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20.

HISTOIRE ET GÉOGRAPHIE.

Georges Espinas, Les finances de la commune de Douai, des origines au XVe siècle. (Avec P. J. pp. 399-512) Paris, Picard, 1902, in-8° de xxxv-546 pages. F. 10.

Cette monographie est un développement magistral des idées. récemment exposées dans la Nouvelle Revue historique de droit français et étranger (1901); elle apporte un élément nouveau et des plus sérieux à la connaissance des institutions urbaines du Moyen-âge.

Le savant auteur s'applique à retracer non pas tant l'histoire de la comptabilité de Douai que l'histoire juridique des institutions financières de cette ville, et outre l'étude des éléments locaux il établit de nombreux rapprochements avec les finances des villes d'entre Seineet-Elbe.

Après un exposé détaillé (pp. xv-xxxv) des différentes sources diplomatiques et littéraires où il a puisé, M. Espinas débute comme suit :

« L'administration (au x1° siècle), n'a ni une origine ni un but urbains : elle a un point de départ et une fin publics; elle n'est pas sortie du castrum et ne lui sert pas directement, mais lui a été superposée par le comte dans son propre avantage. Il en est de même pour les impôts leur origine est étrangère, leur utilité n'a rien d'urbain. ni même de général elle est extérieure et, malgré leur forme publique, maintenant tournée au seul profit du comte, et plutôt privée. Enfin le genre de ces revenus n'en fait pas, à proprement parler, des impôts véritables, mais de simples taxes, perçues en vertu d'un pouvoir juridique, des justitiae... » (p. 11.)

Insensiblement (au cours du XIIe siècle), les droits utiles locaux du comitatus se subdivisèrent entre quatre branches cadettes de la famille du châtelain, dont les fonctions étaient devenues héréditaires; à côté du domaine du châtelain, se fixèrent trois autres seigneuries locales: la prévôté, la seigneurie de Saint-Albin, le gavène. Mais en face de ce partage du pouvoir public local s'est placée la naissance de la commune. C'était une nouvelle association tendant essentiellement et dans la mesure de son état général politique et juridique, à s'émanciper de sa dépendance financière... (p. 15).

A l'origine, les bourgeois ne firent que payer les taxes déjà anciennes, un cens juridique récognitif du dominium... (p. 17) et peutêtre un droit de mutation .. (pp. 19-3). Mais bientôt la ville devait finir par accaparer les anciennes justices: le « forfait », le tonlieu, les produits des étaux, les revenus des communia; elle allait créer des ressources nouvelles des impôts directs comme la taille, indirects

comme l'assise; elle devait établir tout un régime fiscal administratif et pécuniaire indépendant.. (p 21). L'échevinage réunissait dès lors entre ses mains, les pouvoirs judiciaires et les pouvoirs financiers. Notons que ces finances urbaines ne devaient rien à l'organisation politique antérieure. Les organisations féodale et communale ont fonctionné simultanément. Les taxes anciennes ne furent conquises qu'en vue de régulariser la création des ressources nouvelles... (p. 30).

Au XIe siècle, les vices de l'oligarchie échevinale recrutée exclusivement dans un patriciat ploutocratique, exerçant sans limite comme sans contrôle, loin des regards de la communauté et de la puissance publique, un pouvoir financier théoriquement complet et appuyé d'un pouvoir législatif pratiquement absolu, ces vices rompirent l'entente et le lien qui réunissaient les membres de la coinmunauté. C'est par une catastrophe que finit cette troisième période; en même temps se clôt la marche ascendante générale de la commune vers l'autonomie financière. Economique si l'on veut, mais financière avant tout, financière dans son origine, dans son caractère principal, dans ses agents et dans ses résultats directs, la révolution de 1296 ouvrit décidément la porte au fait et aux abus de l'intervention publique. On déposa des plaintes chez le comte Gui de Dampierre. Le comte fit une réponse qui, si vague qu'elle fût, n'en contenait pas moins en germe l'inauguration de « deux modifications organiques générales l'établissement d'une commission de surveillance fiscale qui pouvait devenir souveraine en matière d'emprunts; le double contrôle, en fin d'exercice financier, de la communauté, et, plutôt éventuellement, de la puissance publique... » (p. 60). Ce n'était qu'une promesse. Comment se réalisa-t-elle ? On ne le sait trop. Mais en 1297, suivit un régime de transition où l'on vit appliquer les deux idées. Par malheur, les guerres de Flandre vinrent alors causer à Douai des bouleversements politiques intérieurs autant qu'extérieurs, tandis que la ville continuait de se trouver dans un état pécuniaire déplorable, au grand détriment de sa liberté financière.

