Page images
PDF
EPUB

élus. Le nom d'Edouard Young y figure à la onzième place sur seize admis', mais il ne commença ses études qu'au début de 1695. L'enfant ne paraît pas avoir été un élève brillant jusqu'à sa sortie définitive en 1702, si l'on en juge d'après les indications que fournit le « long roll » ou l'ordre de classement annuel établi pour les boursiers du Collège. Peut-être la nostalgie de la maison paternelle, pourtant si voisine Upham n'est pas éloigné de trois lieues s'empara-t-elle de lui, malgré les visites assez fréquentes du recteur 2, et les deux vacances octroyées par an ne suffirent-elles pas à relever son courage. Quoi qu'il en soit, l'internat à la fin du dix-septième siècle ne devait pas avoir de grands charmes pour le poète car les souvenirs de classe ne reviennent jamais sous sa plume, du moins dans ce que nous connaissons de sa correspondance.

C'était d'ailleurs une éducation austère que celle qui prévalait à Winchester. Le Collège de Sainte-Marie, vocable sous lequel se trouvaient placés à la fois cette école secondaire et l'établissement connexe d'Oxford. était à l'origine une fondation strictement ecclésiastique. L'ancien chancelier de l'Echiquier, William de Wykeham, par une charte en date du 20 octobre 1382, en avait confié la direction à un directeur ou « Warden » assisté d'un conseil de dix prêtres séculiers (presbyteri saeculares) nommés à vie (perpetui) et se recrutant par cooptation et de trois chapelains avec des clercs et des enfants de chœur. Les boursiers au nombre de soixante-dix se préparaient tous à entrer dans les ordres et recevaient l'instruction d'un régent ou « schoolmaster aidé d'un sous-régent. Ils devaient être élus annuellement, au fur et à mesure des vacances, par un comité composé des directeurs des deux maisons de Winchester et d'Oxford, du sous-directeur ou « sub-warden » de Winchester et du régent, appelé plus tard le proviseur ou « head-master » (hostiarius),

1. Ces détails empruntés aux Winchester Long Rolls et que j'ai pu y vérifier, m'ont été gracieusement transmis par Mr Leslie Stephen. Voir aussi Winchester Long Rolls, 1653-1721, transcribed and edited with an historical Introduction on the development of long roll by Clifford Wyndham Holgate. Winchester, P. and G. Wells, 1899, in-8°. 2. Il y a au Brit. Mus. des lettres manuscrites du père, adressées de Winchester å John Ellis, secrétaire à Whitehall, à la date du 6 septembre 1698, du 31 mai 1699, du 16 mars 1701-2 et il prêche aux assises de Winchester le 11 juillet 1695.

et de deux agrégés ou « fellows

de New-College désignés sous le nom de « posers1. » Ce corps électoral choisissait de préférence des parents du fondateur (consanguinei) dont le nombre fut en 1580 limité à dix-huit dans les deux établissements par une décision de l'évêque Cooper « for ye sett number of 18 Founders in both ye Colledges » jusqu'à la suppression d'un privilège suranné, et ensuite d'élèves pauvres et besogneux, de bonne conduite, dociles et intelligents. » Ajoutons que dès le règne d'Henri IV d'Angleterre, les souverains imposèrent leurs protégés aux électeurs au moyen de missives royales ou a Kings' letters dont le Warden Traffles obtint l'abolition en 1702 pour ce qui touchait à l'Université, mais qui se continuèrent jusqu'en 1726 au Collège de Winchester. Les évêques de ce dernier diocèse, en qualité d'inspecteurs officiels ou a visitors » de l'une et l'autre maison, s'attribuaient la même prérogative, en sorte que le comité n'avait nullement le monopole des admissions. Une limite d'âge, rigoureusement maintenue, obligeait chaque boursier à partir aux vacances d'été qui suivaient son dix-huitième anniversaire. On lui accordait une année de plus s'il était porté sur la liste de ceux qui devaient entrer à New College où il devenait de droit agrégé à la fin de ses études universitaires, après un stage de deux ans comme « probationary fellow (à moins d'être parent du fondateur), mais l'année de grâce expirée, s'il ne s'était produit aucun vide dans les rangs à Oxford, il était « superannuated » et devait quitter Winchester.

