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tions et celle de ses œuvres, dans le travail même de Nourrisson. Rarement certes on a plus sévèrement jugé les rêveries exaltées, les paradoxes sonores et souvent peu variés de Rousseau. Cependant la condamnation n'est pas sans réserves et l'auteur a su faire, dans cette idéologie enflammée, la part du bon et de l'admissible. Mais, en fin de compte, déclare-t-il, « toutes ces doctrines ne comprennent guère que des demi-vérités, ou des contre vérités qui aboutissent à une espèce de système qu'on dénommerait le Rousseauisme ». Ce système, l'écrivain genevois a su le mettre en valeur par l'éloquence et la séduction du style. C'est ainsi qu'il arrive à communiquer cette force irrésistiblement conquérante à l'idée fausse en laquelle il se résume et à laquelle il revient constamment : l'homme naît bon, il déchoit lorsque la société s'empare de lui.

A ce propos, il faut remarquer que si, d'après Rousseau, l'homme se corrompt en passant de l'état de nature à l'état social, c'est pourtant, toujours d'après lui, le second état qui en fait un être moral. Il y a là, dit Nourrisson, une contradiction manifeste : elle n'est pas pour gêner l'auteur de l'Émile qui est assez coutumier de la chose.

En parlant du style de Rousseau, Nourrisson aurait pu, ce semble, parler de sa puissante emprise, de son action souveraine sur les générations de poètes et de romanciers qui ont suivi. Il est vrai que l'objectif de son étude n'était pas là et qu'il a porté tout son effort sur ses écrits philosophiques ou, pour mieux dire, sur le côté philosophique de ses écrits. A ce point de vue, elle a de l'intérêt et de la signification. Il est tel chapitre, comme celui du Contrat social et de son origine, qui constitue une monographie historique du plus sérieux mérite : c'est une comparaison entre la Genève catholique du xvi® siè cle et la Genève calviniste du temps de Rousseau; par là, Nourrisson prétend « remonter à la véritable origine du Contrat social et expliquer comment avec quelques idées justes ont pu s'amalgamer tant d'idées fausses et subversives » (pp. 306-7). Dans le même dessein, il s'applique à bien décrire les mondes que Rousseau a fréquentés, mondes où son intelligence s'est formée ou dévoyée. Forcément, un livre sur cet auteur est, dans une certaine mesure, un livre sur tout le siècle même, et tel est le caractère que Nourrisson s'efforce de prêter au sien. Néanmoins, il ne nous paraît pas avoir donné toute l'attention voulue à l'influence du système philosophique de Rousseau. Dans un ouvrage de ce genre, on voudrait des observations plus amples sur le Rousseauisme, sur sa bruyante répercussion en France et à l'étranger depuis l'époque même de Rousseau jusqu'à nos jours.

G. DOUTREPONt.

491. Kurt Mehnert, Ueber Lamartines politische Gedichte, Erlangen, Junge, 1903. in-8°, IV-60 p. Prix: 1 m. 6o.

Dans l'œuvre de Lamartine, les poésies politiques ne tiennent qu'une place restreinte, et jusqu'ici la critique n'a guère porté son attention de ce côté. Il y avait pourtant là de quoi faire une étude intéressante. C'est ce qu'a pensé M. Mehnert. Les poésies qui constituent l'objet de son étude, s'échelonnent entre les années 1816 et 1841. On ne peut pas dire qu'elles soient vivement marquées de l'« esprit de parti», car, en matière de littérature comme de politique, Lamartine est toujours l'homme qui siège « au plafond » : il n'est pas de ceux qui acceptent et défendent le programme d'une École ou qui se mettent aux ordres d'un groupe déterminé et

classé.

