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entre huit et douze ans et devaient être « pauperes et indigentes. » Mais, avec le cours des siècles, l'obligation de la pauvreté tomba en désuétude et la limite d'âge, plus strictement observée - les registres d'inscription en font foi pouvait être dépassée de quelques mois si l'on était l'objet d'une recommandation spéciale. Le voisinage de Winchester, chef-lieu de comté important à cette époque, et du village de Woodhay permet d'ailleurs de supposer des relations d'amitié, comme nous en constaterons plus tard, entre la famille Young et les membres du Collège chargés de l'élection des boursiers. Et six places vacantes se trouvant à pourvoir en 1657, Edouard Young fut élu troisième.

Les détails manquent sur la carrière scolaire du jeune homme. Il se prépara, suivant l'usage, à l'Université d'Oxford, où le fondateur avait créé un établissement correspondant, New College, destiné à recueillir les élèves sortant de Winchester et à compléter leur éducation en vue de la prêtrise. C'est ainsi qu'Ed. Young, en 1661, à l'extrême limite d'âge, fut boursier et « probationary fellow (agrégé provisoire) de New College1 où il devint maître ès arts (A.M.) et le 1er avril 1668 bachelier en droit (B.C.L.) et où il toucha jusqu'en 1679 les émoluments de l'agrégation. Il se fit bientôt apprécier pour son talent oratoire, puisqu'il fut appelé · le 17 février 1677 à prêcher au Guildhall, devant le lord maire de Londres et les échevins, un sermon qu'il publia l'année suivante et qu'il fut choisi quelque temps après comme chapelain par le comte d'Ossory, général en chef des troupes anglaises au service des Pays-Bas 2. C'est ce qu'indique l'énumération de ses titres en tête d'un in-quarto de 1679 et ce livre même, réimpression d'un sermon prononcé à Whitehall, le 29 décembre 1678, devant le roi Charles II, témoigne à la fois de sa réputation grandissante et de ses hautes protections.

1. D'après Anthony à Wood, ce fut à l'âge de 19 ans. Voir Athena Oxonienses, édit. Ph. Bliss, 1820, in-4°, vol. IV, p. 551. Br. Mus., 2036 F.

2. Le comte d'Ossory était fils du duc d'Ormond et mourut le 30 juillet 1680, au moment où il allait se rendre à Tanger dont il avait été nommé gouverneur. Dryden, en 1681, lui consacra quelques vers émus dans la première partie d'Absalon and Achitophel (v. 830-44), sous le nom du fils aîné de Barzillai. C'est en février 1678 qu'il reçut le commandement en chef des troupes anglaises en Hollande [Voir The Complete Peerage of England, etc., by G. E. C (okayne), vol. VI, p. 150].

Sa carrière ecclésiastique se poursuivait avec succès. En 1679 il échangea son agrégation d'Oxford (si même il n'y avait pas renoncé déjà en se mariant) contre celle de Winchester, son ancienne école, et reçut de New College le rectorat de Newnton Longville dans le comté de Buckingham. C'est bien, semble-t-il, à ce moment qu'il prit femme et l'année suivante, comme le prouve sa signature sur le registre paroissial, il obtint la cure d'Upham, petit village voisin de Winchester, où il vécut désormais jusqu'à ce qu'il fut appelé à Salisbury. La renommée et la faveur dont il jouissait croissaient toujours. Le 4 février 1682 il prêchait encore une fois devant la corporation de Londres un sermon qu'il fit paraître l'année suivante et au mois de septembre 1682, l'évêque Ward le fit pourvoir d'un canonicat à la cathédrale de Salisbury (ou Sarum) avec la prébende de Gillingham Minor. Il fut même désigné pour suppléer son protecteur quand celui-ci se vit empêché par l'âge d'exercer ses fonctions. Anth. à Wood ajoute qu'il dut, à la place de Ward, adresser un discours latin au clergé le 12 juillet 1686, lors de la visite du Dr Thomas Sprat, évêque de Rochester, discours publié ensuite sous le titre de Concio ad clerum » et que l'inspecteur, frappé de son talent, exprima ses regrets au chapitre assemblé de ce que l'orateur n'eût qu'une des plus pauvres prébendes du diocèse 1. Au reste, le primat d'Angleterre l'avait déjà distingué en l'invitant à prononcer, en janvier 1685, à Lambeth, le sermon d'usage pour la consécration de l'évêque Ken, élève, comme Young, de New College et de Winchester, qui avait composé, en 1681, à l'intention des boursiers de son ancienne école, un manuel de prières encore employé. L'honneur que lui faisait l'archevêque de Canterbury 2 était significatif et doublement flatteur.