La succession et le recrutement des boursiers étant ainsi réglés, William de Wykeham avait établi le régime intérieur de sa grande école préparatoire. Chacun d'eux recevait, et reçoit encore, à Noël une pièce de drap suffisante pour confectionner une robe longue descendant jusqu'aux talons (toga talaris) et un capuchon, la façon du costume restant à la charge de la famille. C'était là apparemment une concession aux intérêts de la ville de Winchester, le premier marché anglais pour les lainages au XIVe siècle. Le drap ne devait pas revenir à plus de trois

1. C'est une abréviation d'opposers, terme également connu à l'Université de Cambridge.

shillings quatre pence le yard, prix considérablement dépassé depuis, et ne devait être ni noir, ni blanc, ni rouge tirant sur le gris, ni bleu marin (glaucus), sans doute parce que ces couleurs étaient réservées à certains ordres religieux du MoyenAge. Il était défendu de porter ce costume neuf, sans l'autorisation du gouverneur, sauf les dimanches ou les jours fériés ou dans des occasions exceptionnelles. Le vêtement usé était remis à l'un des enfants de chœur, jusqu'au moment où le legs d'une personne charitable permît de leur faire également une distribution annuelle de drap. C'était bien un monastère prématuré que Wykeham avait voulu établir à tel point qu'il ne se contenta pas de passer sous silence, dans ses statuts si minutieusement détaillés, la question des récréations et des exercices physiques, mais qu'il défendit expressément la plupart des distractions, telles que le tir à l'arc ou à l'arbalète, en vogue de son temps. Et ce caractère sombre et sévère que le fondateur avait entendu donner à son école n'avait pas encore disparu lorsqu'Edouard Young, le futur poète, y entra.

A vrai dire, l'aspect extérieur de la ville et du Collège n'avait rien de déplaisant. Winchester, la cité blanche (Ca er Gwent) des Celtes Belges, devenue un centre romain de quelque importance comme l'indique son nom formé de Venta Belgarum et du suffixe anglo-saxon ceaster (castra), s'étend au pied de collines crétacées sur un terrain qui descend en pente douce vers la petite rivière de l'Itchen. De forme presque carrée ainsi que beaucoup d'anciennes villes occupées par les soldats de Rome, elle se compose essentiellement d'une grande rue coupée par d'autres plus étroites. A la fin du dix-septième siècle elle avait perdu l'importance politique que lui conférait autrefois un commerce actif de laines avec les ports de France, de Belgique et de Hollande. Son château, symbole, pour ainsi dire, de sa puissance passée, avait été démantelé par l'armée de Cromwell au cours d'un siège dont Young avait dû souvent entendre parler dans sa famille et la peste apportée de Londres en 1666 avait décimé la population. Par un contraste mélancolique, aux ruines anciennes du château bâti par Guillaume le Conquérant correspondait en quelque sorte l'état délabré du palais que Charles II fit com

mencer en 1683 sous la direction du célèbre architecte Wren et qui resta inachevé à la mort du roi. Toute la vie de la petite cité, encore pourvue d'un évêché et chef-lieu du Hampshire, tout l'orgueil des citoyens s'étaient maintenant reportés sur la cathédrale et le collège.

