Page images
PDF
EPUB

Il n'y a pas à se dissimuler que la tâche était lourde: le nouvel irlandais, langue jusqu'à ce jour presque exclusivement pratiquée par des paysans à l'exclusion du monde intellectuel, a un vocabulaire naturellement beaucoup plus pauvre que l'anglais. Dans sa préface, M. Fournier d'Albe estime qu'une personne parlant irlandais de naissance, n'emploie pas plus de 5000 mots. Ces 5000 mots ne peuvent fournir des équivalents à tous les termes anglais; c'est pourquoi l'auteur a commencé par restreindre le vocabulaire anglais au strict nécessaire; ainsi, entre plusieurs synonymes, il s'est borné à noter le plus expressif. D'autre part, quand il s'agissait d'exprimer des idées que le nouvel-irlandais ne peut rendre, il a usé de trois procédés :

I Il a emprunté à la littérature du moyen-irlandais un certain nombre de termes tombés en désuétude en irlandais moderne;

2o Il a dérivé un certain nombre de mots de radicaux irlandais; 30 Il a accordé la naturalisation à ce qu'il appelle avec raison les « mots internationaux », tels que électricité, magnétisme, chimie, etc. Tous ces néologismes sont marqués d'un astérisque.

On pourrait probablement relever plus d'une erreur dans ce dictionnaire. Il s'en glisse toujours inévitablement dans les travaux de ce genre. Mais seuls les érudits parlant irlandais de naissance pourront formuler un jugement compétent à cet égard.

Quoi qu'il en soit, le dictionnaire de M. Fournier d'Albe est une œuvre très utile, qui rendra beaucoup de services à tous les celtisants. VICTOR TOUrneur.

376.

LANGUES ET LITTÉRATURES ROMANES.

-Henri Davignon, Molière et la Vie. Paris, Fontemoing, 1904. 299 pages, 3 fr. 5o. (Collection Minerva.)

« Voici plus de deux cents ans que Jean-Baptiste Poquelin est mort » ... et voici plus de deux cents ans qu'on étudie son œuvre, sans qu'on trouve le sujet fatigué et usé. C'est que Molière a quelque chose « d'éternellement actuel et d'éternellement vrai », quelque chose dont on ne se lasse pas et qui a engagé un de nos jeunes écrivains belges, M. II. Davignon, à faire le présent livre. Tel est en effet le point de vue auquel il se place surtout dans cette série d'études qu'il a réunies sous le titre de Molière et la Vie: « Il n'y aura ici guère, ditil en commençant, de travail d'érudition, pas du tout de prétention. de découvrir du neuf. Ce sont des réflexions de spectateur, des notes de lecture... » Néanmoins, et cela sans prétendre faire de l'origi nalité à tout prix, il a su écrire sur ce sujet des pages vraiment person

nelles, des pages remarquables par la fraîcheur, la sincérité, le tour alerte et délié des impressions. En dépit de quelques négligences de forme qui auraient pu ne pas échapper à une plume avisée comme est la sienne, son livre est assurément de ceux qui honorent nos lettres belges.

« Comment, dit-il, Molière a-t-il compris et représenté la femme, comment la femme d'aujourd'hui accepte-t elle cette représentation, comment Molière doit-il être compris par la femme en général; c'est l'objet du premier chapitre : Molière et les femmes. » A cette question, M. Davignon répond que le grand classique ne les prend pas assez au sérieux, ne les fait pas aussi romanesques et passionnées qu'elles le voudraient, ce qui lui donne l'air d'un antiféministe. Mais, en somme, il leur réserve de beaux rôles et leur donne de bonnes leçons. En second lieu, qu'a-t-il pensé de la bourgeoisie et des inégalités sociales de son temps? Il l'a beaucoup aimée, par sympathie réelle pour une classe dont il sortait, par tempérament, par goût d'une vie plus rangée que n'était la sienne propre, celle du comédien. Il l'a dépeinte sotte et vaniteuse, non par haine, mais parce qu'il désirait pour elle la bonhomie, le bon sens, la sagesse, et d'ailleurs ce sont les qualités qu'il lui prête, lorsque, comme dans le type de Chrysale, il la représente à son avantage.

Plus vicieuse que la bourgeoisie nous apparaît chez lui la classe des petites gens, qui sont, à l'ordinaire, des valets et des soubrettes. On sait leurs ruses, leurs mensonges et leurs gredineries. Et avec cela, combien souvent ou combien longtemps ne l'emportent-ils pas! Mais regardez-y de près : sont ils vraiment aussi pervers qu'on le pense et n'est-ce pas plutôt méchanceté de parade et de théâtre ? D'ailleurs ils se font tant pardonner grâce à leur esprit et parce qu'ils sont grands dispensateurs de gaieté ou grands protecteurs de la jeunesse amoureuse. A tout prendre donc, et malgré leurs défauts, ils sont ici bien traités : c'est peut-être, écrit M. Davignon, que Molière voit en eux l'homme du peuple, l'homme de demain.