A ce moment commença la période française qui devait durer de 1304 à 1369. En 1311, Philippe le Bel transforma en ordonnance le projet général d'organisation constitutionnelle élaboré par Enguerrand de Marigny. Le document fut d'ordre financier comme la constitution de 1297, et le fut même exclusivement (p. 84). Son application locale << rattacha la ville à la royauté par l'impôt public, on introduisit la royauté dans la ville par le contrôle fiscal» (p. 92). Désormais « l'état organique et pécuniaire des finances aura une tendance croissante à dépendre du contrôle et même des demandes de la

puissance publique. » (p. 93). La gestion fut plus régulière, mais le danger de l'ingérence étrangère augmentait toujours. Cependant, « jusqu'à la guerre de Cent ans, semble-t il, s'établit et se maintint une sorte de compromis entre les privilèges nécessaires de l'administration, les droits de la communauté, la surveillance prépondérante, mais tutélaire et utile, de l'autorité extérieure » (p. 94).

La situation se précisa et s'accentua, d'abord vers la fin de la période française, en 1368, grâce à une ordonnance constitutionnelle de Charles V; et se confirma définitivement sous la maison de Bourgogne. On rentrait ainsi sous le régime purement public, et « l'autonomie urbaine ne fut plus qu'un souvenir. » (p. 105).

En résumé: un accroissement subit de forces éparses avait un instant forcé la main à l'autorité centrale, mais l'action des deux grandes lois qui régissent la vie normale d'un corps politique : l'action de la loi de multiplication progressive des organes, et de la loi de centralisation progressive des forces, avait ramené toutes les puissances secondaires dans l'obéissance du prince (cf. P. Viollet, Hist. des institutions politiques et administratives de la France, I, p iv et v). Après avoir brillamment exposé cette suite de changements administratifs, le savant auteur aborde l'examen de la partie proprement économique du sujet l'étude des transformations financières.

Nous ne suivrons pas dans ses détails cette partie plus technique. et moins synthétique. M. Espinas y adopte un procédé de développement moins descriptif, plutôt génétique. Contrairement à ce que nous voyons dans la première partie, ici l'historien général parle moins. L'histoire locale de Douai reparaît à l'avant-plan. Celle-ci, il faut l'avouer, s'est un peu trouvée, dans toute la première partie, reléguée dans les notes. En effet, très souvent jusqu'ici les différents événements du passé douaisien n'étaient relatés qu'au bas des pages, comme autant d'applications réelles, appelées à confirmer les différents détails du système de l'auteur. Travaillé par son idée dominante : la foi dans l'influence prépondérante des préoccupations financières sur la vie des groupes, M. Espinas déclare que le fait de cette influence « est une question sur laquelle on ne saurait trop insister. » (p. 54, n. 1). Par une conception originale et puissante, il a découvert que la courbe des phénomènes financiers de l'histoire douaisienne, des origines au début du xve siècle, décrit une circonférence parfaite. Et voilà toute l'histoire de Douai resserrée dans un cercle. Et le centre? C'est la révolution de 1296. Révolution purement économique, a-t on enseigné jusqu'ici; révolution secondairement économique, primordialement financière, reprend M. Espinas. Et vraiment, l'idée est originale, la défense, brillante.

Ainsi donc la fin du xive siècle on se retrouvait au point de départ du x1; et les agents du pouvoir central s'étaient définitivement. substitués à l'oligarchie locale. Néanmoins, ce fait pouvait-il constituer objectivement une raison de prendre comme limite chronologique de l'histoire des finances de la commune, la fin du xive siècle? L'auteur a senti l'objection qu'on lui ferait. Il se défend de tout arbitraire, mais la difficulté reste et le soupçon aussi. L'administration centrale n'aura pas, croyons le, totalement remplacé l'administration communale. Puis n'y a-t-il plus eu de tentatives de réaction dans un groupe qui pouvait puiser des forces nouvelles et dans la constatation de l'ordre de ses affaires présentes, et dans le souvenir de sa grandeur passée? L'histoire des finances de Douai pouvait bien s'étendre au delà du commencement du xv siècle. Assurément, le savant auteur s'est complu à défendre une idée chère : celle du retour final des choses au point initial. Partout il expose son système : dans la préface, dans la conclusion générale, dans les conclusions particu lières; il y revient, il aime à y revenir; malheureusement, comme nous le disions tantôt, l'histoire locale aura pu en pâtii et les éléments de cette histoire ont assumé, par suite, le rôle secondaire de preuves ou de confirmations, alors qu'il leur revenait celui de faits primordiaux à analyser.