C'est donc au sein d'une famille ecclésiastique prospère et heureuse du succès de son chef que le futur poète, Edouard Young, vint au monde. Il naquit vraisemblablement dans la

1. Cette anecdote est confirmée par une lettre en date du 24 juillet 1686, de Robert Woodward, à l'archevêque de Canterbury, où il recommande le pasteur d'Upham pour une promotion au nom de la commission tout entière. Bodleian Libr., Tanner Mss. xxx, f. 89.

2. C'était Sancroft, à qui le prédicateur dédia son sermon la même année.

seconde quinzaine du mois de juin 1683, puisque son baptême est rapporté en ces termes dans le registre paroissial d'Upham : « 1683 -- Edvardus, Filius E[dvardi] & J[uditha] Young bapt [izatus] July 3°» et que, sauf empêchement majeur, le baptême devait suivre de près la naissance d'un enfant dont le père était ministre anglican 1. Ainsi se trouve tranchée par un document décisif, dont je dois une copie à l'obligeance du Rev.E.L.H. Tew, recteur d'Upham, une controverse qui a partagé les biographes jusqu'à présent. Tous ont adopté des dates erronées, les uns préférant 1681 avec Herbert Croft, les autres 1684 à la suite de la Biographia Britannica 2. Cette dernière n'a pas besoin d'être discutée; l'autre, comme on l'a fait remarquer 3, est démontrée fausse par Croft lui-même qui mentionne l'entrée d'Young à New College, Oxford, le 13 octobre 1703, dans sa dix-huitième année, et le fait est confirmé par le registre des boursiers de Winchester qui lui attribue dix ans en août 1694, le rajeunissant ainsi de quelques mois. Désormais il n'y a plus de doute possible sur la question.

Mais le registre d'Upham nous fournit encore d'autres renseignements. S'il est à peu près certain qu'Ed. Young fut fils unique, il ne l'est pas, comme on l'a prétendu, qu'il n'ait eu qu'une sœur. Déjà une lettre du père adressée sans date, mais vers 1677 ou 1678, d'Oxford, le dimanche des Actes (c'est-à-dire en juillet) à M' John Ellis, secrétaire du comte d'Ossory, annonce qu'il a dû refuser d'aller en Flandre parce que son Collège exige qu'il soit présent à l'apurement des comptes en octobre et que

1. Dans les familles aristocratiques à cette époque, l'intervalle ordinaire ne dépasse pas huit jours.

2. Quelques-uns, par exemple Bell dans son édition des poètes anglais (1777-84), le font naître vers 1679. Cette indication est peut-être due à l'inscription suivante sur le registre paroissial de Welwyn : « He died Apr. 5 [1765] in the 85th year of his age, » ou à l'affirmation du Dr Nath. Cotton que le poète, à sa mort, était « in his 86th year >> [voir R. Anderson's Works of the British Poets, London, Arch and Bell, 1794. Life of Cotton, vol. XI, p. 1106], ou même au mot d'Young dans son Centaur not Fabulous (1754) : « N. B. I am but fourscore » (je n'ai que 80 ans), à la fin de la lettre II. 3. The Penny Cyclopædia, London, 1843, art. Ed. Young.

4. Brit. Mus. Add. Mss. 28894, f. 420. La date de 1677 est possible (mais peu probable), parce que le comte assista, en juillet, avec le prince d'Orange, au siège de Charleroi.

