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lance à l'égard du clergé rallié, mais voici, d'après un whig, N. Amherst, [dans le n° 42 du Terræ Filius], la manière dont on parvient à se procurer un titre universitaire en l'an de grâce 1720. Pour devenir bachelier ès arts (A.B.) il faut soutenir publiquement une thèse sur un sujet affiché au jour convenu avant huit heures du matin sur les deux portes du bâtiment officiel (the schools) et approuvé par l'autorité compétente. Le drame qui se joue comporte trois personnages, l'opposant (the opponent), le répondant (the respondent) et le président du débat (the moderator). Le premier commence l'attaque sur la question proposée et doit fatalement avoir le dessous, comme l'avocat du diable dans les controverses théologiques du Moyen-Age. L'autre s'assied en face de lui pour réfuter tous ses arguments, quels qu'ils soient, et finit toujours par remporter la victoire. Entre les deux s'agite le président dont le rôle est de ramener les adversaires au point en litige, dès qu'ils s'en écartent, et de clore la discussion quand elle lui paraît avoir été approfondie et concluante. En théorie l'épreuve exige du jugement, de l'à-propos et des connaissances réelles. Dans la pratique il en était autrement. Tout se bornait, au dire du critique, à la répétition machinale d'une série de syllogismes sur quelque vétille de logique 2. La plupart des candidats les apprenaient par cœur ou mieux encore les lisaient dans leur toque renversée placée devant eux et contenant des notes qu'ils avaient au préalable rédigées ou fait rédiger par un ami complaisant. Ces arguments disposés en groupes commodes portaient le nom de ficelles (strings) dans l'argot du jour et se transmettaient d'une génération à la suivante avec autant de soin que la clef du jardin collégial permettant d'échapper à la vigilance du portier 3. Steele résume

1. On écrit A. B. dans les formules latines et A. M. pour maitre ès arts, tandis qu'aujourd'hui l'usage anglais prévaut (B. A. pour bachelor of arts et M. A. pour master of arts).

2. Jos. Butler, immatriculé en mars 1715 à Oriel College, se plaint au Dr Clarke de Cambridge, dans une lettre du 30 septembre 1717, des « conférences frivoles et des discussions inintelligibles dont il est excédé à Oxford ». Dict. of National Biography, art. J. Butler.

3. Erasmus Philipps, par exemple, à peine arrivé à Pembroke Coll. paya 10 sh. une clef de ce genre le 4 août 1720 et la remit en partant (septembre 1722) à un boursier, M. Andrew Hughe.

ainsi cet exercice : « la question est l'objet du débat et celui-là reste vainqueur qui peut faire voler la balle le plus longtemps. Un syllogisme la passe au répondant, une négation ou un distinguo habile la renvoie à l'opposant jusqu'à ce que l'arbitre du jeu l'arrête d'un coup d'autorité. » Malheureusement le joueur principal, loin de se préoccuper de science et d'adresse, ne s'appliquait guère qu'à tricher.

Restait l'examen proprement dit qui terminait ces premières épreuves. La veille du jour fixé le candidat affichait aux endroits réservés à cet effet un « programma » ou bulletin portant son nom, celui de son Collège et le grade auquel il se présentait. De son côté, le plus ancien des procureurs de l'Université (the senior proctor) désignait les examinateurs et leur faisait prêter serment. Le lendemain on s'assemblait dans une salle des a schools (ou bâtiment universitaire) et l'interrogatoire commençait en latin que l'impétrant était censé posséder pleinement et manier comme sa langue maternelle. Ici encore, d'après le Terræ Filius, la corruption se pratiquait ouvertement. Quelquesuns obtenaient du procureur, moyennant une couronne, la faculté de choisir leur jury, d'autres donnaient simplement une pièce d'or à leurs juges ou les invitaient à un banquet. Il ne s'agissait plus alors que d'une vaine formalité et le séjour réglementaire à Oxford, réduit parfois à deux ans, avec le paiement de certaines redevances légales ou traditionnelles, suffisait pour l'obtention du grade convoité.

