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observation, que les semences des plantes sont tellement disposées par leurs figures et leurs poids, qu'elles tombent toujours sur le sol dans la position où elles doivent germer.

Or, si tout étoit le produit du hasard, les causes finales ne seroient-elles pas quelquefois altérées ? Pourquoi n'y auroit-il pas des poissons qui manqueroient de la vessie qui les fait flotter? et pourquoi l'aiglon, qui n'a pas encore besoin d'armes, ne briseroit-il pas la coquille de son berceau avec le bec d'une colombe? Jamais une méprise, jamais un accident de cette espèce dans l'aveugle nature? De quelque manière que vous jetiez les dés, ils amèneront toujours les mêmes points? Voilà une étrange fortune! nous soupçonnons qu'avant de tirer les mondes de l'urne de l'éternité, elle a secrètement arrangé les SORTS.

Cependant il y a des monstres dans la nature, et ces monstres ne sont que des êtres privés de quelques-unes de leurs causes finales. Il est digne de remarque que ces êtres nous font horreur : tant l'instinct de Dieu est fort chez les hommes ! tant ils sont effrayés aussitôt qu'ils n'aperçoivent pas la marque de l'Intelligence suprême! On a voulu faire naître de ces désordres une objection contre la Providence; nous les regardons, au contraire, comme une preuve manifeste de cette même Providence. Il nous semble que Dieu a permis ces productions de la matière pour nous apprendre ce que c'est que la création sans lui : c'est l'ombre qui fait ressortir la lumière; c'est un échantillon de ces lois du hasard qui, selon les athées, doivent avoir enfanté l'univers.

CHAPITRE IV.

INSTINCT DES ANIMAUX.

Après avoir reconnu dans l'organisation des êtres un plan régulier qu'on ne peut attribuer au hasard, et qui suppose un ordonnateur, il nous reste à examiner d'autres causes finales qui ne sont ni moins fécondes ni moins merveilleuses que les premières. Ici nous ne suivrons personne. Nous avions consacré à l'histoire naturelle des études que nous n'eussions jamais suspendues, si la Providence ne nous eût appelé à d'autres travaux. Nous voulions opposer

une Histoire naturelle religieuse à ces livres scientifiques modernes, où l'on ne voit que la matière. Pour qu'on ne nous reprochât pasa dédaigneusement notre ignorance, nous avions pris le parti de voyager, et de voir tout par nous-même. Nous rapporterons donc quelques-re unes de nos observations sur les instincts des animaux et des plantes, sur leurs habitudes, ge leurs migrations, leurs amours, etc. : le champ, de la nature ne peut s'épuiser, et l'on y trouve toujours des moissons nouvelles. Ce n'est point di dans une ménagerie, où l'on tient en cage les secrets de Dieu, qu'on apprend à connaître la sagesse divine: il faut l'avoir surprise, cette sagesse, dans les déserts, pour ne plus douter de son existence; on ne revient point impie des royaumes de la solitude, regna solitudinis. Malheur au voyageur qui auroit fait le tour du globe, et qui rentreroit athée sous le toit de ses pères !

Nous l'avons visitée au milieu de la nuit, la vallée solitaire habitée par des castors, ombragée par des sapins, et rendue toute silencieuse par la présence d'un astre aussi paisible que le peuple dont elle éclairoit les travaux. Et je n'aurois vu dans cette vallée aucune trace de l'intelligence divine! Qui donc auroit mis l'équerre et le niveau dans l'œil de cet animal qui sait ba tir une digue en talus du côté des eaux, et per pendiculaire sur le flanc opposé ? Savez-vous le nom du physicien qui a enseigné à ce singulier ingénieur les lois de l'hydraulique, qui l'a rendu si habile avec ses deux dents incisives et sa

queue aplatie? Réaumur n'a jamais prédit les vicissitudes des saisons avec l'exactitude de ce castor, dont les magasins, plus ou moins abondants, indiquent au mois de juin le plus ou moins de durée des glaces de janvier. A force de disputer à Dieu ses miracles, on est parvenu à frapper de stérilité l'œuvre entière du ToutPuissant les athées ont prétendu allumer le feu de la nature à leur haleine glacée, et ils n'ont fait que l'éteindre; en soufflant sur le flambeau de la création, ils ont versé sur lui les ténèbres de leur sein.

