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cette influence se fait le plus nettement sentir. Les Nuits pénètrent de leur émotion débordante et de leur teinte sombre toute l'école didactique des Suisses et de Klopstock. Elles transmettent l'attendrissement de commande et la mélancolie érigée en système aux romantiques qui ouvrent le XIXe siècle et aux philosophes qui s'inspirent de leurs doctrines. Renforcées par l'action concurrente de J.-J. Rousseau et d'Ossian, elles viennent, pour ainsi dire, s'incarner en un type célèbre à cette époque, dans le jeune Werther ou, ce qui revient au même, dans le jeune Goethe. Il résume en sa personne cet égoïsme outré qui s'absorbe dans ses propres chagrins sans souci de ceux des autres, cette sensiblerie exagérée pour qui le monde entier devient le sujet de réflexions attristées, ce désœuvrement prétentieux qui ne fait rien sous prétexte d'être méconnu ou de ne pouvoir aboutir, enfin ce noir désenchantement pour lequel l'univers est « un monstre qui dévore toujours et qui recommence sans cesse (ein ewig verschlingendes und wiederkäuendes Ungeheuer), » bref cet état d'esprit anormal dont la conclusion logique, malgré les protestations chrétiennes de notre poète, ne fut et ne pouvait être que le suicide.

Au contraire, la théorie d'indépendance littéraire et d'effort personnel si hardiment soutenue par Young dans son opuscule célèbre inspire une autre école allemande, celle de la période d'assaut et d'interruption (die Sturm und Drangperiode). On y proclame la nécessité du libre développement des écrivains, affranchis à la fois des formules et des règles du passé. On y glorifie Shakespeare comme le seul maître sorti parfait des mains de la nature. On y insiste sur les privilèges du génie et sur l'originalité. Ici, encore, c'est l'individualisme qui l'emporte; seulement il ne s'agit plus de l'individu concentré et perdu en soi, se détachant du monde pour se complaire en un égoïsme démesuré, mais de l'individu consacrant ses forces et sa personnalité au développement de la civilisation et au bien de ses semblables, poursuivant un idéal chimérique, si l'on veut, mais grandiose, et rêvant la refonte et la réforme de toutes choses par l'activité propre de chacun. Ici, encore, ces vagues aspirations s'incarnent en une figure bien connue, dans le Marquis de Posa du drame de Don Carlos, ou, si l'on préfère, dans le jeune Schiller lui-même. Loin de se plonger, comme Werther, dans la contemplation

de son infortune à lui, et d'y oublier le sort du reste des hommes, il médite le bien futur de l'humanité et lui sacrifie son repos, sa carrière et sa vie. La perspective d'un bonheur qu'il ne verra point, l'attente d'un progrès indéfini, auquel il croit et collabore sans qu'il puisse espérer en jouir, excitent ses facultés et provoquent son héroïsme. Comme Young, il devine un avenir glorieux et convie la jeunesse à prendre possession d'une terre promise dont il n'aura pas l'accès.

Cette dualité dans l'effet produit par ses œuvres révèle la personnalité complexe de l'auteur des Nuits. Pareil à l'antique figure de Janus, il contemple à la fois ce qui disparaît et ce qui sera. Il résume pendant la première partie de sa carrière les tendances de l'école néo-classique anglaise dont il complète l'édifice correct par la production de satires régulières sur le modèle fourni par les anciens. Comme ses maîtres et ses rivaux, il sait décrire avec bienséance, railler avec finesse, imiter avec élégance les poètes latins. Et pourtant, il appartient aussi à la génération nouvelle. Ses velléités d'indépendance dans le choix des sujets, son admiration sans bornes pour Shakespeare, sa théorie d'un retour nécessaire à la nature et de l'obligation où se trouve le génie de briser les vieilles entraves, sont les signes précurseurs d'une révolution littéraire. Il réveille en Angleterre, et plus tard dans l'Europe civilisée, le sentiment de la personnalité humaine, il introduit un lyrisme puissant, inconnu jusqu'à lui, dans ce siècle de pure raison, il enseigne l'art d'associer les objets inanimés à la tristesse intime, il préconise un vigoureux individualisme, autant d'éléments indispensables du renouveau poétique. Par là il demeure, malgré son talent inégal et ses faiblesses, un des écrivains marquants de son époque. De même qu'il relie par les dates extrêmes de sa vie la Restauration des Stuarts aux temps des derniers rois de la maison de Hanovre, de même il rappelle d'une part les procédés d'imitation du théâtre de Dryden, l'impassibilité et le brillant des vers de Pope, et de l'autre annonce le retour au sentiment vrai et l'avénement d'une école originale où l'expression sincère et spontanée des émotions l'emportera désormais. A ce titre, comme à bien d'autres, il mérite mieux que l'oubli de la postérité.