L'opinion me semble risquée de regarder le verbe hautain et impertinent des Mascarille comme une protestation anticipée du tiers état. Dans le rôle que Molière accorde aux fourbes fourbissimes, il y a la part à faire à la tradition, aux habitudes prises par la comédie antérieure. La méchanceté plus ou moins triomphante du valet est alors chose consacrée au théâtre. Sans doute, M. Davignon ne l'ignore pas, mais il ne le dit pas assez.

On peut différer d'avis avec lui sur ce point comme aussi sur la question du Drame dans Molière qu'il traite dans son quatrième et dernier chapitre et qu'il traite avec tact et finesse. On peut entendre

autrement que lui la philosophie de l'écrivain de l'École des Femmes et du Misanthrope. Mais on ne lui contestera pas le mérite d'avoir fait làun livre de critique sérieuse et solide, sans nul pédantisme. de critique délicate et vraiment littéraire. Georges Doutrepont.

377. Projet de Dictionnaire général de la langue wallonne publié par la Société Liégeoise de Littérature Wallonne. Liège, Vaillant-Carmanne, 1903-1904, 36 pages, gr. in-8°. 2 fr.

Ce Projet débute par un Avertissement explicatif de 6 pages dont voici les premières lignes : « Le public wallon n'ignore pas que la Société Liégeoise de Littérature Wallonne a toujours considéré comme un de ses devoirs principaux de dresser l'inventaire des richesses verbales du pays. Elle a favorisé de tout son pouvoir la composition de lexiques régionaux ou professionnels. Certains de ses membres ont exécuté dans ce sens des travaux remarquables. Depuis plusieursannées la question du Dictionnaire général de la langue wallonne est entrée dans une phase nouvelle ». Cette phase, comme la suite de l'Avertissement nous l'explique, a été et est celle de la mise en œuvre et de la mise au point des matériaux que la Société a réunis durant presque un demi-siècle. La parole est maintenant aux philologues (1): à eux est confiée la tâche d'en tirer parti et de nous donner l'œuvre promise, savoir un Dictionnaire général qui soit scientifique. Il aura pour modèle celui de langue française que Hatzfeld, Darmesteter et Thomas ont élaboré dans ces dernières années : « Il sera pourvu, dit également le Projet, d'un Traité de la formation de la langue wallonne sur le plan de l'Introduction de Darmesteter, où seront exposées la phonétique, la morphologie et la syntaxe du wallon. >>

Mais à ce wallon, « langue à nombreux dialectes », les auteurs du Dictionnaire annoncé ont dû choisir un point de repère, et ils l'ont naturellement trouvé dans le liégeois. Toutefois, dans la mesure du possible, ils citeront les termes particuliers à d'autres dialectes, verviétois, malmédien, ardennais, chestrolet, gaumet, namurois, condruzien, brabançon, carolorégien. C'est ce dont on peut déjà se rendre compte par les articles qui suivent et qui occupent le reste de la brochure. Nous avons là une série d'exemples très habilement pris dans l'immense somme de renseignements dont dispose la Société. Ce spécimen nous promet une œuvre de haute valeur scientifique en

(1) Ont été chargés d'élaborer le présent projet MM. Julien Delaite, secrétaire de la Société; Auguste Doutrepont, professeur de philologie romane à l'Université de Liège; Jules Feller, professeur à l'Athénée royal de Verviers, et Jean Haust, professeur à l'Athénée royal de Liège.

même temps que du plus vif intérêt et du plus réel agrément pour tous ceux qui aiment et goûtent la fraîche et savoureuse beauté de nos patois. C'est à eux, c'est à leur concours que fait appel l'Avertissement: « Nous voulons, écrivent les auteurs, organiser une consultation générale de la Wallonie pour compléter notre collection de termes, de sens, de variantes phonétiques, de spots, de locutions, afin d'embrasser à la fois toute la région de langue wallonne et tout le domaine varié de la vie wallonne. L'idéal serait que, dans chaque commune, nous eussions un ou deux correspondants de bonne volonté, parlant le dialecte du pays, et désireux de nous aider dans notre tâche ». G. D.

