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duc de Wharton dont la bibliothèque avait été vendue aux enchères en 1727 et les biens confisqués par le Gouvernement. Le champ reste donc libre aux conjectures, puisque le fait du cadeau princier n'est contesté par personne. Or le bienfaiteur inconnu nous paraît avoir été très probablement, l'un des plus riches seigneurs du temps, le duc de Chandos, dont les relations avec Young sont certaines. Ce dernier, nous le verrons plus tard, lui adressa une épître de consolation à l'occasion de la mort de son fils, le marquis de Carnarvon, et il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'il lui fît hommage, dans son ensemble, d'un ouvrage dont les différentes parties étaient dédiées à des membres libéraux de l'aristocratie anglaise. L'hypothèse est d'ailleurs confirmée par un document authentique, si nous en croyons l'envoi poétique suivant que Mr Wm James Smith, du Conservative Club de Londres, publia en 1863 dans Notes and Queries 1, comme étant indubitablement de la main d'Young:

To His Grace the Duke of Chandos.

Accept, my Lord, the Satire which I send,
For who to Satire is so fit a Friend?
Others with censure will the Verse pursue,

And just their Hate, to give my Foes their due ;

You safely may support a Muse severe,

And praise their talents which you ne 'er can fear.

From other Great Ones I can tribute raise

Of Vice or Folly, to enrich my Lays;

But Chandos, an Unprofitable Thing,

Can nought on earth but his Protection bring.

[A sa Grâce, le duc de Chandos. « Acceptez, monseigneur, la Satire que je vous adresse, car qui est si bien l'ami qu'il faut à la satire ?

1. Notes and Queries, 34 Series, vol. III, p. 109 (7 février 1863). L'attribution semble certaine si ce sont bien les vers dont parle Dan. Perkins dans une lettre du 5 septembre 1747, écrite de Whitechurch et attachée au Manuscrit de la Vengeance qui se trouve à la Bibliothèque Bodléienne d'Oxford [Rawl. poet., 229]. Il y dit : ... I remember to have heard His Grace [le duc de Chandos] express himself with great esteem of Dr Young; and from a copy of verses in Ms seal'd to the blank leaf opposite to the title-page of his last Satire dedicated to Sir Robert Walpole I am pretty sure the Dr had an equal esteem for His Grace... »

D'autres poursuivront ces vers de leurs censures, et leur haine est justifiée, pour donner ce qui leur est dû à mes ennemis. Mais vous pouvez sans danger soutenir la muse sévère et louer les talents de ceux que vous ne sauriez craindre. Je puis mettre d'autres grands à contribution pour le vice ou la folie, afin d'en enrichir mes chants. Mais Chandos, être inutile, ne peut m'apporter rien au monde que sa protection. »]

La flatterie était délicate, sinon désintéressée, et du moins elle ne tombait pas à faux. Après avoir souvent vendu son encens au plus offrant, Young appliquait enfin les conseils si sages qu'il donnait au début de sa première satire (vers 27-34) et se décidait à louer le vrai mérite. L'opération du reste fut assez profitable, à en juger par la reconnaissance de son Mécène, pour qu'il se soit promis de recommencer1. mais d'autres préoccupations le détournèrent de son projet et les rivaux du poète 2 purent cueillir les lauriers auxquels il renonçait.

1. Voir Sat. VII, v. 89-110. Les sujets proposés ne sont pas traités dans les Satires sur les femmes.

2. Lui-même, du reste, invita Pope à écrire des satires (Sat. 1, v. 35-36).

CHAPITRE V

Éd. Young et la société de Londres. Son entrée dans les Ordres. Avènement de George II. Young et ses relations à la Cour.

Son mariage et sa vie à Welwyn.

1

La fin de l'année 1725 vit Young tout préoccupé de ses satires et de leur dédicace à des bienfaiteurs influents. En même temps il restait en relations étroites avec Pope et son amie Lady M. Wortley Montagu. A cette dernière il demandait conseil au sujet de sa pièce projetée et lui rendait compte, le 1er mars 1725-26, d'une visite au malheureux poète Savage, que la grande dame avait tenu à récompenser (sans doute pour la dédicace de ses Mélanges 2). La lettre mentionne encore une élection parlementaire à Wycombe, dans le Buckinghamshire, où le poète doit aller le lendemain, peut-être pour y rendre quelque service politique au gouvernement. Quoi qu'il en soit, ses efforts littéraires ou autres étaient appréciés en haut lieu, car il reçut, le 13 mai, une pension royale de 200 livres à dater du 6 avril précédent, la seule, fait remarquer Macaulay, que le ministre Walpole ait apparemment accordée à un homme de lettres. Notre auteur, qui n'était pas ingrat, n'attendit qu'une occasion propice pour exprimer sa reconnaissance. Elle se présenta bientôt. Le 26 mai, son bienfaiteur était élu chevalier (Knight companion) de l'ordre de la Jarretière, étant déjà depuis un an chevalier de l'ordre du Bain, qu'il avait engagé le roi à rétablir, et le 16 juin, il était solennellement installé à Windsor 3. Young écrivit aussitôt une

1. Un mot d'Young à Pope, du 8 juin (de cette année probablement), lui annonce qu'il a reçu onze exemplaires de la traduction d'Homère, y compris l'exemplaire destiné à la bibliothèque publique [d'All Souls'?] Voir The Works of Al. Pope, op. cit., vol. X, p. 117.

