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Éd. Young à Oxford.

d'All Souls.

CHAPITRE II

Les études universitaires. Le collège Relations et débuts littéraires du poète.

Le jeune écolier, à son arrivée dans la ville d'Oxford, paraît avoir eu des débuts plutôt pénibles. S'il est vrai que la position et le renom de son père lui valurent des amitiés précieuses, il n'en eut pas moins à subir quelques déboires. Sa première année d'université n'était pas achevée encore quand la mort lui ravit son protecteur, le Warden Thomas Traffles, décédé le 30 juin 17031. D'après Herb. Croft, Young fut alors invité par le président de Corpus Christi College, Thomas Turner, qui, par égard pour le doyen, voulut réduire les frais de séjour du fils, tandis que d'autres trouvent à ce changement une raison toute personnelle, ce Collège ayant la réputation d'être celui où la dépense ordinaire des étudiants était la moins forte. Comme il y entra à titre de simple gentleman commoner, » sans doute au mois d'octobre, il ne figure pas sur les listes des boursiers mais on retrouve le nom d'Young (presque certainement le sien) avec celui de six camarades en 1704, sur le livre de comptes du réfectoire (butterybook) et la série doit être complète puisqu'elle se rencontre sans modification dans le registre des Actes établi vers 17832. Voilà les seuls renseignements que nous possédions sur lui à cette époque, avec l'indication de deux connaissances faites à Corpus Christi, John Anstis, fils et successeur du héraut d'armes (Garter King of arms) et Thomas Colburn, plus tard recteur de l'église

1. J. Foster, Oxford Men and their Colleges. Oxford, J. Parsons, 1893, 2 vol. in-4o, vol. I, p. 202. Le Warden était d'une famille de Winchester. Il fut enterré dans la chapelle de New College.

2. C'est du moins ce que suppose le président Fowler dans son Histoire de C. C. C., p. 440, n. 10.

Saint-Pierre à West Lynn dans le Norfolk'. Mais nous savons que le président Turner était jacobite dans l'âme et n'avait que peu de sympathie pour le clergé rallié au gouvernement. Cela explique suffisamment, sans même parler de l'absence de grades, que le futur poète n'ait pas recherché une agrégation dans son nouveau Collège. Il pouvait et il devait préférer l'appui des amis de son père.

D'ailleurs le doyen avait une carrière de plus en plus brillante. Il venait, d'après Giles Jacob, d'être nommé chapelain privé de la souveraine (chaplain and clerk of the closet to the late Queen) 2, dont la protection ne ferait défaut ni à lui ni aux siens. Quant au fils, il semble avoir fréquenté surtout les étudiants de New College, ce qui n'a rien d'étonnant pour un élève de Winchester, ni surtout pour celui-ci dans la situation anormale où il se trouvait. Il y rencontrait sans doute son ancien camarade John Harris, agrégé de la fondation depuis peu, qui allait devenir son beau-frère par son mariage prochain avec Anne Young. En effet, le père du poète, non seulement approuva cette alliance, mais se démit même, le 26 mai 1704, de ses fonctions d'agrégé de Winchester College en faveur de son gendre et lui fit confier presque aussitôt la cure de Chiddingfold, près de Godalming, dans le comté de Surrey. Elle dépendait depuis le règne d'Henri Ir du chapitre de Salisbury qui nommait les titulaires et le village servant de résidence d'été aux doyens de la cathédrale 3, la famille n'en resterait pas moins au complet. Pour le jeune Edouard, ce mariage, qui dut coïncider avec les changements indiqués, créait des attaches nouvelles avec l'école dont il sortait. Son beau-frère, né à Winchester même, faisait en quelque sorte partie du conseil d'administration par droit d'hérédité avant d'y être élu. Il descendait de John Harris, ancien professeur de grec à Oxford et Warden de Winton College, de 1630 à 1658, qui, sous Charles Ier,

1. Young mentionne le premier, dans sa satire I, v. 155 (ou du moins son père) et parle de Colburn, mort en 1761, comme d'un de ses derniers amis, dans une lettre du 25 novembre 1762, au Rev. Th. Newcomb.

2. G. Jacob: «An historical Account of the Lives and Writings of our most considerable English Poets. » Londres, E. Curll, 1720, in-8o, p. 241.

3. Je dois la plupart de ces détails à l'obligeance du recteur actuel de Chiddingfold, le Rev. C. Sloggett.

bâtit l'infirmerie pour les boursiers malades; il était fils du recorder Sir Richard Harris, dont ses concitoyens n'avaient oublié ni la charité ni les services; il avait deux frères, dont l'aîné, Roger, entré avant lui à New College, allait bientôt représenter les intérêts de la région au Parlement comme député de Southampton et dont l'autre, Richard, poursuivait encore ses études en vue de l'Université. Young était apparenté maintenant à une vieille famille du Hampshire qui, depuis plusieurs générations, avait fourni des éducateurs et des ecclésiastiques, et désormais l'Eglise dut plus que jamais lui apparaître comme carrière privilégiée et presque traditionnelle.

