Église pour l'édification de plusieurs. Laissons la Providence disposer de nous, mais ne nous rendons coupables d'aucuns événe«ments de notre vie par imprudence grande ou petite, quand nous pouvons l'éviter. Je vous entretiendrais << avec une grande consolation dans mes allées, mais « je ne veux pas vous demander de peur de vous déranger; ce que j'exige de votre charité est que « vous priiez Dieu pour moi. »

сс

[ocr errors]
[ocr errors]

Enfin, en 1703, après tant et de si longues recherches préparatoires, malgré une maladie grave qui mit sa vie en danger, le pieux auteur de la Diplomatique entreprit la publication du premier volume de sa dernière grande œuvre. Auparavant, il avait adressé à tout l'Ordre de Saint-Benoît une circulaire annonçant le début de la publication et faisant un dernier appel aux communications de pièces ou de documents. Ces détails sont curieux, parce qu'ils font bien connaître la sincérité et la bonne foi de l'érudit chez Mabillon. Le premier volume parut en 1703, précédé d'une dédicace latine à l'archevêque de Reims, Le Tellier, qui avait toujours été, comme nous l'avons dit, le protecteur déclaré des grandes œuvres bénédictines. Mabillon n'avait pas oublié que c'était à Reims qu'il avait reçu son éducation littéraire, tandis que là aussi il était entré dans cette savante et pieuse milice dont

il était devenu l'un des principaux ornements. Chargé d'années et de travaux, il se plaisait à rapporter comme un tribut de reconnaissance filiale à cette ville où s'étaient écoulées ses jeunes années, ce dernier fruit de ses veilles, « ultimum hoc vigiliarum mearum opus».

Appelé à Reims par des affaires, le pieux Bénédictin y put porter lui-même ce premier volume des Annales, et visiter une dernière fois des lieux qui lui rappelaient les plus doux souvenirs de sa vie. L'archevêque de Reims et l'abbé de Louvois soignèrent de leur mieux leur savant visiteur; mais il était difficile de le décider à se ménager, et lorsque Mabillon fut rentré à Paris, l'abbé de Louvois le gronde aimablement sur son peu de docilité à écouter les avis : « J'ai ' « une vraie satisfaction, mon Révérend Père, d'appren«<dre de vous-même que vous êtes arrivé en bonne santé, et que vous soyez content de votre passage à Compiègne. Pendant le séjour que vous avez fait « ici, vous ne pouviez vous regarder que comme changé de maison, et j'étais fàché de vous voir si « mal ou si bien employer un temps qui n'aurait dû « être destiné qu'à vous reposer et à vous munir contre « les incommodités de l'hiver et de l'étude. Mais je «< n'ai jamais si bien vu le peu de pouvoir qu'a sur vous « dom Thierry. Tous vos amis, cependant, feront un « concile pour vous soumettre entièrement à sa juri

[ocr errors]

"

[ocr errors]

1 MABILLON, Correspondance. Bibl. nat., fonds français, 19654, fo 289.

« PreviousContinue »