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plus intéressant que ses alarmes, lorsque, trompée par les trésors d'un autre nid, de petits étrangers lui échappent, et courent se jouer dans une eau voisine. La mère effrayée rode autour du bassin, bat des ailes, rappelle l'imprudente couvée; elle marche précipitamment, ts s'arrête, tourne la tête avec inquiétude, et ne cesse de s'agiter qu'elle n'ait recueilli dans son sein la famille boiteuse et mouillée qui va bientôt la désoler encore.

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Entre ces divers instincts que le Maître du monde a répartis dans la nature, un des plus étonnants, sans doute, c'est celui qui amène chaque année les poissons du pôle aux douces latitudes de nos climats: ils viennent, sans s'égarer dans la solitude de l'Océan, trouver à jour nommé le fleuve où doit se célébrer leur hymen. Le printemps prépare sur nos bords la pompe nuptiale; il couronne les saules de verdure, il étend des lits de mousse dans les grottes, et déploie les feuilles du nénuphar sur les ondes, pour servir de rideaux à ces couches de cristal. A peine ces préparatifs sont-ils achevés, qu'on voit paro.tre les légions émaillées. Ces navigateurs étrangers animent tous nos rivages: les uns, comme de légères bulles d'air, remontent perpendiculairement du fond des eaux; les autres se balancent mollement sur les vagues, ou divergent d'un centre commun, comme d'innombrables traits d'or: ceux-ci dardent obliquement leurs formes glissantes à travers l'azur fluide; ceux-là dorment dans un rayon de soleil qui pénètre la gaze argentée des flots. Tous s'égarent, reviennent, nagent, plongent, circulent, se forment en escadron, se séparent, se réunissent encore; et l'habitant des mers, inspiré par un souffle de vie, suit en bondissant la trace de feu que sa compagne a laissée pour lui dans les ondes.

CHAPITRE V.

CHANT DES OISEAUX; QU'IL EST FAIT POUR L'HOMME.

LOI RELATIVE AUX CRIS DES ANIMAUX.

La nature a ses temps de solennité, pour lesquels elle convoque des musiciens des différentes régions du globe. On voit accourir de savants artistes avec des sonates merveilleuses,

de vagabonds troubadours qui ne savent chanter que des ballades à refrain, des pèlerins qui répètent mille fois les couplets de leurs longs cantiques. Le loriot siffle, l'hirondelle gazouille, le ramier gémit: le premier, perché sur la plus haute branche d'un ormeau, défie notre merle, qui ne le cède en rien à cet étranger ; la seconde, sous un toit hospitalier, fait entendre son ramage confus ainsi qu'au temps d'Évandre. Le troisième, caché dans le feuillage d'un chêne, prolonge ses roucoulements semblables aux sons onduleux d'un cor dans les bois. Enfin le rougegorge répète sa petite chanson sur la porte de la grange, où il a placé son gros nid de mousse; mais le rossignol dédaigne de perdre sa voix au milieu de cette symphonie : il attend l'heure du recueillement et du repos, et se charge de cette partie de la fête qui se doit célébrer dans les ombres.

