Page images
PDF
EPUB

presque monacal imposé par William de Wykeham. Au Collège, comme plus tard dans la littérature, Edouard Young semble être venu trop tôt, ici pour son agrément, là pour sa gloire. En 1708, l'évêque de Winchester, Trelawney, au cours d'une tournée d'inspection, recommanda de confier les besognes serviles du Collège à des domestiques et de ne pas obliger les boursiers pendant le semestre d'hiver à se lever avant six heures du matin. Mais auparavant, il faut croire que l'on était sur pied de meilleure heure et que chacun des huit habitants de la chambrée1 devait balayer son coin et faire lui-même son lit avant de s'occuper du travail scolaire. Les règlements latins sont formels à cet égard : « Solum cubiculorum verritor. Sternuntor lectuli. Munda omnia sunto» et le fils du recteur d'Upham, à l'âme fière et sensible, aux manières distinguées et aristocratiques, ainsi qu'en témoignent tous ses contemporains, ne s'est probablement pas soumis sans quelque froissement intérieur à ces obligations humiliantes. Le menu même des repas était d'une austérité effrayante et d'une économie jointe à la simplicité qu'aurait pu lui envier maint pensionnat de Dickens, la dépense hebdomadaire ne s'élevant, paraît-il, qu'à 1 sh. 9 1/4 pence par tête. La journée commençait par un bol de bouillon de boeuf, sauf le vendredi et le samedi où ce bol était supprimé. A midi et le soir il y avait alternativement du mouton bouilli ou du bœuf froid ou bouilli remplacé le dimanche par un rôti. Le vendredi il fallait se contenter du seul repas de midi sans viande, c'est-à-dire avec du fromage et du beurre, comme aussi le samedi qui comportait en plus un souper dont l'unique plat était un gâteau (pudding) cuit à l'eau et fait de farine, de lait, d'œufs, de raisins de Corinthe et de saindoux. Pendant les Quatre-Temps, la semaine des Rogations, les vigiles et la veille des fêtes ou « gaudies on ne prenait rien le soir. Le maigre était de rigueur en Carême. Il était alloué une demilivre environ de pain de froment par tête et par repas et un peu plus d'une pinte de bière à midi et le soir, avec une ration, en été seulement, d'une petite boisson légère connue sous le nom de

1. C'était le nombre d'internes de la troisième chambrée où logea Young jusqu'à ce qu'en 1701, n'étant pas devenu « prefect,» il passât dans la cinquième.

beavor (du bas-latin bevere pour bibere) à Winchester comme à Eton. Quelques années après, l'administration du Collège, voulant diminuer la quantité de bière consommée par les élèves, améliora le menu par compensation, mais ce ne fut qu'en 1711. L'état de boursier, on le voit, n'était pas exempt de peines et de privations. Ce qui le prouve, ce sont les nombreux legs ayant pour but d'ajouter à l'ordinaire des internes et de leur procurer le chauffage et quelques douceurs. Ce qui le prouve encore, c'est la rareté des souvenirs que rapportent les hommes du commencement du XVIIIe siècle sur leurs années d'étude et le peu de charme que ces souvenirs semblent avoir eu pour eux. Au reste la statistique du nombre des entrées venant combler les vides laissés par les départs et les décès démontre à quel point le régime d'internat ainsi compris était malsain. La proportion des vacances qui, pendant les trois premiers siècles de l'existence de Winchester College, était tombée de 19,16 à 14,65 pour cent remonte à 16,51 de 1694 à 1793; aujourd'hui elle n'est plus que de 14,25. La mauvaise qualité des eaux potables de la ville en était peutêtre cause ainsi que l'austérité des règles ayant trait à la vie matérielle dans l'intérieur de l'établissement. On s'explique l'interprétation populaire du nom de « remedy » qui désigne un jour de congé et l'on comprend que les vacances un peu prolongées y fussent saluées, plus qu'ailleurs, par l'explosion d'une joie unanime. Il n'y en avait que deux dans le courant de l'année, à Noël et après l'élection des boursiers (qui a été transférée d'avril en juin avec le cours du temps) et la veille de cette dernière date s'était établi l'usage séculaire, et encore observé, de chanter solennellement et avec accompagnement de musique, le gai refrain Dulce domum, etc. d'une poésie latine de circonstance. On s'imagine qu'Ed. Young dut le répéter avec délice.