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APPENDICE

A. Extrait des Manuscrits Egerton au Musée Britannique. [Egerton Mss. 1717, f. 58.]

To the Lady Giffard on the Countess of Portland's being ill of a Fever.

Severest Fate! must Portland Droop,
And on the Bed of pain decay,

When on undeserving throngs

A Blooming health is thrown away?

Ye Guardian pow'rs! with outstretch'd Wings,

Her Couch propitious hover o'er ;

And chide the Tumult in her Veins,
And bid her Spirits burn no more

But if a Single Life seems small,
And you neglect our Trivial pray'r
Oh think upon her Royal Charge,
And let Three Kingdoms be your Care

Nay, farther still our Ardent Vows
To Your Compassion to commend,
Know 'tis not only Portland's Life;
But 'tis the Life of Giffard's Friend.

For that we sue, and find a Dawn
Of hope, that glimmers thro' our Tears;
For Giffard proves, Transcendent Worth
Is sometimes crown'd with Length of Years.

How does her Matchless Strength of Mind,
Superior Triumph over Time!
When ere She Speaks, we lose her age

And Listning, wonder at her Prime.

Like her and like the Deathless Bays
May Portland too in Winter bloom
Advance in years, nor feel their Weight
The Giffard of an Age to come.

Ye Sacred, Ye Celestial Choir !

Ah give your Threatned Purpose o'er!
Ah, do not take her All away!

Her Virtuous Soul was Yours Before.

I am,
Madam,

With the truest respect,
Your much obliged
& most Obedient Servant
Edward Young.

Febr. 1718/9.

B.

Cynthio [note manuscrite

a poem on the Death of the

J. Roberts,

Marquis of Carnarvon, by E. Young LL.D.].
1727, in-fol. [Mus. Brit. cote 643, m 12 (37)].

I hate the Spring, I turn away
From gaudy Scenes of flow'ry May,
The vocal Grave, the painted Mead,
The lucid Brook, the quiv'ring Shade,
Where Mirth and Love (Phantastick Pair !)
Laugh at the clouded Brow of Care.
The Death of Nature, the severe
And wintry Waste, to me more dear.
Yes, welcome Darkness, welcome Night!
Thrice welcome every dread Delight!
Beneath the Moon's malignant Beam,
The lonely Grot! the sullen Stream!
The nodding Brow of Ruins high!
The Birds obscene that o'er them fly!

Of Rivers old, that with a Roar

Their darken'd Waves beneath them pour,
Thro' moss-green Arches' mould 'ring Stone,
And, to the mournful Fancy groan!
The Meteor's Blaze, the Clouds that rowl,
And blot out Daylight from the Pole!

The dreary Heath, where, Tales report,

Old Hecate keeps her baleful Court;

And Theives the murder'd Wretch have thrown!
The blasted Oak, that stands alone!

In pathless Woods, the deepest Gloom!
And Evening Visits to the Tomb!
When Midnight seals the common Eye,
The Funeral Torch slow-gliding by,
The Sables, Plumes and Veil of Grief!
The high-wav'd Ensigns of the Chief!
The solemn Isle, where dead Men croud!
The Vault! the Sexton! and the Shroud!
The final Office! (awful Sound!)
The Dust to Dust! the closing Ground!

Some God descend, and point me where,

The Raven hovers o'er Despair;

Where her black Plumes have made the Bed,

On which to lay the Wretch's Head!

If Gods refuse, some Daemon tell

Where best the Friends of Woe may dwell!
How sweetly sad it soothes my Pain?
O let me hear it o'er again!

I hear! I feel yon dismal Knell!

I see the Church-yard's Bosom swell,
Too full of Man, with Death o'er-charged!
Methinks the Specters stalk enlarged!

So Kind is Nature, that our Woe
Something like Pleasure can bestow.
What has my impious Rashness said?
Is Nature kind? and Cynthio dead?

If Death's severe; severer still
Life's plenteous Cup when Blessings fill;
When Youth, and Love, and Fortune joyn,
To make the gaudy Phantom shine;
When present Pleasure richly flows;
And glitt'ring Prospects more disclose;

O'er ripen'd Joys, when Hope's fair Bloom

Hangs golden Dreams of Joys to come;
When generous Blood rowls down from high;
When Titles charm the ravish'd Eye;

When Health endears, Wealth crowns the Feast;

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