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492. Le Musée Belge a, dans plusieurs de ses numéros précédents, fait connaître les deux collections d'études que publient M. L. Levrault, sous le titre de Genres littéraires (Delaplane), et M. F. Hémon, sous celui de Cours de Litté rature (Delagrave). Signalons, dans la première, le nouveau volume intitulé La Poésie lyrique et, en même temps, les quatre monographies sur Madame de Staël (XXI), Chateaubriand (XXII), Lamartine (XXII), Victor Hugo (XXIV) dont la seconde vient de s'enrichir. G. D.

IV. LANGUES ET LITTÉRATURES GERMANIQUES.

493. — A. M. Verstraeten, Joost van den Vondel. Jozef in Dothan. Treurspel in vijf bedrijven, taal- en letterkundig verklaard. 3e uitgaaf, bezorgd door J. Salsmans, S. J. Gand, A. Siffer, 1903.

Cette troisième édition du Jozef in Dothan, je le constate avec plaisir, est en progrès sensible sur la deuxième, qui laissait à désirer sous plusieurs rapports (voir Bulletin, V, pp. 111-113). Le P. Salsmans, qui a repris le travail du P. Verstraeten, l'a revu avec soin, remanié en partie, corrigé et complété.

Le texte, qui est celui de l'édition originale de 1640, a été modernisé dans une sage mesure et d'après des principes plus sûrs. —- Les notes ont été l'objet d'une soigneuse révision; plusieurs explications douteuses ou même erronées ont disparu; de nouvelles remarques ont été ajoutées; d'autres ont été formulées plus exactement; il y a constamment des renvois aux paragraphes de l'appendice où ont été exposées systématiquement toutes les particularités de la langue et de la versification de Vondel, et cette partie a été également remaniée et corrigée. Le glossaire est dû tout entier au P. Salsmans : il est fait avec discernement et me paraît à peu près complet; incontestablement, cette nouvelle partie rendra de sérieux services. - Comme je l'ai dit précédemment en rendant compte de cet ouvrage, ce qui fait le principal mérite de cette édition du Jozef in Dothan, ce sont les remarques littéraires. Le nouvel éditeur n'a pas négligé non plus ce côté important de l'interprétation; il n'a pas seulement revu ces remarques, mais a même trouvé moyen de les perfectionner.

Répétons-le encore bien que tout ne soit pas encore parfait (1), cette édition l'emporte de beaucoup sur la précédente, et nous n'hésitons plus à la recommander vivement. C. LECOUTERE.

494. Franz Servaes, Heinrich von Kleist. Leipzig, C. A. Seemann, 1902, 160 pp. gr. 8o. 4 m.

Cette nouvelle biographie de Henri de Kleist constitue le n° IX de la collection Dichter und Darsteller, que j'ai déjà fait connaître aux lecteurs du Musée belge (IV, 226). J'ai indiqué la tendance générale de cette belle et intéressante entreprise et j'ai analysé les trois premiers volumes. Les suivants traitent de Shakespeare, Bauernfeld - le poète comique autrichien - Tolstoï, Schiller, Ibsen. Quoique le Dr Fr. Servaes soit un homo novus dans la Kleistforschung, on pouvait attendre de lui un bon travail. Le critique d'art de la Neue Freie Presse de Vienne s'était fait connaître par de remarquables études sur la poétique allemande et par une série d'excellents essais littéraires. Une nouvelle biographie de Kleist, paraissant peu de temps. après l'ouvrage complet et approfondi de O. Brahm sur le même poète, ne pouvait contenir beaucoup de neuf. Le travail de Servaes évite du reste toute discussion sur des points controversés, toute minutie scientifique, il ne s'attarde pas dans l'étude des sources et des modèles, mais trace à grands traits un portrait de l'homme et de l'écrivain. Ce portrait est admirable de clarté, de profonde et d'intime compréhension de la nature étrange et compliquée du génial poète. C'est un habile psychologue doué d'une fine sensibilité littéraire qui nous dissèque et explique cette troublante physionomie de l'homme singulier et du poète étonnant qu'était Henri de Kleist et c'est un