378. Eduard Engel, Psychologie der französischen Literatur. 3o Aufl. Berlin, L. Simion, 1904, 243 pages.

Ce n'est pas l'histoire, remarquez bien le titre, mais la psychologie de la littérature française qu'a voulu retracer M. Engel dans son livre. Il ne s'agit donc pas ici d'une revue complète des écrivains plus ou moins marquants de France, mais d'une galerie de portraits où chaque personnage choisi l'est en tant qu'il incarne quelque tendance caractéristique de cette littérature. La tâche est toujours délicate et malaisée de définir la psychologie d'une nation, et encore faut-il qu'à cette définition les exemples ou auteurs pris pour types soient bien adéquats. Inévitablement il y a là matière à contestation. Aussi bien d'ailleurs, lorsqu'on passe de la théorie à l'application et qu'on arrive aux écrivains, on se laisse aller à étudier ceux-ci pour eux mêmes, ou du moins oublie t-on assez facilement de toujours ramener le lecteur au point de départ, aux considérations du début (1).

Etant données les idées de M. Engel en ce qui regarde l'esprit français et comme il a voulu limiter le nombre de ses représentants, je n'insiste pas sur le fait que d'abord le moyen àge, qu'ensuite des poètes tels que Racine et Lamartine, des prosateurs comme Chateau. briand et Mme de Staël, n'aient pas trouvé place dans son ouvrage, alors que Béranger y reçoit dix pages. D'autre part, avec les opinions politiques et littéraires qu'il professe, il est assez naturellement porté à juger sévèrement Boileau ainsi que l'influence de Louis XIV et à se montrer indulgent envers le xvIIIe siècle. Quoi qu'il en soit,son livre est vivant : il est écrit de verve et il a des aperçus qui méritent de retenir

(1) Cf. les deux premiers chapitres: La langue française. — Caractère de la littérature française.

l'attention. Il est intéressant à lire pour ceux qui ont l'habitude de ne voir la littérature de France appréciée que par des Français (2). GEORGES DOUTREPONT.

379.

LANGUES ET LITTÉRATURES GERMANIQUES.

Sig. Friedmann, Das deutsche Drama des XIXten Jahrhunderts in seinen Hauptvertretern. Leipzig, H. Seemann, 1903. 2 vol. gr. in-8° de 413 et 468 pp.

Le premier volume de cet ouvrage est une traduction de l'italien. L'auteur, qui est professeur à l'Académie des sciences et des lettres de Milan, a publié, en 1893, chez l'éditeur Chiesa à Milan, trois brochures sous ce titre général : Il dramma tedesco del nostro secolo, avec les sous-titres suivants : I. Enrico di Kleist (92 pp. 1,50 1.); II. I psicologi (Fed. Hebbel) (192 pp. 2,50 1.); III. F. Grillparzer (203 pp. 3 1.). A ces trois grands représentants du drame allemand moderne, il ajoute, dans l'édition allemande, les noms de Grabbe et de O. Ludwig. L'accueil favorable que cet ouvrage a reçu en Allemagne, a décidé l'auteur à poursuivre son travail et à publier directement en allemand un second volume, qui continue l'histoire du théâtre allemand jusqu'à nos jours, tout en complétant et en approfondissant la première partie publiée en italien. Le second volume traite successivement des poètes dramatiques Fr. Halm, F. Raimund, J. Nestroy, K. Gutzkow, H. Laube, G. Freytag, L. Anzengruber, A. Wilbrandt, et pour finir du célèbre triumvirat contemporain Wildenbruch, Sudermann et Hauptmann. Comme on le voit, l'ouvrage de Friedmann est une suite de monographies et non une histoire générale d'un seul jet du drame allemand. Puisque le titre indique clairement que l'ouvrage n'est pas une histoire complète, mais un recueil d'études spéciales, nous devons le prendre comme tel et l'apprécier au point de la valeur des différentes monographies dont il est composé. Mais y a lieu aussi de juger le choix que fait l'auteur parmi les poètes dramatiques allemands du XIXe siècle, puisque il les désigne sous le nom de Hauptvertreter. Ces représentants principaux sont de l'avis de M. Friedmann au nombre de vingt. Il n'y en a pas tant à mon sens,

il

(2) M. Engel date de 1483 la naissance de Rabelais C'est peut être imprudent, vu l'obscurité qui entoure la question. Par suite de lapsus calami sans doute, il fait mourir Villon en 1484 (p. 7) et Hugo en 1884 (p. 201). En parlant de

ce que Diderot (p. 167) et Beaumarchais (p. 177) ont fait contre les règles classiques au théâtre, ne perd-il pas de vue certaines tentatives de leurs prédécesseurs? - Je trouve bien superflu le couplet final en 1 honneur de Zola, le défenseur de Dreyfus, pp. 242-3.

« PreviousContinue »