Lorsque les premiers silences de la nuit et les derniers murmures du jour luttent sur les coteaux, au bord des fleuves, dans les bois et dans les vallées; lorsque les forêts se taisent par degrés, que pas une feuille, pas une mousse ne soupire, que la lune est dans le ciel, que l'oreille de l'homme est attentive, le premier chantre de la création entonne ses hymnes à l'Éternel. D'abord il frappe l'écho des brillants éclats du plaisir le désordre est dans ses chants; il saute du grave à l'aigu, du doux au fort; il fait des pauses; il est lent, il est vif: c'est un cœur que la joie enivre, un cœur qui palpite sous le poids de l'amour. Mais tout à coup la voix tombe, l'oiseau se tait. Il recommence que ses accents sont changés ! quelle tendre mélodie! Tantôt ce sont des modulations languissantes, quoique variées; tantôt c'est un air un peu monotone, comme celui de ces vieilles romances françoises, chefs-d'œuvre de simplicité et de mélancolie. Le chant est aussi souvent la marque de la tristesse que de la joie : l'oiseau qui a perdu ses petits chante encore; c'est encore l'air du temps du bonheur qu'il redit, car il n'en sait qu'un; mais, par un coup de son art, le musicien n'a fait que changer la clef, et la cantate du plaisir est devenue la complainte de la douleur.

Ceux qui cherchent à déshériter l'homme, à lui arracher l'empire de la nature, voudroient bien prouver que rien n'est fait pour nous. Or,

le chant des oiseaux, par exemple, est tellement commandé pour notre oreille, qu'on a beau persécuter les hôtes des bois, ravir leurs nids, les poursuivre, les blesser avec des armes ou dans des piéges, on peut les remplir de douleur, mais on ne peut les forcer au silence. En dépit de nous, il faut qu'ils nous charment, il faut qu'ils accomplissent l'ordre de la Providence. Esclaves dans nos maisons, ils multiplient leurs accords il y a sans doute quelque harmonie cachée dans le malheur, car tous les infortunés sont enclins au chant. Enfin que des oiseleurs, par un raffinement barbare, crèvent les yeux à un rossignol, sa voix n'en devient que plus harmonieuse. Cet Homère des oiseaux gagne sa vie à chanter, et compose ses plus beaux airs après avoir perdu la vue. «Démodocus, dit le poëte de Chio en se peignant sous les traits du chantre des Phéaciens, étoit le favori de la Muse; mais elle avoit mêlé pour lui le bien et le mal, et l'avoit rendu aveugle en lui donnant la douceur des chants. >>

Τὸν περὶ μοῦσ ̓ ἐφίλησε, δίδου δ' ἀγαθόν τε, κακόν τε, ὀφθαλμῶν μὲν ἄμερσε, δίδου δ ̓ ἡδεῖαν ἀοιδήν.

L'oiseau semble le véritable emblème du chrétien ici-bas: il préfère, comme le fidèle, la solitude au monde, le ciel à la terre, et sa voix bénit sans cesse les merveilles du Créateur.

Il y a quelques lois relatives aux cris des animaux, qui, ce nous semble, n'ont point encore été observées, et qui mériteroient bien de l'être. Le divers langage des hôtes du désert nous paroît calculé sur la grandeur ou le charme du lieu où ils vivent, et sur l'heure du jour à laquelle ils se montrent. Le rugissement du lion, fort, sec, apre, est en harmonie avec les sables embrasés où il se fait entendre, tandis que le mugissement de nos bœufs charme les échos champêtres de nos vallées; la chèvre a quelque chose de tremblant et de sauvage dans la voix, comme les rochers et les ruines où elle aime à se suspendre; le cheval belliqueux imite les sons grêles du clairon, et, comme s'il sentoit qu'il n'est pas fait pour les soins rustiques, il se tait sous l'aiguillon du laboureur et hennit sous le frein du guerrier. La nuit, tour à tour charmante ou sinistre, a le rossignol et le hibou : l'un chante pour le zéphyr, les bocages, la lune, les amants; l'autre pour les vents, les vieilles