d'ailleurs il a « femme et enfant » pouvant être réduits à la misère par un accident de guerre. Il s'agit sans doute ici de la petite Jeanne dont les registres paroissiaux d'Upham mentionnent l'enterrement le 7 février 1682. Peu après cette première naissance se produisit celle de Judith Young, baptisée le 14 juillet 1681, celle du futur poète en 1683 et celle d'une troisième fillette, Anna Young, dont le baptême est du 13 décembre 1684. On s'explique que le pasteur, dans une lettre datée de Londres le 16 février 1686 et dans laquelle il accepte l'invitation de l'archevêque de Canterbury à prêcher le carême, puisse parler des « impedimenta ou charges de famille qui l'empêchent de voyager 1. La mort pourtant n'épargna pas les enfants et si le jeune Edouard ne connut jamais sa sœur Jeanne, il eut le temps de jouer avec la petite Judith et de ressentir dès ses premières années la tristesse d'une séparation suprême puisque Judith fut enlevée aux siens vers l'âge de neuf ans et ensevelie à Upham le 6 juin 1690. Le père, tout naturellement, s'efforçait de faire face à ses dépenses croissantes en obtenant la promotion ecclésiastique dont son talent le rendait digne. Sur les instances du poète Edm. Waller il fit traduire son « Concio ad clerum » sous le titre de l'Idée de l'Amour chrétien et le publia avec quelques poèmes religieux d'une de ses admiratrices, Mr Anne Wharton, la première femme du futur marquis. Ce sont là les traces les plus anciennes d'une amitié dont le fils saura profiter plus tard. De plus hautes protections ne faisaient pas non plus défaut, si l'on en croit Giles Jacob écrivant en 1720 et d'après lequel la princesse Anne consentit à être la marraine du jeune Edouard 2. Peut-être est-ce pour répondre à ce gracieux patronage que le pasteur soutint, autant que le permettaient ses convictions, la

1. Bibl. Bodléienne, Tanner Mss. 37 f. 249. Le fait que l'âge d'Anne Young concorde avec celui qui lui est assigné sur la plaque commémorative placée en 1714 dans la cathédrale de Winchester prouve qu'il s'agit bien sur les registres d'Upham des enfants du recteur.

2. C'était peut-être un résultat dû également à Mrs Anne Wharton (morte seulement le 24 octobre 1685), puisque la même princesse fit, en 1698, avec Guillaume III et le duc de Shrewsbury, le même honneur à Philippe, fils du marquis de Wharton. The Complete Peerage, by G. E. C., vol. VIII, p. 127. G. Jacob dit seulement << the late Queen,» mais ces mots s'appliquent tout naturellement à la reine Anne, dont le poète vante les bienfaits dans la dédicace de The Last Day.

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politique conciliante du Gouvernement à l'égard des dissidents. C'est ainsi qu'il prêcha le 26 mai 1688 un sermon devant le lordmaire à Bow-Church pour exhorter à l'unité en matière de foi et qu'à la demande de ses auditeurs il dut le faire imprimer la même année. Mais on n'a pas de peine à comprendre qu'il partageait les opinions du haut clergé anglican et qu'il approuvait la conduite de son ami l'évêque Ken emprisonné à la Tour de Londres au mois d'avril, sur l'ordre du roi, avec six autres prélats pour avoir refusé de signer la nouvelle déclaration d'indulgence religieuse. Il alla plus loin que Thomas Ken resté jacobite impénitent, il accepta le régime inauguré par la révolution de 1688, d'accord en cela avec les filles même de Jacques II, avec la famille Wharton et la majorité de la noblesse et du pays. Il obtint alors, le 14 janvier 1688-89, à la place de sa pauvre prébende de Gillingham Minor celle de Combe et Hernham et un peu plus tard il fut nommé chapelain de Guillaume III et de la reine Marie. C'est à cette époque qu'il dut entretenir des rapports assidus avec le nouvel archevêque de Canterbury, J. Tillotson, qui en 1689 remplaça Sancroft, partisan attardé des Stuarts. Il le connut assez intimement pour songer à écrire sa vie quelques années après, ainsi que nous l'apprend une biographie de Tillotson publiée en 1717 « sur les notes du Rev. Mr Young, Doyen de Salisbury, » et la préface de l'ouvrage déclare qu'il en était à peu près à la moitié du travail quand il fut appelé pour affaires pressantes à l'étranger, peut-être en Flandre où l'on sait qu'il fut aumônier militaire du comte d'Ossory. Désormais son avenir était assuré par ses hautes relations1 et par l'importance du rang qu'il occupait dans l'église.

Il fallait maintenant songer à l'éducation du fils. Regrettant sans doute d'être entré lui-même un peu tard à Winchester College le pasteur obtint qu'il fût inscrit de bonne heure, soit à peine âgé de onze ans, en août 1694, sur la liste des boursiers

1. D'après Anth. à Wood. il prêcha le dimanche de Pâques, 30 mars 1693, à Whitehall devant la reine Marie et de nouveau à Whitehall les 15 et 22 avril 1695. Son dernier sermon publié sous ce titre : « Le grand avertissement qu'une vie religieuse est le meilleur moyen d'atteindre le bonheur présent, » semble avoir en partic inspiré les Nuits [cf. le vers « Virtue alone is happiness below »]. Peut être le futur poète entendit-il prononcer ce discours.

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