Mais le baccalauréat ainsi conquis n'était un titre définitif qu'après une nouvelle série d'exercices ou « determinations » qui avaient lieu pendant le carême de la dernière année d'études. Il fallait prendre part à deux débats publics dans le bâtiment universitaire et c'étaient des bacheliers appelés « collectors » et désignés par l'un des deux procureurs qui répartissaient leurs camarades par groupes et indiquaient la salle où ils devaient argumenter. La distribution des candidats présentait quelque importance. Certaines salles peu fréquentées par les auditeurs imposaient moins d'efforts aux jeunes gens en présence. Certains jours également favorisaient la paresse parce que la séance se trouvait écourtée. C'étaient là les jours de grâce (gracious

days) tandis que le premier et le dernier jour de carême passaient pour les plus pénibles. Il y avait ainsi l'occasion de mille. intrigues afin d'éviter de figurer soit en tête soit en bas de la liste (c'est-à-dire d'être posted ou dogged) et de pouvoir profiter des circonstances favorables complaisances qui, selon

N. Amherst, valaient parfois aux a collectors » la bagatelle de quatre-vingts ou cent guinées. Il fallait encore assister au culte officiel tous les samedis matins à l'église de Sainte-Marie pour être en règle avec l'Université. Enfin le grade de maître ès arts comportait une dernière formalité depuis longtemps abolie, le « circuit (circuiting) prescrit par les statuts 1. L'impétrant précédé des appariteurs et d'un agrégé de son Collège chargé de l'introduire allait tête nue au domicile du vice-chancelier et des deux procureurs pour les prier d'assister le lendemain à l'assemblée plénière où le titre d'A.M. lui serait solennellement conféré et à partir de laquelle il prenait rang parmi les gradués d'Oxford 2.

On comprend qu'un enseignement dont la rigueur était tempérée par de tels accommodements ne donnât pas toujours des résultats excellents et qu'il suffit de peu de temps pour se l'assimiler. Le futur Sir Erasmus Philipps, qui pourtant ne séjourna à Oxford que du 4 août 1720 au mois de septembre 1722, n'était pas à ce point accablé de travail qu'il ne put être présent pendant trois jours de suite et à plusieurs reprises à des courses de chevaux le long de l'Isis à Portmeadow, suivre des combats de coqs et des chasses au renard et prendre part à des réceptions et à des soirées. Le commun des mortels faisait trois ans d'études sans que l'application semble y avoir beaucoup gagné. Ceux à qui l'exiguïté de leur bourse défendait les plaisirs coûteux se distrayaient par de longues promenades agrémentées, surtout aux jours de fêtes ou de réjouissances publiques telles que le 5 novembre, de querelles avec la populace ou par des stations interminables dans les cafés oxoniens. Anthony à Wood le constatait

1. Erasmus Philipps, d'après son journal, s'en acquitta le 4 avril 1722.

2. Ajoutons que si le candidat, pour quelque affront fait à l'Université ou à l'un des procureurs, se trouvait inscrit par lui sur le livre noir (the black book), il lui fallait réparer son offense et le faire constater sur le registre par le même procureur.

déjà en 1677 quand il écrivait tristement dans son journal privé : « Pourquoi l'érudition solide et sérieuse décline-t-elle, pourquoi trouve-t-elle peu ou point d'adeptes à l'Université? à cause des coffee-houses où l'on passe tout son temps et des grandes beuveries dans les tavernes. » Aussi ne faut-il pas s'étonner au XVIII siècle de l'ignorance du bas clergé anglican recruté dans la masse désœuvrée des étudiants. Ed. Young a du moins été du petit nombre des jeunes gens dont le savoir et l'activité font honneur à leurs Collèges, mais il est à présumer qu'il apporta de Winchester un bagage de connaissances acquises qui ne grossit pas beaucoup à Oxford.

