Page images
PDF
EPUB

AVANT-PROPOS

Peu d'auteurs ont été aussi diversement jugés qu'Ed. Young par leurs contemporains et par la postérité. De 1730 à 1780, il a été regardé comme une des plus pures gloires de la littérature anglaise, comme l'un des membres distingués et le dernier représentant de la brillante pléïade qui illustra le commencement du XVIII siècle. Même à l'étranger sa renommée lui avait valu les hommages de chefs d'école tels que Bodmer et Klopstock, et de critiques célèbres tels que Diderot, en France, et Metastasio, en Italie. Il avait mérité les honneurs de la parodie et de l'imitation; il s'était vu adresser des dédicaces flatteuses et les sollicitations empressées d'admirateurs inconnus et de jeunes écrivains heureux d'obtenir de lui la consécration de leur talent. Maintenant, l'oubli commence à recouvrir son nom. On a cessé de citer ses ouvrages sans cesser de leur faire des emprunts. Les lecteurs l'ont délaissé pour des poètes moins sérieux mais plus attrayants; ils ont négligé ses beautés pour ne plus rappeler que ses fautes de goût et sa réputation, assaillie depuis cinquante ans par des ennemis acharnés, a sombré sous leurs attaques.

Il s'en faut du reste que toutes les accusations portées contre lui soient injustes. Malheureusement elles se compliquent trop Souvent de préventions suggérées ou transmises par ses biographes à propos de son caractère, de ses habitudes et de ses intentions et d'erreurs de fait que l'histoire de la littérature a enregistrées sans les avoir contrôlées. De là la nécessité d'examiner avec soin les documents anciens et nouveaux qui peuvent

nous renseigner sur la vie d'Ed. Young et d'en établir le récit impartial et scrupuleusement exact. Les événements politiques et autres de cette époque ont sans doute eu une influence réelle sur la conception et la forme même de ses œuvres, ainsi qu'on le verra par la suite, mais il importe avant tout de replacer l'auteur dans le milieu intime où il a été élevé et où il a vécu et de faire connaître en détail, dans la mesure du possible, les conditions matérielles et morales qui ont présidé à son développement personnel. Les livres qu'il a composés peuvent sans inconvénient être étudiés à part et groupés suivant leurs tendances générales et les genres littéraires auxquels ils appartiennent : drame, critique, poésie satirique ou morale. Le lien commun qui les réunit malgré leur diversité, c'est l'esprit de l'écrivain qui les a conçus. Une biographie nouvelle et sérieuse est donc nécessaire pour qui veut comprendre chez Ed. Young à la fois l'homme et l'auteur.

PREMIÈRE PARTIE

YOUNG

La Vie d'Ed. YOU

CHAPITRE PREMIER

La famille d'Young. Carrière ecclésiastique de son père. Édu

[ocr errors]

cation de l'enfant à Winchester.

Une école publique anglaise

au XVIIe siècle.

La vie du poète a été maintes fois racontée par ses contemporains, mais presque toujours avec force détails inexacts et non sans lacunes importantes. La première en date de ces notices, citée par Herbert Croft, est celle de Giles Jacob en 1720, du vivant même d'Young. Des informations plus complètes sont fournies en 1765 par le Supplément ajouté à la Biographia Britannica, par The Annual Register dont J. Dodsley avait commencé la publication et par la Biographia Dramatica dans un article dû probablement à la plume d'Isaac Reed. Herbert Croft1 (17511816), ancien élève de Winchester College et ami d'enfance du fils de l'écrivain, se charge de sa biographie en 1780 dans la fameuse collection éditée par le Dr Sam. Johnson. R. Anderson, dans ses Poets of Great Britain, qui paraissent en 1794, reproduit ces renseignements et en ajoute quelques autres. Voilà les Eources principales où puisent tour à tour les critiques suivants qui répètent souvent mot à mot les indications de leurs prédé

1. H. Croft semblerait avoir toutes les qualités requises pour sa tâche, mais l'esprit qui l'anime est bien indiqué par un autre biographe, le Dr John Doran : « As Croft has tried hard to injure the memory of Young, it becomes a pleasing duty to give an extract from that part of his narrative which is devoid of palpable malignity and which serves to neutralize many of his ungenerous innuendoes. » [Young's Works, edit. J. Doran. Life of Edw. Young, p. LXXIII].

cesseurs et cherchent bien rarement à les vérifier au moyen de documents authentiques.