forêts, les ténèbres et les morts. Enfin, presque tous les animaux qui vivent de sang ont un cri particulier qui ressemble à celui de leurs victimes l'épervier glapit comme le lapin et miaule comme les jeunes chats; le chat luimême a une espèce de murmure semblable à celui des petits oiseaux de nos jardins; le loup bêle, mugit ou aboie; le renard glousse ou crie; le tigre a le mugissement du taureau, et l'ours marin une sorte d'affreux râlement tel que le bruit des récifs battus des vagues où il cherche sa proie. Cette loi est fort étonnante, et cache peut-être un secret terrible. Observons que les monstres parmi les hommes suivent la loi des bêtes carnassières; plusieurs tyrans ont eu des traces de sensibilité sur le visage et dans la voix, et ils affectoient au dehors le langage des malheureux qu'ils songeoient intérieurement à déchirer néanmoins la Providence n'a pas voulu qu'on s'y méprît tout à fait; et, pour peu qu'on examine de près les hommes féroces, on trouve sous leurs feintes douceurs un air faux et dévorant, mille fois plus hideux que leur furie.

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CHAPITRE VI.

NIDS DES OISEAUX.

Une admirable Providence se fait remarquer dans les nids des oiseaux. On ne peut contempler sans être attendri cette bonté divine qui donne l'industrie au foible, et la prévoyance à l'insouciant.

Aussitôt que les arbres ont développé leurs fleurs, mille ouvriers commencent leurs travaux. Ceux-ci portent de longues pailles dans le trou d'un vieux mur, ceux-là maçonnent des bâtiments aux fenêtres d'une église, d'autres dérobent un crin à une cavale, ou le brin de laine que la brebis a laissé suspendu à la ronce. Il y a des bûcherons qui croisent des branches dans la cime d'un arbre; il y a des filandières qui recueillent la soie sur un chardon. Mille palais s'élèvent, et chaque palais est un nid, chaque nid voit des métamorphoses charmantes : un œuf brillant, ensuite un petit couvert de duvet. Ce nourrisson prend des plumes; sa mère lui ap prend à se soulever sur sa couche. Bientôt il va jusqu'à se percher sur le bord de son berceau, d'où il jette un premier coup d'œil sur

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la nature. Effrayé et ravi, il se précipite parmi | pour constante, que l'oiseau étale sur son œuf ses frères, qui n'ont point encore vu ce spectacle; mais, rappelé par la voix de ses parents, il sort une seconde fois de sa couche, et ce jeune roi des airs, qui porte encore la couronne de l'enfance autour de sa tête, ose déjà contempler le vaste ciel, la cime ondoyante des pins et les abimes de verdure au-dessous du chène paternel. Et pourtant, tandis que les forêts se réjouissent en recevant leur nouvel hôte, un vieil oiseau, qui se sent abandonné de ses ailes, vient s'abattre auprès d'un courant d'eau; là, résigné et solitaire, il attend tranquillement la mort au bord du même fleuve ou il chanta ses amours, et dont les arbres portent encore son nid et sa postérité harmonieuse.

C'est ici le lieu de remarquer une autre loi de la nature. Dans la classe des petits oiseaux, les œufs sont ordinairement peints d'une des couleurs dominantes du måle. Le bouvreuil niche dans les aubépines, dans les groseilliers et dans les buissons de nos jardins; ses œufs sont ardoisés comme la chape de son dos. Nous nous rappelons avoir trouvé une fois un de ces nids dans un rosier; il ressembloit à une conque de nacre, contenant quatre perles bleues; une rose pendoit au-dessus, tout humide: le bouvreuil måle se tenoit immobile sur un arbuste voisin, comme une fleur de pourpre et d'azur. Ces objets étoient répétés dans l'eau d'un étang avec l'ombrage d'un noyer, qui servoit de fond à la scène, et derrière lequel on voyoit se lever l'aurore. Dieu nous donna dans ce petit tableau une idée des grâces dont il a paré la nature.