En attendant qu'il se décidât pour une profession, le jeune homme vivait au Collège de Corpus Christi. Sa qualité de « gentleman commoner » lui épargnait les ennuis que subissaient ses camarades plus pauvres. Il eut sans doute, suivant l'usage du temps, un ou deux compagnons de chambrée 1, mais il échappa au sort des servitors » ou boursiers indigents, tels que G. Whitefield quelques années plus tard à Pembroke, obligés de se faire les valets de leurs voisins plus riches quand ils ne les aidaient pas, moyennant finances, à préparer leurs travaux scolaires. La vie qu'il eut à mener pendant trois ans n'était pas de nature à l'exténuer, si l'on en juge par les documents contemporains. L'étudiant, une fois immatriculé, devait prêter serment conformément à la loi du 2 mars 1702, c'est-à-dire jurer fidélité au souverain régnant, accepter sa suprématie temporelle et spirituelle et promettre obéissance aux lois et règlements de l'Université; enfin adhérer par écrit aux trente-neuf articles fondamentaux de l'église anglicane et rejeter les doctrines romaines sur la transsubstantiation, la messe et le culte de la Vierge et des saints. Il s'acquittait ensuite de quelques redevances de rigueur deux livres à l'appariteur (esquire bedell) de la faculté de théologie, dix livres de cautionnement versées au Collège et dix shillings pour être admis à fréquenter la Bibliothèque Bod

1. C'était du reste un progrès sur les statuts primitifs de Corpus Christi qui prescrivaient à chaque boursier de coucher sur un grabat placé sous le lit d'un agrégé. Hist. Mss. Comm., vol. II, p. 126.

léienne, après quoi il était à peu près libre de tout souci en ce qui touchait à sa carrière universitaire.

Sans doute il restait bien quelques obligations relatives aux études, mais elles étaient légères et l'autorité bienveillante n'y insistait pas trop. En principe, le jeune homme était tenu de suivre des cours publics et de prendre part aux argumentations privées qui avaient lieu dans chaque Collège, sous la direction. d'un agrégé, deux ou trois fois par semaine, parfois même tous les jours. En fait, l'enseignement était si peu en honneur au début du XVIII° siècle, à Oxford, quand les discussions politiques préoccupaient et divisaient les meilleurs esprits, qu'il ne s'y faisait plus de cours. Un journal du temps, le Terræ Filius, fondé en 1720 pour exposer ces abus, par un certain Nicholas Amherst de St John's College, rapporte expressément, dans une lettre du 22 janvier 1720-21, que plusieurs jeunes gens de Wadham s'étant rendus comme auditeurs aux « écoles, » bâtiment réservé aux conférenciers universitaires, à l'heure où la cloche les y invitait, n'avaient trouvé personne chargé de les instruire. Le préposé des salles (the major) leur déclara même que depuis trois ans aucun professeur ne s'était présenté à cet effet, sauf les professeurs de musique et de poésie 2. En 1710, un jeune étranger, Zacharias Conrad von Uffenbach écrit également : « Nous fûmes surpris d'apprendre qu'il n'y a pas de conférences (collegia), il s'en donne trois ou quatre en hiver seulement faites par des professeurs qui parlent pour les murs, car on n'y vient pas. » Cet état de choses durait encore en 1750 à en croire J. Brown qui se plaint dans son « Estimate of the Manners and Principles of the Times » que l'on ait transformé en sinécures les chaires d'enseignement supérieur et l'assertion n'a rien d'exagéré quand on constate qu'un homme aimable et consciencieux comme le Rev. Jos. Spence, élu professeur de poésie à Oxford en 1728, put quitter l'Angleterre pendant plusieurs années sans qu'il soit cer

1. Ce sont les sommes exigées d'Erasmus Philipps à Pembroke lors de son immatriculation en 1720. Voir Notes and Queries, 24 series, vol. X, p. 365, etc. 2. Ce dernier était alors (de 1718 à 1728) Thomas Warton, l'ami d'Young. 3. Voir ses Voyages publiés à Ulm en 1754 et cités par Chr. Wordsworth dans Social Life at the English Universities in the 18th century, p. 113.

tain qu'il ait eu un remplaçant1 et qu'à son retour il n'eut pas de peine à se faire réélire (en 1733) aux fonctions dont il s'était si facilement acquitté.

D

La conséquence naturelle de cette indolence des titulaires fut la création dans chaque Collège de cours privés pour les étudiants de l'établissement. L'assiduité n'en fut pas plus grande comme en témoigne le journal d'un jeune homme de qualité, Erasmus Philipps, « gentleman commoner » de Pembroke 2, où il est question de tout sauf d'études sérieuses. Von Uffenbach signale le nouveau système en ces mots : « Quelques-uns des élèves ont un professeur du Collège qu'ils appellent tutor, mais il ajoute qu'il ne se fait presque pas de travail en été, vu que les uns et les autres s'en vont à Londres ou à la campagne. L'agrégé n'était même pas toujours compétent pour donner l'instruction requise. A Pembroke l'un d'eux s'avouait moins fort que Samuel Johnson et J. Brown déclare avec amertume que « les grandes lignes de la science sont brisées et les débris en sont distribués à l'aventure par tout membre de Collège qui veut bien s'ériger en professeur universel. » Le corps enseignant officiel, ainsi que celui des nombreuses fondations d'Oxford, faisait done. bien peu d'efforts pour répandre autour de lui la lumière à cette époque.

Au moins pourrait-on supposer que les examens pour l'obtention des grades seraient une sanction efficace du travail des candidats. Les documents contemporains ne confirment pas cette hypothèse charitable. Un observateur, peu sympathique, il est vrai, et chagrin, l'érudit Thomas Hearne, note, à la date de juin 1726, qu'à la dernière ordination à Oxford, le dimanche de la Trinité, quinze postulants ont été refusés pour instruction. insuffisante, chose d'autant plus remarquable que les évêques et leurs délégués sont eux-mêmes en général illettrés. » On peut admettre de la part de l'obstiné jacobite une certaine malveil

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1. On suppose seulement, d'après une lettre de lui à sa mère, au printemps de 1731, où il parle de « my dear deputy at Oxford (Capt. Rolle) » que ce dernier le suppléait. 2. Voir ce journal dans Notes and Queries, 24 series, vol. X, p. 365 et passim. Il était fils de Sir John Philipps, quatrième baronnet, de Picton Castle, dont Sir Robert Walpole épousa en premières noces la nièce, Katherine Shorter.

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