Et cependant les détails ainsi recueillis ne sont parfois ni précis, ni suffisants. On le voit surtout en ce qui se rapporte à la famille même du poète. A part quelques notes sommaires sur la carrière du père, les érudits du XVIII° siècle ne nous ont presque rien transmis. Le continuateur d'Anthony à Wood, dans Athenæ Oxonienses donne le seul renseignement connu jusqu'à présent sur le grand-père d'Ed. Young - il nous est impossible de remonter au delà de la troisième génération à savoir qu'il se nommait John Young, qu'il résidait à Woodhay dans le Berkshire et qu'il s'intitulait « gentleman. » Si l'on en rapproche ce fait que le poète, comme en témoigne la plaque commémorative de l'église paroissiale de Welwyn, portait des armes nobiliaires personnelles 1, il est permis de supposer que ses ancêtres étaient tout au moins gentilshommes et que Lady Eliz. Lee, en l'épousant, ne s'est pas rendue coupable de mésalliance, comme on l'a prétendu. Je dois à l'extrême obligeance de Mr G. E. Cokayne du Collège Héraldique (College of Arms) de Londres, de pouvoir ajouter que ces armes sont celles de la famille Young de Bristol, telles qu'elles ont été officiellement établies en 1531. Il faut croire que notre auteur, ou tout au moins son fils, possédait une généalogie dont il ne reste plus de trace aujourd'hui et se rattachait par une série d'ascendants oubliés, à des aïeux jadis anoblis. Ce sont là les seules indications, vagues mais intéressantes, que nous avons pu découvrir sur sa parenté avec une branche du même nom, dont l'origine remonte au delà du XVIe siècle.

1. En voici la description: « Lozengy argent and vert, on a bend azure two Ibexes' heads erased of the first, attired or, for Young; impaling, Argent, a Fess between three Crescents sable, for Lee [Hist. of Hertfordshire, by J. E. Cussans, in-folio, vol. II, p. 219].

2. Voici ce qu'écrit le savant érudit dans une lettre du 13 juillet 1900, qui contient également une courte généalogie de la famille d'Ed. Young, inscrite vers 1776 au Collège héraldique de Londres : « The arms on his monument are those of the family of Young of Bristol as recorded in the Heralds' Visitation in 1531. He possibly claimed descent therefrom. » Ces armes furent « quartered by Malet of Enmore, co. Somerset, in the visitation of that county, 1531, (Wm. Malet having married Alice daughter and heir of Thomas Young of Bristol, and having had issue Hugh Malet who married and had issue at the above date). »

Mais si nous revenons au seul ancêtre certain du poète, à John Young son grand-père, il convient de noter que la vocation ecclésiastique n'est qu'accidentelle dans la famille qui paraît avoir eu des terres domaniales dans le comté agricole du Berkshire. Peut-être même la proximité de la ville universitaire d'Oxford sur l'autre rive de la Tamise suggéra-t-elle au gentilhomme campagnard de Woodhay l'idée d'y envoyer plus tard son fils. Celui-ci, qui naquit probablement en 1643, ne vint pas au monde dans le village paternel, mais, si l'on en croit le registre d'inscription des boursiers de Winchester College, à Brampton dans le Yorkshire 1. Sa mère s'était sans doute retirée chez des parents pendant la période des troubles civils, et la crainte des troupes royales établies à Oxford et à Reading serait l'indice chez John Young des tendances libérales que l'on distingue également plus tard chez son fils, le futur doyen, s'il n'était naturel en temps de guerre d'éloigner les femmes du théâtre de la lutte. Nous n'avons pas d'autre détail sur ces premières années. La fin des hostilités, en 1645, dut amener le retour des exilés au manoir familial, mais il n'y a plus de traces du jeune Edouard avant son admission, à l'âge de treize ans, au Collège de Winchester.

On ne s'étonnera pas que John Young ait songé à faire entrer l'enfant dans un des grands Collèges anglais, situé à quelque neuf lieues seulement de Woodhay, surtout s'il a pu compter sur la faveur du gouvernement républicain. Cet établissement, déjà renommé, avait été fondé vers 1376 par William de Wykeham, alors évêque de Winchester et Chancelier de l'Echiquier, pour donner l'instruction gratuite à soixante-dix boursiers destinés au service de l'Eglise. Ils étaient soumis à l'autorité d'un directeur (ou Warden), qu'assistaient dix prêtres séculiers (ou Fellows) agrégés à la fondation, trois chapelains, trois clercs et seize enfants de chœur. D'après les statuts, et sauf pour les parents de William de Wykeham, les boursiers étaient choisis.

1. La plaque commémorative de Salisbury Cathedral dit qu'il est mort le 9 août 1705, dans sa 63 année, et le registre de Winchester College lui attribue 13 ans en 1657. Malheureusement le registre paroissial de Brampton, très mal tenu vers 1643, ne porte pas son nom.

« PreviousContinue »