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SUR

M. DE POURCEAUGNAC.

CETTE pièce, faite précipitamment pour une fète que Louis XIV donnoit à Chambord, est une farce à laquelle Molière n'attachoit aucune importance : c'est une de celles où l'on retrouve le moins de ces idées profondes qu'il répandoit dans ses moindres ouvrages. Cependant elle offre encore plusieurs traits de haute comédie; et l'on y reconnoît souvent le cachet original de l'auteur.

Pourceaugnac, le jour même où il arrive à Paris, se trouve livré à des intrigans : on-le berne, on le trompe, on le joue impunément. Exposé sans défense à une multitude de piéges, entouré sans cesse d'ennemis; ne trouvant personne qui le soutienne et qui l'éclaire, il est enfin forcé de quitter la partie. Mérite-t-il ce traitement? Il n'y a dans son caractère rien de bas ni de vraiment condamnable : on n'y voit que des ridicules qui peuvent s'excuser jusqu'à un certain point. N'étant qu'avocat à Limoges, il veut se faire passer à Paris pour gentilhomme: il a l'imprudence et le tort de venir épouser une demoiselle qu'il n'a jamais vue, sans savoir s'il pourra lui plaire, et sans s'être informé si par hasard elle n'a pas une autre inclination. Ces travers sont si communs dans la société, qu'on a fini par ne presque plus les apercevoir : on ne s'en moque que lorsqu'ils se joignent à la sottise ou à la crédulité.

Pourceaugnac ne mérite donc pas, comme l'Avare, d'être puni avec rigueur; et les tours sanglants qu'on lui joue passent les bornes. Voilà pourquoi Boileau, qui s'étoit montré le plus zélé défenseur de L'AVARE, blâmoit le sujet de POURCEAUGNAC, tant parce que l'effet moral lui paroissoit manqué, que parce qu'il regrettoit de voir un si grand génie descendre jusqu'à la farce. Cependant il est essentiel de remarquer que Molière, par une réserve digne de son excellent esprit, n'inspire aucun intérêt pour les amants les caractères d'Eraste et de Julie n'ont aucun charme; et les deux fripons qui conduisent l'intrigue sont les êtres les plus vils, puisque l'un est un échappé des galères, et que l'autre a fait des faux. On ne peut donc pas dire que, dans cette pièce, le parterre applaudisse aux fourberies de Sbrigani et de Nérine, et les approuve : il rit de la crédulité de Pourceaugnac, et méprise ceux qui en abusent. Cet effet paroît devoir suffire dans une pièce de ce genre, qui, en dernier résultat, fut peut-être à cette époque une leçon utile pour les provinciaux.

La scène la plus forte de cette pièce est celle où Éraste persuade à Pourceaugnac qu'il a passé deux ans à Limoges, et qu'il l'a connu, ainsi que sa famille. En suivant la gradation de cette scène, on ne peut s'empêcher d'être frappé du talent de l'auteur. Sans blesser la vraisemblance, sans rendre Pourceaugnac absolument stupide, Molière parvient à lui faire dire ce qu'Eraste veut savoir, tandis qu'il croit que c'est à lui qu'Éraste donne tous ces détails. Il ne balance plus à croire qu'il a connu autrefois ce jeune homme, renoue la liaison qu'il croit avoir eue avec lui, et donne tête baissée dans le piége qu'on lui tend. Si toutes les ruses qu'on emploie contre Pourceaugnac étoient aussi fortement combinées, cette pièce pourroit figurer au rang des chefs-d'œuvre de l'auteur.

Le rôle du premier médecin ne ressemble pas aux caractères de ce genre qui se trouvent dans L'AMOUR MÉDECIN et dans LE MALADE IMAGINAIRE. C'est un homme brusque et expéditif, qui ne doute nullement de la certitude de sa doctrine, qui s'inquiète peu des suites, et dont la franchise et le sérieux sont très-comiques. La consultation est une excellente scène, où l'on ne voit aucune charge. Qu'on se figure un homme tel que Pourceaugnac entre deux médecins qui dissertent gravement sur une maladie qu'il n'a pas, qui tourmentent ce pauvre homme de la meilleure foi du monde; et l'on trouvera qu'il étoit impossible de tirer un meilleur parti de sa situation. Il y avoit deux écueils à éviter, l'ennui et la farce exagérée : l'auteur s'est tenu dans le plus juste milieu.

La scène de la Languedocienne et de la Picarde est remarquable, en ce qu'elle présente les deux idiomes qui étoient autrefois en usage dans le nord et dans le midi de la France : les langages d'oui et d'oc. Quoique Molière ait été obligé de les franciser un peu pour être entendu par le spectateur, on y trouve le véritable génie de ces deux idiomes. Le languedocien a de la douceur et de la vivacité; mais il paroît éloigné de notre langue, et l'on voit pourquoi ses tournures et ses locutions n'ont pas été adoptées. Le picard au contraire semble beaucoup plus conforme à notre esprit et à nos usages: la construction est plus claire, la syntaxe plus régulière; et l'on voit qu'il a dû prendre le dessus lorsque la langue françoise s'est formée. Il n'appartenoit qu'à Molière de fournir des réflexions de ce genre dans une scène de farce.

On trouve dans le rôle de Nérine une imitation heureuse d'une plaisanterie de Pascal, Ce grand homme, voulant couvrir les jésuites de ridicule, rassemble dans une PROVINCIALE plusieurs noms bizarres de ces pères, et fait dire à l'interlo

186 RÉFLEX. SUR M. DE POURCEAUGNAC.

cuteur étonné: Ces gens-là étoient-ils chrétiens? Nérine se moque sur le même ton de Pourceaugnac et des Limosins; «S'il a envie de se marier, dit-elle, que ne prend-il une << Limosine, et ne laisse-t-il en repos les chrétiens? >>

Quoique cette pièce soit dans un genre que Boileau désapprouvoit; quoiqu'elle n'offre pas, comme les chefs-d'œuvre de l'auteur, une suite de vues profondes et de peintures des bizarreries du cœur humain, elle est digne de l'examen des. connoisseurs, qui-pourront y remarquer une multitude de traits d'autant plus admirables, que le sujet ne sembloit pas les indiquer, et que Molière, n'attachant aucune importance à cet ouvrage, le composa dans la seule intention d'égayer quelques moments une fête de la cour.

LES AMANTS

MAGNIFIQUES,

COMÉDIE-BALLET

EN CINQ ACTES ET EN PROSE,

Représentée à Saint-Germain-en-Laye, sous le titre de Divertisse ment royal, le 7 septembre 1670.

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