2. Voir l'appréciation de Sam. Johnson au sujet des dédicaces de Savage dans la vie de cet auteur.

3. Avec Walpole fut nommé le duc de Richmond, d'après the Historical Register de 1726 (Chronological Diary, p. 16).

pièce de vers de circonstance « l'Installation (the Instalment) › où il rappelle les flots des largesses royales rafraîchissant le domaine de la muse et déclare que, puisque la sienne vient d'être « autorisée du sourire de Brunswick » elle doit être « réservée de conduite et sublime dans ses contemplations. » Quelque pamphlétaire anonyme 1, peut-être blessé par les satires déjà parues, s'attaqua à ce poème de mauvais goût qu'il explique par la pension royale dont parlaient les journaux et Thomson, établi à Londres depuis un an, donna son avis sur le détracteur et sa victime en ces termes, dans une lettre à Malloch (ou Mallet), du 2 août 1726 : « Je n'ai pas vu ces réflexions sur l'Installation du Docteur, mais j'apprends qu'elles sont aussi pitoyables que leur sujet. Le bougran même du Docteur lui fait défaut à cette occasion; son sublime affecté vient à lui manquer et il fait le plongeon avec une rapidité peu commune. » Ce jugement sévère est si bien mérité que l'auteur lui-même, honteux de son adulation poétique, eut soin de la supprimer dans l'édition définitive de ses œuvres.

Au reste Young allait passer à des occupations plus graves, car c'est dans le courant de cet été qu'il se décida subitement à entrer dans les ordres, sans qu'on sache à quelle ordination ou par quel évêque ils lui furent conférés. Il n'y songeait apparemment pas au printemps, puisqu'il s'intéresse à des élections et au théâtre, mais en été le pas décisif était accompli, puisque l'on trouve dans le journal de T. Hearne, à la date du 20 juillet 2, un extrait du Reading Post or Weekly Mercury, du 18 juillet 1726, annonçant la pension accordée « au Rev. Dr Young, chapelain de Son Altesse Royale la Princesse de Galles. » Hearne ajoute que le titulaire est agrégé d'All Souls' College et poète, ce qui suffit pour trancher la question d'identité. Enfin, s'il est permis d'arguer de ce fait que le décret du 13 mai 3 le désigne seulement 1. Voir Remarks Critical and Political upon a late Poem, intitled The Instalment, etc. London, Printed for A. Moore, near St Paul's, 1726.

2. Hearne's Diaries, vol. CXIII, p. 1, dans les Mss. de la Bibliothèque Bodléienne d'Oxford.

3. C'est la date même du Warrant royal au Record Office de Londres et non le 3 mai que mentionne le Dr Doran. Vers cette époque, si l'on en croit une anecdote un peu suspecte de Ruffhead, Pope aurait conseillé au poète la lecture de saint

comme « Edward Young, Doctor of Laws, » il serait entré un peu plus tard dans les rangs du clergé. Mais ceci établi et, jusqu'à présent, l'on ignorait le moment précis et jusqu'à l'année de ce changement on peut se demander quelles raisons le déterminèrent à se faire ecclésiastique vers l'âge de quarantetrois ans. La résolution fut subite vu que, de l'aveu de tous ses biographes, il retira de la scène une pièce déjà mise en répétition, et, comme il appartenait à la section du droit, son Collège ne pouvait invoquer, pour l'obliger, l'argument des statuts. Mais il venait de se produire un événement à All Souls' qui fournit peut-être l'explication désirée. Le célèbre Dr Bern. Gardiner était mort le 22 avril 1726 et l'écrivain voulut sans doute pouvoir se présenter comme candidat éventuel au poste vacant. Il méritait cet honneur, tant par sa réputation de lettré que par ancienneté de grade à Oxford, mais il dut avoir contre lui toute la coterie de Tindal, et, le 31 mai, ce fut Stephen Niblett', agrégé de 1720 seulement, qui fut élu Warden par ses collègues.

Bien que soudaine, la vocation du poète n'avait rien d'inattendu, puisque le duc de Wharton l'en avait déjà détourné quelques années auparavant. Mais il y avait là une nouvelle déception, à peine mitigée par la générosité royale, et c'est à titre de compensation sans doute qu'il fut nommé chapelain de la princesse de Galles, la future reine Caroline. Il était, du reste, préparé par ses traditions de famille et par la gravité de son caractère, sans parler du ton moral et même religieux de la plupart de ses ouvrages, aux fonctions de pasteur. La production de pièces de théâtre lui paraissant désormais incompatible avec ses nouvelles obligations, il retira, d'après Th. Davies et Benjamin

Thomas d'Aquin comme préparation théologique et l'aurait retrouvé six mois après dans une retraite suburbaine, juste à temps pour l'empêcher de devenir fou. Les dates que nous donnons rendent la chose fort peu vraisemblable, et les vers 97-100 de la Satire VII, publiée précisément en 1726, montrent ce que l'auteur pensait des commentateurs de tout genre.

1. Niblett, né en 1697, était d'ailleurs maître ès arts et, peut-être en prévision de l'événement, était entré dans les ordres à Oxford comme diacre le 31 mai 1724 et comme prêtre anglican le 30 mai 1725. Extrait du Diocesan Register of Ordination d'Oxford.

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