(1) Voici quelques remarques concernant des points de détail. Le v. 602 devrait être expliqué; que signifie le second hémistiche: nog eens en dan niet meer? Au v. 723, il aurait fallu relever l'emploi de wij (= ik). De même au v. 380 spraak taal); vs. 702 jarig (le mot ne se trouve pas dans le glossaire); vs. 887 verblij (= verblijd) u; vs. 1018 et 1269 verkoopen voor slaaf, etc.— Schorten n'est pas impers. au v. 711; vs. 488 tijd te spreken = tijd tot spreken (ne faudrait-il par conséquent pas formuler autrement, du moins en partie, ce qui est dit au § 33 de l'appendice concernant te?) Quelques remarques peuvent paraître inutiles, p. ex. au v. 774 (cette tournure n'offre rien de remarquable, et c'est chercher bien loin que de la comparer à certaines constructions, réellement remarquables, du grec et du latin). L'interprétation du v. 568 ne me semble pas claire. Que signifie, dans le glossaire, la mention Kiliaen aux mots betrapen et bevallen, et d'autres renvois semblables? Ils sont superflus; ou bien, il fallait les faire (et surtout les bien faire) pour chaque cas. Je pourrais allonger cette liste; mon intention n'est pas de relever tout; je veux simplement attirer l'attention sur quelques légères omissions et inexactitudes, que sans aucun doute, le P. Salsmans, fera disparaître, en soumettant son travail à une nouvelle revision.

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charme d'assister à cette révélation. Le germaniste et l'homme de science, qu'intéressent des questions de sources, d'influences etc. préférera l'ouvrage de Brahm, mais l'ami des lettres, que le contact direct avec le poète aura quelque peu déconcerté, lira de préférence l'ouvrage de Servaes et y trouvera un guide sûr. - Le livre est orné de 61 illustrations, portraits du poète, de la famille, de ses amis, de ses comtemporains, photographies des lieux, où il a résidé, reproductions de tableaux de l'époque, intéressants au point de vue historique ou comme sources d'inspiration pour le poète. H. BISCHOFF.

495. Dr M. Gaszmeyer, Wie studiert man neuere Philologie? Leipzig, Roszberg, 1903; 1 m. 50.

A en juger par le titre, on croirait qu'il s'agit, dans cette brochure, de l'étude de la philologie moderne en général; on s'attend à en voir définir l'objet, exposer les méthodes, etc. En réalité, il n'y est question que de l'organisation, aux universités allemandes, de l'étude du français et de l'anglais, et tout s'adresse exclusivemen aux Allemands qui se proposent de l'entreprendre. Dans les premières pages, l'auteur donne des renseignements sur la durée de ces études, la préparation qu'elles exigent, le choix d'une université, un séjour éventuel à l'étranger, etc. Le premier chapitre, de loin le plus étendu, s occupe de la formation scientifique; le second, de la façon dont le jeure philologue acquerra la pratique des deux langues. La brochure est accompagnée d'un appendice (Anhang); on y trouve, entre autres, le programme des Ferienkurse à Greifswald, Iena, Marburg et Königsberg; des renseignements divers sur des cours analogues en France et en Angleterre; un plan complet d'études avec répartition semestrielle des matières, etc. C. L.

496. — Dans la collection des Zwolsche herdrukken, dont nous avons parlé déjà à plusieurs reprises, M. Hoogstra vient de donner une nouvelle édition du Palamedes de Vondel (J. van Vondels Palamedes of vermoorde onnozelheit. Uitgegeven door S. S. Hoogstra. Zwolle, W. E. J. Tjeenk Willink, 1903; fl. 0,70), avec commentaire explicatif, glossaire, variantes, le tout précédé d'une introduction soignée, dans laquelle il traite de la genèse de cette œuvre, de l'accueil que lui firent les contemporains du poète, de ses mérites et défauts comme tragédie, de l'influence de Sénèque dans cette pièce, pour finir par un examen des différentes éditions que nous en possédons. Je m'empresse de signaler cette publication recommandable à l'attention des professeurs de néerlandais; le Palamedes est une œuvre qui peut très bien se lire dans nos classes supérieures.