En tout cas son rang de classe tant qu'il resta à Winchester montre que ses efforts furent médiocres ou couronnés de bien peu de succès. Sur la liste des soixante-dix boursiers il se trouve naturellement soixante-huitième à ses débuts, en 1695, dans la secunda et quarta classis. Mais les deux années suivantes, en quarta classis, il est 66° et 65° et en 1698, il n'est encore que 50°, presque certainement le dernier des élèves de son âge. Dans la

quinta classis, en 1699, il occupe la 29° place et, parvenu au terme de ses études, en 1701, il est 19° en sexta classis. Par là même il lui manque un rang pour obtenir l'honneur qu'ambitionnent la plupart des grands comme récompense de leur carrière scolaire, il ne devint pas « prefect. » Ce titre revient, conformément aux indications de William de Wykeham, aux dix-huit premiers élèves de l'école qui, répartis trois par trois dans les six chambrées, sont chargés d'y maintenir l'ordre parmi leurs camarades plus jeunes. Quelques-uns devaient aussi, d'après les mêmes règlements, servir en quelque sorte de répétiteurs aux parents du fondateur ou « consanguinei, moyennant une redevance de 6 sh. 8 pence, système étendu depuis à tous ceux qui ont besoin d'être assistés dans leur travail. Young ne jouit ni de l'un ni de l'autre privilège et subit ainsi à la fin de ses classes un premier désenchantement.

Il rapporta du moins de Winchester une instruction solide le préparant suffisamment à la littérature et à la carrière ecclésiastique où il entra plus tard. Bien que les études grecques ne fussent pas en honneur dans les écoles et les Universités anglaises de cette époque, Ed. Young en avait une connaissance assez approfondie, comme le prouvent ses remarques sur le style d'Homère et les citations de Pindare et d'autres auteurs qui se retrouvent dans ses ouvrages. Mais c'est en latin surtout qu'il fit le plus de progrès, sous la direction de Wm Harris, proviseur de 1678 à 1700, et de Th. Cheyney qui lui succéda. C'était un instrument indispensable à tout homme de bonne éducation et si l'on en croit une anecdote de Spence, lui-même élève du Collège, le poète se serait familiarisé avec le latin au point de le parler couramment et de pouvoir l'enseigner oralement au futur duc de Wharton, quand ce dernier entreprit de relire ses classiques pour se préparer à l'éloquence parlementaire. Au reste, tout à l'école de Winchester, depuis l'interdiction de l'anglais jusqu'aux discours d'apparat par lesquels on célébrait les événements de quelque importance, ou qui saluaient le proviseur récemment nommé ou l'évêque en tournée d'inspection, contribuait à former des latinistes

1. L'année suivante, toujours en quinta classis, il est porté septième.

[ocr errors]

