Page images
PDF
EPUB
[blocks in formation]

AVANT-PROPOS

:

Que le lecteur ne s'effraye pas en lisant le titre, un peu sévère peut-être, placé peut-être, placé en tête de cette étude. Ce n'est à aucun degré un travail d'érudit que je viens lui soumettre je serais plus incapable que personne de mener à bien une pareille entreprise, et je n'ai nullement cette prétention. Mon but est beaucoup plus modeste, bien qu'il me semble devoir offrir quelque attrait à ceux qui aiment à s'occuper de l'histoire morale du passé, et sont plus curieux des mœurs et de l'état des esprits dans les sociétés disparues que des faits eux-mêmes et des vicissitudes politiques.

Je voudrais essayer de rappeler l'attention sur une des faces les plus inconnues d'un siècle que chacun croit connaître parce qu'il est le siècle de Racine et de Bossuet, mais dont bien des côtés restent enve

loppés dans l'ombre épaisse qui couvre si vite les temps qui ne sont plus.

Lorsqu'en effet, dans l'étude de cette période illustre entre toutes de notre histoire littéraire, on est amené à sortir de ce cercle de grands noms qu'éclairent les rayons d'une gloire immortelle, on se trouve, non sans quelque surprise, en présence de toute une société fort animée, fort active, ne ressemblant en rien à celle qui, d'un commun accord, est considérée comme l'expression vivante du grand siècle. Je veux parler des érudits et des savants. Il semble, quand on étudie pour la première fois cette portion moins brillante du monde lettré au dixseptième siècle, qu'une région nouvelle s'offre aux regards. Telle doit être l'impression de celui qui atteint dans ses explorations les couches profondes du sol, celles qui supportent, sans paraître aux yeux, les plus beaux édifices et les plus éclatantes végétations. A côté de cette élite de grands esprits et d'écrivains de génie formant un ensemble si incomparable, vivait, un peu dans l'ombre, toute une société nombreuse de savants, d'érudits laborieux et spirituels, en relations constantes les uns avec les autres, qui d'un bout de la France à l'autre se connaissaient,

AVANT-PROPOS.

III

au moins par correspondance, et se tenaient au courant de leurs travaux et de leurs découvertes.

Il y avait là un monde à part peu connu du public de la cour et de la ville, dont les membres ne cherchaient guère à sortir de cette demi-obscurité, satisfaits d'être appréciés de quelques initiés, et tout absorbés dans leurs profondes études. Ne travaillant que pour la science, ces rudes ouvriers littéraires n'aspiraient pas à une renommée bruyante, et consacraient sans regret leur vie à une tâche qu'ils eussent peut-être trouvée ingrate si elle ne leur eût pas apporté l'estime de leurs pareils, dont les suffrages leur suffisaient. La tâche qu'ils accomplissent, le but le but qu'ils poursuivent sans relâche, c'est de poser les fondements solides de cette érudition littéraire ou historique qui a depuis lors pris de si grands développements.

Découvrir, interpréter les textes, recueillir avec un soin jaloux et une critique déjà éclairée ces vieilles chartes, ces vieux manuscrits qu'on n'estimait guère alors, publier ces belles éditions des Pères qui font encore autorité aujourd'hui, ces collections de documents qui sont comme le fondement de notre

histoire nationale, étudier les anciens âges, sans parti pris et uniquement pour découvrir la vérité, c'est toute leur vie, leur unique passion, et, à les voir, il semble que ce soit là le dix-septième siècle tout entier. C'est à peine si un lointain écho de la gloire militaire ou purement littéraire, de la brillante culture des arts ou de l'esprit arrive jusqu'à eux, et nous rappelle qu'ils sont les contemporains de Corneille et de Molière aussi bien que de Turenne et de Condé. Ce n'est pas qu'ils soient indifférents à ce qui se passe, ou tenus par la société dans un isolement méprisant; au contraire, ils sont tous en relation avec les plus grands personnages du moment, parfois même en correspondance réglée avec quelques-uns d'entre eux; le Roi les connaît et les protége. Mais travailler à arracher au passé son secret, faire avancer la science, c'est là leur mission, leur vocation, et ils s'y enferment sans regret, sans aspiration autre, même avec un certain sentiment de fierté et la conscience de travailler ainsi efficacement à la grandeur de leur

pays.

D'autre part, cette espèce d'isolement propre aux savants de ce temps amène un résultat assez inattendu, qui donne à cette docte compagnie une physionomie originale, un caractère propre, qui n'ap

« PreviousContinue »