Le grand établissement d'instruction se dresse non loin du centre de la ville et se composait à l'origine de deux cours qui se font suite. On pénètre dans la première par une porte monumentale percée sous une haute tour et surmontée d'une statue de la Vierge, patronne du fondateur. A gauche se trouvent les appartements du directeur dans un corps de logis construit, en partie du moins, à la fin du XVI° siècle, à droite les offices, en face une autre tour plus richement sculptée qui mène dans la cour intérieure. Ici l'on a devant soi la chapelle et le réfectoire des boursiers attenant aux cuisines, puis au rez-de-chaussée à gauche leurs chambrettes ou petits dortoirs et au premier étage les salles réservées aux agrégés et au sous-directeur. Le porche de la chapelle conduit aux cloîtres de Winchester d'un style plus léger et plus orné que ceux de New College. Au milieu s'élève un édifice de l'époque d'Henri VI, d'un caractère religieux, quoique transformé depuis longtemps en bibliothèque, et tout autour le sol est jonché de tombes où pendant plus de trois siècles furent déposés les morts illustres de la communauté.

Au moment où notre poète y entra, le Collège de Winchester s'agrandissait et s'embellissait sous une direction intelligente. Quelques années avant l'arrivée d'Young, un ancien condisciple de son père, John Nicholas, qui après avoir été Warden de New College était revenu en 1679 pour occuper le même poste, plus lucratif, dans son ancien centre d'études secondaires, avait entrepris de construire, en partie à ses frais 1, un bâtiment consacré exclusivement aux classes. Ce bâtiment ou « school-room,» commencé en 1683 et achevé en 1687 se dresse à droite et en dehors des cloîtres en face d'une prairie réservée aux jeux des élèves. Encore tout neuf il devait frapper l'esprit d'un enfant

1. D'après le registre des dépenses, sur 2,592 livres, 18 sh. et 3 pence, il aurait payé lui-même 1,477 livres, 11 sh. et 9 pence, somme considérable pour l'époque.

un peu vif, par les dessins et les inscriptions qui s'y trouvent réunis. Sur le mur du fond, à droite en entrant, l'on voyait peints en groupes symétriques et assez rapprochés une mitre et une crosse d'évêque, un encrier et une plume auprès d'une épée nue, une verge de bouleau, avec cette inscription laconique aux assonances latines :

Aut disce, aut discede; manet sors tertia, caedi. »

C'est-à-dire Apprends, ou va-t-en; un troisième sort t'attend, le bâton.

:

Sur le même pan de mur se lisaient, et se lisent encore (en latin, cela va sans dire), les recommandations faites à la jeunesse sur la conduite à tenir en classe, à la chapelle, dans la grande salle et dans les chambres à coucher. Le livre d'un des anciens proviseurs, Joseph Warton, les rapporte en détail, la longue série d'impératifs catégoriques se terminant par la défense de parler l'anglais Patrium sermonem fugito. Latinum exerceto. » D'après ce document autorisé, le travail de la classe, au moment de sa rédaction, comportait la récitation à voix basse et pour soi de la leçon préalablement apprise, la récitation à haute et intelligible voix devant le professeur assis à la table du fond et l'emploi rapide à point nommé des engins scolaires. « Arma scholastica in promptu semper habeto. » Il faut entendre par là des boîtes à parois mobiles en usage à Winchester jusqu'à ces dernières années et connues sous le nom de « scobs. » Elles contiennent un encrier, des plumes et les livres de classe que l'enfant emporte auprès du maître quand il est appelé à expliquer un auteur, tandis que, quand il est revenu à sa place, il peut relever le couvercle des deux côtés et s'isoler de ses voisins pour étudier. Qui dira que ces dispositions originales et ces phrases latines tranchantes et concises sont restées sans influence aucune sur de jeunes intelligences auxquelles elles s'offraient sans cesse au cours de l'éducation? La recherche de la pointe et le désir d'être spirituel qui se trahissent si souvent chez Young n'ont-ils pas été au moins encouragés par les préceptes laconiques du Collège?

Mais si rien ne lui manquait à Winchester de ce qui pouvait piquer sa curiosité, il n'en était pas moins soumis au régime

« PreviousContinue »