habiles. Les exercices oratoires de ce genre étaient fréquents et, quelques années plus tard, Joseph Warton, le nouveau « headmaster, » ne causa pas d'étonnement mais un simple mouvement d'admiration en improvisant une harangue latine en réponse à l'allocution de bienvenue du premier des « prefects. » La connaissance des poètes de Rome se montre surtout chez Young dans les épigraphes nombreuses empruntées à Virgile, à Horace ou à Juvénal, dans des allusions rapides au cours de sa correspondance intime, enfin dans des réminiscences et des imitations presque inconscientes. Il a même pratiqué et l'on peut supposer qu'il suit plutôt ici son goût personnel que la tradition de son école les moralistes de l'empire et notamment Sénèque, dont les Nuits portent l'empreinte ineffaçable. Le précepteur de Néron l'a sans doute charmé par la recherche de l'esprit et le maniement des antithèses brillantes, il lui a, dans une certaine mesure, transmis jusqu'à son style, si l'on en juge par le discours prononcé au Collège d'All Souls à l'inauguration de la bibliothèque Codrington et sur lequel nous aurons l'occasion de revenir. On aimerait à connaître l'impression que conserva Young de ses années de classe. Il ne nous reste à ce propos que quelques remarques sur l'enseignement à Winchester faites par lui lorsqu'il parla à Spence de son ancien camarade Wm Harrison. Ce dernier, à la mémoire duquel notre auteur consacra quelques vers touchants dans son épître à lord Lansdowne, était fils du D' Harrison, maître de l'hôpital de Saint-Cross, aux portes de Winchester, et se fit connaître par sa facilité d'improvisation poétique. On habituait, paraît-il, les élèves à composer sur-lechamp des hexamètres ou des distiques élégiaques latins sur un sujet donné. Le jeune homme, au dire de son ami1, déployait tant de virtuosité dans ces exercices, qu'il releva le niveau de la versification scolaire et que l'amélioration due à son exemple persista pendant quelques années après son départ. Il faut croire que la poésie attirait tout particulièrement les boursiers de la fondation, car Harrison, d'après son condisciple, composa pendant

1. Spence's Anecdotes. Young se rappelait encore quelques vers à propos d'une femme achetée par des présents et morte ensuite de chagrin «... Tarpeiæ virginis instar Obruitur donis accumulata suis. »>

le cours de ses études, une satire sur les dames de Winchester et à peine élu à New College, il publia un morceau plus ambitieux intitulé Woodstock. Addison, dont cette pièce de vers mérita les éloges, déclara que l'adolescent, pour son début, avait dépassé quelques-uns des meilleurs écrivains de l'époque et, avec sa bonne grâce habituelle, il intervint auprès de ses amis politiques pour lui obtenir un poste honorable et lucratif. Et c'est ainsi que les Muses servirent la fortune de leur jeune admirateur.

Pour Young c'était encore un des avantages du Collège que de le mettre en contact avec tant d'esprits sérieux dont plusieurs se distinguèrent plus tard dans des domaines divers. Il connut ainsi parmi ses camarades son futur beau-frère, John Harris, entré en 1693, Ed. Cobden, qui devint archidiacre de Londres, et George Lavington, qui devait être évêque d'Exeter. Encore ne s'agit-il ici que des boursiers de Winchester, alors qu'il y avait dès cette époque un contingent d'élèves payants réunis dans un bâtiment à part sous la direction spéciale du proviseur. Il compta sans doute des amis parmi eux; en tout cas, il y trouva un de ses intimes, George Bubb1, dont le nom figure parmi les « commensales » à titre de « præfectus » en 1706, et qui devint un de ses protecteurs. Mais l'influence littéraire de l'école n'est pas non plus à négliger. Winchester avait déjà produit deux poètes d'une grande valeur, John Davies, à la fin du siècle précédent, dont l'ouvrage en stances rimées sur l'Immortalité de l'âme est resté célèbre, et Thomas Otway (1651-85), dont elle gardait le souvenir, bien qu'il n'eût pas été boursier, et qu'Ed. Young (il l'écrit à Richardson en 1744), estimait l'un des premiers dramaturges anglais. Parmi ses condisciples mêmes, il faut noter John Philips (1676-1708), l'auteur du « Splendid Shilling, » qui reprit après Milton l'emploi du vers blanc ailleurs qu'à la scène et Lewis Cibber (frère et non fils de Colley Cibber, comme l'indique T.F. Kirby dans « Winchester Scholars), » qui put initier son camarade aux mystères du théâtre et que celui-ci eut tant de plaisir à rencontrer en 1745 à Tunbridge Wells, au grand éton

1. Plus jeune que l'auteur, G. Bubb parait être entré à Winchester quatre ans après lui. I prit le nom de Dodington à la mort d'un oncle dont il hérita. Son nom se trouve dans les Winchester Long Rolls [op. cit.], p. 105.

« PreviousContinue »