On peut se demander dans ces conditions pourquoi notre auteur ne prit pas à l'Université les grades ordinaires. Le fait est établi non seulement par l'omission des initiales A.B. et A.M. après son nom dans les documents officiels, mais encore par la date à laquelle il passa le baccalauréat en droit (le 23 avril 1714) et le doctorat en droit (le 10 juin 1719). Les statuts officiels imposaient en effet aux candidats qui se trouvaient dans son cas un double stage de cinq ans, comme le prouvent les extraits suivants « antequam Baccalaureatum... consequatur... qui non sit A.M. per quinquennium completum... audiat » et plus loin : « qui ad doctoratum in Jure civili promoveri cupit... si Baccalaureus in Jure fuerit, antequam incipiat in artibus... quinque annos integros ponere teneatur 1. » La raison qui le fit renoncer à subir des épreuves aussi faciles n'apparaît pas clairement. Peutêtre perdit-il son temps avec d'anciens camarades, suivant la coutume de ceux qui l'entouraient. Peut-être ne put-il faire les frais de l'examen avec les dépenses accessoires qu'une longue tradition imprescriptible y avait ajoutées. Quoi qu'il en soit, un événement tragique vint mettre fin à ses études et l'empêcha de leur donner la sanction conventionnelle de la maîtrise ès arts. On était en 1705 dans le courant de l'été et le jeune homme avait probablement rejoint sa famille à Salisbury, où son père était encore de service. Le dimanche 7 août, le doyen distribua comme de coutume la sainte cène à la table de communion. Déjà souffrant

1. Ce sont les termes du Corpus Statutorum Universitatis Oxoniensis de 1768.

depuis longtemps1 il tomba gravement malade et le mardi 9 août il expirait. On l'enterra dans la cathédrale et son fils, raconte Nichols, composa une épitaphe latine digne et touchante, aujourd'hui presque effacée, qu'il fit graver en souvenir de son père. Le dimanche suivant, Gilbert Burnet, évêque de Salisbury, tint à honneur de prêcher devant le chapitre si soudainement privé de son chef et rendit hommage à la mémoire du prédicateur éminent qui avait laissé à ses auditeurs « tant de conseils excellents sur la manière dont on doit vivre et mourir 2. » Ce coup terrible dut faire une impression profonde sur l'esprit du futur poète. La mort était si peu attendue, même de celui qu'elle emportait en pleine activité, qu'il n'avait pas congé à faire son testament 3. Le 27 août 1705, l'administration des biens, d'après un document conservé à Somerset House, fut accordée à Judith Young « viduæ relictæ » et bientôt après celle-ci quittait la ville pour se retirer auprès de son gendre et de sa fille à Chiddingfold.

Le jeune étudiant d'Oxford était chargé désormais des intérêts de la famille. Nous perdons ses traces jusqu'en 1708, et il ne peut être question que de conjectures sur ce qu'il fit dans l'intervalle; mais voici, à notre avis du moins, l'hypothèse la plus plausible à ce sujet. Son père étant mort intestat et laissant peu de fortune, comme le suppose Herbert Croft avec une grande appa

1. Dans une lettre à John Ellis, du 13 mars 1701-2, conservée au British Mus., il se plaint déjà que ses nombreuses infirmités l'empêchent d'accompagner le roi à Newmarket.

2. Nichols' Literary Anecdotes, vol. I. A la page 6, en note, se trouve reproduite l'épitaphe du doyen :

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G. Burnet (1643-1715), dont parle Nichols, était un orateur remarquable et un historien de valeur. Il se rallia dès avant la révolution de 1688 au parti de Guillaume d'Orange, qui le nomma évêque de Salisbury.

3. Par une coïncidence bizarre ce fut le Dr Younger qui lui succéda.

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