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La deuxième partie, où d'ailleurs continue à percer l'idée de l'influence que la crise de 1296 exerça sur les organisations économiques, expose l'état statique et dynamique des divers éléments des recettes et dépenses générales de la commune; ensuite, les destinées de l'impôt public, de la dette et des exemptions; puis, le fonctionne ment du budget et des comptes; enfin, les rapports fiscaux avec l'échevinage, de certaines communautés financières spéciales, soit de nature publique comme les connétablies, soit de nature privée comme les confréries militaires ou les associations d'entreprise.

Cette seconde partie du livre contraste avec la première, en ce sens qu'elle manifeste un caractère plus analytique ainsi, ce sont maintenant plutôt les rapprochements entre situations, les conclusions utiles à l'histoire générale qui font l'objet des notes explicatives. Mais c'est toujours la même ampleur de vues, la même sûreté de jugement, car jamais l'auteur ne cite une autorité et il en a pour toutes ses affirmations, - qu'elle ne soit dûment et convenablement introduite, bien choisie, bien pesée et judicieusement appliquée. On dira bien qu'en certains endroits on peut lui faire un grief d'avoir, pour des faits d'importance minime, consulté des sources de deuxième ou même de troisième main, alors que le contraire était possible. Pourquoi, par exemple, chercher la date de la fondation de l'abbaye

d'Afflighem dans un Dictionnaire encyclopédique, fût-il de Jourdain et Van Stalle, (p. 512) alors que précisément cette date varie dans les sources de première main? De même, c'est uniquement une question de méthode, peut-on s'appuyer sur une simple phrase de Pirenne, Histoire de Belgique, pour exposer la marche d'une institution d'antan (p. 25. n. 4)? Mais ce ne sont là que des ombres faisant ressortir la sûreté des lignes et la vivacité du coloris. La seule objection sérieuse que pourrait soulever un lecteur peu renseigné sur la force de pensée de M. Espinas et des savants théoriciens qu'il invoque, naîtrait de la double constatation suivante D'abord il suffit d'énumérer les noms des principaux auteurs que M. Espinas consulte pour faire soupçonner qu'il s'est retranché a priori dans une théorie conçue avant même que d'avoir abordé l'étude objective des faits. Citons : pour les influences économiques en histoire : K. Lamprecht, K. Bücher; sur l'ensemble des institutions religieuses: A. Hauck ; sur les origines des institutions urbaines: J. Flach pour le combattre; puis, pour les suivre R. Sohm, P. Huvelin; parfois G. von Below et G. L. von Maurer; rarement F. Keutgen, S. Rietschel; constamment H. Pirenne, G. Des Marez.

Ensuite, adoptant la méthode comparative, à l'instar de ce que fit M. Pirenne, pour l'étude des constitutions urbaines du Moyen-âge, l'auteur s'en tient exclusivement au cadre géographique trop restreint fixé par M. Pirenne, l'entre Seine-et-Elbe, sans se soucier des objections que présentèrent à ce dernier de prudents historiens. A toute éventualité, M Espinas va jusqu'à présenter des excuses pour le cas où il n'aurait pu «ni saisir ni appliquer la pensée de l'auteur de l'origine des constitutions urbaines. » (p. vi).

En vérité, nous constatons chez lui un grand, un trop grand souci, de faire paraître dans l'histoire des Origines de Douai, la réalisation. des hypothèses de M. Pirenne ou de ses élèves. Sur la foi de celles-ci, il conclut à l'existence primitive d'un notaire douaisien (p. 7. n. c.); considérant un point de départ établi ailleurs. et à peine possible à Douai, se basant sur une analogie apparente dans les transformations (dernières), et trouvant le point d'aboutissement identique à celui du cas comparé, il conclut que « les receveurs de l'espier de Douai » au XIIIe siècle ne sont que les successeurs directs des notaires qui auraient existé en cette ville aux x1o et XIIe siècles (p. 8. n. f.). Là où il dispose de textes suffisants pour prouver la navigabilité de la rivière » (au bord de laquelle fut construit le château), M. Espinas trouve encore bon de signaler par une citation de H. Pirenne (Histoire) que le fait est admissible a priori p. 9. n. f.). Dans le même ordre d'idées, il suppose admis qu'au

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