Parmi les grands volatiles, la loi de la couleur des œufs varie. Nous soupçonnons qu'en général l'œuf est blanc chez les oiseaux où le mâle a plusieurs femelles, ou chez ceux dont le plumage n'a point de couleur fixe pour l'espèce. Dans les classes aquatiques et forestières, qui font leurs nids les unes sur les mers, les autres dans la cime des arbres, l'œuf est communément d'un vert bleuâtre, et pour ainsi dire teint des éléments dont il est environné. Certains oiseaux qui se cantonnent au haut des tours et dans les clochers ont des œufs verts comme les lierres 1, ou rougeâtres comme les maçonneries qu'ils habitent 2. C'est donc une loi qui peut passer

1 Le choucas, etc. 'La grande chevêche, etc,

la livrée de ses amours et le symbole de ses mœurs et de ses destinées. On peut, au seul aspect de ce monument fragile, dire à peu près quel étoit le peuple auquel il a appartenu, quels étoient son costume, ses habitudes, ses goûts; s'il passoit des jours de danger sur les mers, ou si, plus heureux, il menoit une vie pastorale; s'il étoit civilisé ou sauvage, habitant de la montagne ou de la vallée. L'antiquaire des forêts s'appuie sur une science moins équivoque que celle de l'antiquaire des cités : un chène exfolié ou chargé de mousse annonce bien mieux celui qui lui donna la croissance, qu'une colonne en ruine ne dit quel fut l'architecte qui l'éleva. Les tombeaux parmi les hommes, sont les feuillets de leur histoire; la nature, au contraire, n'imprime que sur la vie : il ne lui faut ni granit, ni marbre, pour éterniser ce qu'elle écrit. Le temps a rongé les fastes des rois de Memphis sur leurs pyramides funèbres; et il n'a pu effacer une seule lettre de l'histoire que l'ibis égyptien porte gravée sur la coquille de son œuf.

CHAPITRE VII.

MIGRATION DES OISEAUX.

OISEAUX AQUATIQUES; LEURS MŒURS, BONTÉ DE LA PROVIDENCE.

On connoît ces vers charmants de Racine le fils sur les migrations des oiseaux :

Ceux qui, de nos hivers redoutant le courroux,
Vont se réfugier dans des climats plus doux,
Ne laisseront jamais la saison rigoureuse
Surprendre parmi nous leur troupe paresseuse.
Dans un sage conseil par les chefs assemblé,
Du départ général le grand jour est réglé ;
Il arrive; tout part: le plus jeune peut-être
Demande, en regardant les lieux qui l'ont vu naître,
Quand viendra ce printemps par qui tant d'exilés
Dans les champs paternels se verront rappelés.

Nous avons vu quelques infortunés à qui ce dernier trait faisoit venir les larmes aux yeux. Il n'en est pas des exils que la nature prescrit comme des exils commandés par les hommes. L'oiseau n'est banni un moment que pour son bonheur; il part avec ses voisins, avec son père et sa mère, avec ses sœurs et ses frères; il ne laisse rien après lui : il emporte tout son cœur. La solitude lui a préparé le vivre et le couvert;

les bois ne sont point armés contre lui; il retourne enfin mourir aux bords qui l'ont vu naltre il y retrouve le fleuve, l'arbre, le nid, le soleil paternels. Mais le mortel chassé de ses foyers y rentre-t-il jamais? Hélas! l'homme ne peut dire en naissant quel coin de l'univers gardera ses cendres, ni de quel côté le souffle de l'adversité les portera. Encore si on le laissoit mourir tranquille! mais aussitôt qu'il est malheureux, tout le persécute : l'injustice particulière dont il est l'objet devient une injustice générale. Il ne trouve pas, ainsi que l'oiseau, l'hospitalité sur la route: il frappe, et l'on n'ouvre pas; il n'a, pour appuyer ses os fatigués, que la colonne du chemin public, ou la borne de quelque héritage. Souvent mème on lui dispute ce lieu de repos qui, placé entre deux champs, sembloit n'appartenir à personne : on le force à continuer sa route vers de nouveaux déserts le ban qui l'a mis hors de son pays semble l'avoir mis hors du monde. Il meurt, et il n'a personne pour l'ensevelir. Son corps gît délaissé sur un grabat, d'où le juge est obligé de le faire enlever, non comme le corps d'un homme, mais comme une immondice dangereuse aux vivants. Ah! plus heureux lorsqu'il expire dans quelque fossé au bord d'une grande route, et que la charité du Samaritain jette en passant un peu de terre étrangère sur ce cadavre! N'espérons donc que dans le ciel, et nous ne craindrons plus l'exil : il y a dans la religion toute une patrie.

