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ARGANTE, GÉRONte, léandre, octave, HYACINTHE, ZERBINETTE, NÉRINE, SCAPIN, SILVESTRE, CARLE.

SCAPIN, apporté par deux hommes, et la tête entourée de linge, comme s'il avoit été blessé.

AH! ah! messieurs, vous me voyez... ah! vous me voyez dans un étrange état!... Ah! je n'ai pas voulu mourir sans venir demander pardon à toutes les personnes que je puis avoir offensées. Ah! oui, messieurs, avant que de rendre le dernier soupir, je vous conjure de tout mon cœur de vouloir me pardonner tout ce que je puis vous avoir fait, et principalement le seigneur Argante et le seigneur Géronte. Ah!

ARGANTE.

Pour moi, je te pardonne; va, meurs en repos.

SCAPIN, à Géronte.

C'est vous, monsieur, que j'ai le plus offensé par les

coups de bâton que...

GÉRONTE.

Ne parle point davantage, je te pardonne aussi.

SCAPIN.

C'a été une témérité bien grande à moi, que les coups

de bâton que je...

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Hélas! quelle bonté! mais est-ce de bon cœur, mon

sieur, que vous me pardonnez ces coups

pardonnez ces coups de bâton que...

GÉRONTE.

Hé! oui. Ne parlons plus de rien; je te pardonne tout,

voilà qui est fait.

SCAPIN.

Ah! monsieur, je me sens tout soulagé depuis cette

parole.

GÉRONTE.

Oui, mais je te pardonne à la charge que tu mourras.

Comment, monsieur?

SCAPIN.

GÉRONTE.

Je me dédis de ma parole, si tu réchappes.

SCAPIN.

Ah! ah! voilà mes foiblesses qui me reprennent.

528 LES FOURB. DE SCAPIN. ACTE III, SC. XIV.

ARGANTE.

Seigneur Géronte, en faveur de notre joie, il faut lui pardonner sans condition.

Soit.

GÉRONTE.

ARGANTE.

Allons souper ensemble, pour mieux goûter notre

plaisir.

SCAFIN.

Et moi, qu'on me porte au bout de la table, en attendant que je meure.

FIN DES FOURBERIES DE SCAPIN.

SUR

LES FOURBERIES DE SCAPIN.

CETTE pièce, quoique remplie de traits de la plus grande force, est du nombre de celles que Boileau condamnoit : il voyoit avec peine qu'un homme tel que Molière s'abaissât jusqu'à la farce, et consacrât des moments précieux à l'amusement de la dernière classe du peuple. Tant que Molière vécut, il ne lui dissimula pas cette opinion : après sa mort, il déplora dans L'ART POÉTIQUE cette complaisance malheureuse, et s'exprima d'une manière un peu sévère sur la pièce qui fait en ce moment l'objet de nos réflexions.

Plusieurs bons esprits blâmèrent cette sévérité de Boileau : ils sòutinrent que la comédie a plus d'un genre, et qu'elle peut même offrir des tableaux grossiers quand ils ont l'originalité et la force comique des moindres productions de Molière. J. B. Rousseau étoit de cet avis. Consulté par M. de Chauvelin, au milieu du siècle dernier, sur une édition de Molière entreprise par Brossette, et qui ne fut pas achevée, il s'étend sur les critiques qui avoient été faites de POURCEAUGNAC et des FOURBERIES DE SCAPIN. Ce morceau est curieux et peu connu':

« La comédie, dit-il, n'a pas été inventée seulement pour « les esprits délicats, qui sont en très-petit nombre, mais pour tous les esprits qui composent le public, entre lesquels il se << trouve des combinaisons infinies de sensibilité, qu'il faut « pourtant trouver le secret de réveiller toutes, à peine de 34

MOLIÈRE. 5.

« déplaire à la multitude et aux délicats mêmes, que le grand « nombre entraîne comme les autres, et qui, quoi qu'ils en << disent, ne sont jamais les derniers à languir quand ils voient «<languir le public. Ce qui peut paroître outré sur le papier, « dans quelques endroits de Molière, ne l'est point pour le << théâtre, qui demande plus d'action que de paroles, et où les << traits ne sauroient paroître naturels dans la perspective où <«< ils sont vus, sans être souvent plus grands que la nature « même, dont Molière ne s'est jamais écarté, bien différent « d'Aristophane, qui s'en éloigne presque toujours; ce qui n'a « pas empêché le peuple le plus poli de la Grèce de lui prodi<«<guer les mêmes admirations qu'à Ménandre, de qui les co«médies auroient pu faire tomber Aristophane dans le mépris, << s'il suffisoit d'exceller dans une espèce pour rendre mépri<«< sables ceux qui excellent dans une autre. Mais enfin l'exem« ple de ces deux célèbres anciens prouvant qu'il y a deux << manières de traiter la comédie, on ne sauroit donner trop « de louanges à Molière d'avoir su réunir ces deux manières « différentes aussi parfaitement, et avec autant de succès qu'il << a fait. >>

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Le PHORMION de Térence a servi de modèle aux FOURBERIES DE SCAPIN : dans l'une et l'autre pièces, deux jeunes gens, en l'absence de leurs pères, forment des liens amoureux; l'un de ces amants a même épousé sa maîtresse. Grand embarras quand ils apprennent le retour de leurs pères. Comment s'en tireront-ils ? Dans Térence, leurs esclaves, et Phormion, parasite qui joue à peu près le même rôle que Scapin, servent les jeunes gens, leur font trouver de l'argent, et les aident à sortir d'intrigue. Le dénoûment est le même dans les deux pièces, mais quelle différence dans la manière dont le sujet est traité! Molière ne traduit presque jamais Térence; ei quand il l'imite,

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