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JEUNESSE ET ÉDUCATION.

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le conduire auprès du supérieur, dans les longs corridors silencieux de l'abbaye où se promènent les Bénédictins qui vont devenir ses confrères, pour faire faire à nos lecteurs plus ample connaissance avec son existence antérieure. Lorsque nous saurons bien à qui nous avons affaire, nous entrerons à sa suite dans le monastère, qui lui sera devenu familier, et nous n'aurons plus qu'à suivre ses pas pour en connaître les habitants et leurs mœurs.

Jean Mabillon, dont le nom devait devenir illustre dans l'histoire littéraire, n'était encore en 1664 qu'un simple religieux de l'Ordre réformé de Saint-Benoît, dont les talents naissants et les vertus précoces avaient attiré l'attention de ses supérieurs. Né en 1632 en Champagne, à Saint-Pierremont, dans un petit village de cette vieille terre si française, il sortait d'une humble famille de paysans, pauvres et laborieux, qui vivaient du travail de leurs mains : « Ses parents', - dit le premier et naïf biographe de Mabillon, dont nous aurons plus tard l'occasion de parler avec quelque détail, appelés Étienne Mabillon et Jeanne Guérin, nés d'honnêtes familles, n'ont rien eu selon le monde qui les y ait beaucoup distingués; leur plus grande gloire est d'y avoir donné un fils si illustre et d'avoir eu un soin particulier de l'élever chrétiennement. » Ce fut donc dans une famille de laboureurs,

› Vie de Mabillon, par RUINART, p. 8.

dont la très-modeste demeure située à quelques pas de l'église subsiste encore, et est conservée avec un soin pieux, que s'écoulèrent les premières années de Mabillon. Il ne vit autour de lui que des exemples de vertu simple, de labeur patient et rude, comme en offrait alors souvent l'existence des paysans français. Mais ces braves cultivateurs champenois, comme s'ils eussent eu un pressentiment de la destinée future de leur fils, eurent cette ambition, déjà si fréquente autrefois, de faire de leur fils un homme instruit, et ne négligèrent pas son éducation. Un oncle, curé dans les environs, se chargea de lui enseigner les premiers éléments, et l'enfant, dont l'intelligence était vive et prompte, fut bientôt assez avancé pour aller à Reims, faire, comme on disait autrefois, comme on le dit encore aujourd'hui, « ses études ». Ce fut un prévôt de la cathédrale, aumônier ordinaire du Roi, qui se chargea de lui, le logea et le nourrit pendant qu'il l'envoyait comme élève au collége de l'Université. Reims était à cette époque une ville savante, remplie d'écoliers qui suivaient les cours de l'Université, fondée plus de cent ans auparavant par le cardinal de Lorraine, au retour du concile de Trente. Envoyé au collége des Bons-Enfants, le jeune Mabillon ne tarda pas à s'y faire remarquer par son ardeur au travail et la précocité de son intelligence. Il eut bientôt dépassé ses condisciples: ses progrès en tout genre furent rapides. Mais déjà doux et calme comme il le sera toute sa vie, il savait

MABILLON A REIMS.

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se faire pardonner cette supériorité par ses camarades, tant il paraissait l'ignorer lui-même, et chacun l'aimait. « Il avait ', dit un de ses compatriotes dans une lettre écrite après sa mort, l'esprit le plus vif de ces écoles, il était fort pieux, sobre, obéissant à ses maîtres, et leur rendait des services sans rétribution, par humilité; il était sans malice, gaillard, respectueux à tout le monde, et avait toujours des bons mots en sa bouche. >> Tout fiers de cet élève qui donnait de si belles espérances, les maîtres du collége des Bons-Enfants ne se faisaient pas faute de le produire en public, et plus d'une fois il dut prononcer du haut de la chaire quelqu'une de ces harangues latines qui étaient encore fort goûtées. Une fois même, il fut chargé de faire un compliment à « M. de Nemours 2 », qui, après avoir pris possession du siége archiepiscopal de Reims, visitait le collége de l'Université, et il se tira de cet office à la satisfaction générale. Mais déjà, le futur érudit et le moine perçaient sous l'écolier. Lorsqu'il retournait à la chaumière paternelle durant les congés annuels, il passait de longues heures à méditer sous un chêne de la forêt voisine de Pierremont; l'arbre a depuis longtemps disparu, mais la tradition s'est conservée dans

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1 Lettres et mémoires sur la vie de D. Mabillon, Bibl. nat., fonds français, 19639, fo 168.