Tandis qu'une partie de la création publie chaque jour aux mêmes lieux les louanges du Créateur, une autre partie voyage pour raconter ses merveilles. Des courriers traversent les airs, se glissent dans les eaux, franchissent les monts et les vallées. Ceux-ci arrivent sur les ailes du printemps, et bientôt, disparoissant avec les zéphyrs, suivent de climats en climats leur mobile patrie; ceux-là s'arrêtent à l'habitation de l'homine voyageurs lointains, ils réclament T'antique hospitalité. Chacun suit son inclination dans le choix d'un hôte: le rouge-gorge s'adresse aux cabanes ; l'hirondelle frappe aux palais : cette fille de roi semble encore aimer les grandeurs, mais les grandeurs tristes, comme sa destinée; elle passe l'été aux ruines de Versailles, et l'hi

ver à celles de Thèbes.

A peine a-t-elle disparu, qu'on voit s'avancer

sur les vents du nord une colonie qui vient remplacer les voyageurs du midi, afin qu'il ne reste aucun vide dans nos campagnes. Par un temps grisâtre d'automne, lorsque la bise souffle sur les champs, que les bois perdent leurs dernières feuilles, une troupe de canards sauvages, tous rangés à la file, traversent en silence un ciel mélancolique. S'ils aperçoivent du haut des airs quelque manoir gothique environné d'étangs et de forêts, c'est là qu'ils se préparent à descendre: ils attendent la nuit, et font des évolutions au-dessus des bois. Aussitôt que la vapeur du soir enveloppe la vallée, le cou tendu et l'aile sifflante, ils s'abattent tout à coup sur les eaux qui retentissent. Un cri général, suivi d'un profond silence, s'élève dans les marais. Guidés par une petite lumière qui peut-être brille à l'étroite fenêtre d'une tour, les voyageurs s'approchent des murs à la faveur des roseaux et des ombres. Là, battant des ailes et poussant des cris par intervalles, au milieu des murmures des vents et des pluies, ils saluent l'habitation de l'homme.

Un des plus jolis habitants de ces retraites, mais dont les pèlerinages sont moins lointains, c'est la poule d'eau. Elle se montre au bord des jones, s'enfonce dans leur labyrinthe, reparoit et disparoît encore en poussant un petit cri sauvage; elle se promène dans les fossés du château; elle aime à se percher sur les armoiries sculptées dans les murs. Quand elle s'y tient immobile, on la prendroit, avec son plumage, noir et le cachet blanc de sa tête, pour un oiseau, en blason tombé de l'écu d'un ancien chevalier. Aux approches du printemps, elle se retire à des sources écartées. Une racine de saule minée par, les eaux lui offre un asile: elle s'y dérobe à tous les yeux. Les convolvulus, les yeux. Les convolvulus, les mousses, les ca pillaires d'eau, suspendent devant son nid des draperies de verdure; le cresson et la lentille lui fournissent une nourriture délicate; l'eau murmure doucement à son oreille; de beaux insectes occupent ses regards; et les naïades du ruisseau, pour mieux cacher cette jeune mère. plantent autour d'elle leurs quenouilles de ro seaux, chargées d'une laine empourprée.

Parmi ces passagers de l'aquilon, il s'en trouve qui s'habituent à nos mœurs, et refusent de retourner dans leur patrie : les uns, comme les compagnons d'Ulysse, sont captivés par

la

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