2 Henri de Nemours, né en 1625, archevêque nommé de Reims en 1651. N'ayant pas reçu les Ordres sacrés, il se démit de son archevêché en 1655 après la mort de son frère ainé pour épouser la fille du duc de Longueville.

le pays, et le lieu où il s'élevait autrefois s'appelle encore aujourd'hui le chêne de Mabillon. Il faisait alors, dans les loisirs si doux des vacances, dont tout écolier garde un vivant souvenir, de longues visites aux abbayes du voisinage, afin d'y voir les beaux manuscrits qui y étaient conservés. Un jour, il écrivit de sa main sur une Bible manuscrite: Biblia sacra infiniti valoris et servatu dignissima. Cette Bible a été conservée avec l'annotation de Mabillon, encore presque enfant, qui ne se doutait guère, en la traçant, qu'un jour elle augmenterait de beaucoup la valeur du manuscrit.

Tout naturellement et sans effort, le jeune écolier du collége des. Bons-Enfants se disposa à entrer dans l'état ecclésiastique. Lorsqu'il eut fini ses études et eut été fait maître ès arts, il fut admis au séminaire de Reims, que le même cardinal de Lorraine avait également fondé à ses dépens sur le modèle de celui de Milan. Là, dans cette paisible retraite, il acheva de se perfectionner dans les lettres, tout en se disposant à recevoir les Ordres sacrés, mais sans autre dessein encore bien arrêté.

Ayant déjà la passion de tout ce qui était ancien et rendu vénérable par le temps, le jeune clerc, c'est ainsi qu'on nommait les élèves de l'Académie rémoise. Remensis academiæ, comme l'appelait plus tard Mabillon, avait un goût tout particulier pour visiter les antiques églises de Reims et ses cimetières remplis des

VOCATION RELIGIEUSE.

souvenirs des premiers chrétiens de la Gaule et des premiers âges de notre histoire nationale. Ce fut dans ces fréquentes visites à la célèbre abbaye de Saint-Remy que lui vint l'idée d'entrer dans la grande famille bénédictine, dont il avait sous les yeux une des plus importantes maisons. Cette abbaye, où la réforme de Saint Maur, introduite depuis 1627, était encore dans toute sa ferveur, présentait le spectacle d'une vie claustrale avec toutes les austérités et les joies mystérieuses du sacrifice volontaire, jointes au labeur intellectuel le plus actif et le plus fécond. Prier, souffrir et travailler, tel était le fond de la règle qu'observaient fidèlement les Bénédictins de Saint-Remy, fidèles aussi à la devise de l'Ordre, PAX, qu'ils avaient soin de ne pas oublier dans leurs travaux littéraires, en n'entrant dans aucune des controverses religieuses de l'époque. Le jeune Mabillon sentit que là était sa place, que là seulement il trouverait une complète satisfaction de toutes ses aspirations. Entrer dans un des Ordres les plus anciens de la chrétienté, dont l'histoire était comme liée à celle de l'Europe civilisée, y travailler, pour la gloire de Dieu, à retrouver les traces d'un passé où il n'est jamais resté sans se rendre témoignage, c'était pour le jeune érudit l'idéal, la réalisation de vœux les plus chers et longtemps nourris en secret. Son parti fut bientôt pris. Le 29 août 1653, à l'âge de vingt et un ans, il entrait comme postulant dans l'abbaye de Saint-Remy, et le 5 septembre de la même année il revêtait cette robe de

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