497. Nous avons également reçu la nouvelle édition du volume que M. Van den Bosch a consacré à un choix de poésies de Staring, et qui fait partie de la même collection (Poëzie van A. C. W. Staring. Uitgegeven door J. H. Van den Bosch. 3o, veel vermeerderde druk. Ibid.; fl. o,50). En la comparant à la première, on constate que le choix des pièces est resté absolument le même, mais que le glossaire et le commentaire ont été remaniés et considérablement augmentés (ce dernier est même devenu quatre fois plus étendu); l'on voit par là comment M. Van den Bosch s'est constamment efforcé de perfectionner son travail. Le glossaire sera très utile; les notes, fruit d'une étude approfondie du texte et preuve de connaissances étendues et variées, sont en général excellentes, malgré quelques longueurs; il y en a bien peu de superflues, et d'autre part, presque rien de ce qui a besoin d'être relevé ou expliqué n'a échappé à l'œil vigilant et perspicace C. L.

du savant éditeur.

498. Dr W. Ranisch, Eddalieder, mit Grammatik, übersetzung und Erläuterungen. Leipzig, G. J. Göschen, 1903; o m. 8o.

Ce petit ouvrage fait partie de l'excellente collection Göschen (1o 171), que nos lecteurs connaissent suffisamment. Il contient d'abord une introduction (pp. 5-21), qui donne les renseignements les plus indispensables sur les Eddas: leur découverte, lieu d'origine et date de la rédaction; leur importance et leur place dans l'histoire littéraire du Nord, etc. Le corps de l'ouvrage même est formé d'une grammaire élémentaire et de quelques notions de métrique (pp. 21-44), suivies d'un choix de textes (pp. 45-138), accompagnés d'une traduction allemande, de remarques grammaticales très nombreuses et d'autres renseignements nécessaires à leur complète intelligence. C. L.

499.-C. H. den Hertog, De Nederlandsche taal. Practische spraakkunst van het hedendaagsche Nederlandsch. Eerste deel, 2o druk. Amsterdam, W. Versluys, 1903. 1 Al. 25.

J'ai déjà présenté cette grammaire aux lecteurs de ce Bulletin (voir t. IV, p. 81). Du premier volume, il a paru une nouvelle édition il y a quelques mois, peu de temps avant la mort de l'auteur. Elle se distingue de la première par un certain nombre de corrections de détail; de plus, l'auteur a ajouté en appendice des remarques concernant quelques questions spéciales. C. L.

V. HISTOIRE ET GÉOGRAPHIE.

500. A. J. de Bray, La Belgique et le marché asiatique. Bruxelles, Poll unis, 1903, x11-384 pp, 8o, 5 cartes et 3 tableaux diagrammes. 4,50 fr. (Mémoires de l'École des sciences politiques et sociales de Louvain).

Le titre fait pressentir la thèse de l'auteur : la Belgique doit prendre sur le marché asiatique la place que lui assigne son essor économique. De nouveaux débouchés sont indispensables à nos nationaux. Or l'Asie, dont M. de Bray esquisse la silhouette à trop larges traits peut-être, présente les plus belles perspectives, aussi bien dans les parties restées indépendantes, que dans les contrées placées sous l'influence de puissances européennes. Il importe donc que nous dirigions nos efforts vers ces parages : nous n'y sommes guère connus, il est vrai; mais le succès semble assuré, car nos marchandises, introduites en bon nombre sous une étiquette étrangère, y sont fort appréciées.

Quels sont ces divers centres d'affaires? Quelle est leur puissance d'absorption? Questions heureusement abordées et consciencieusement résolues au moyen de rapports consulaires, et de statistiques officielles acquises par l'auteur, dont les préférences vont aux Indes anglaises. Ce marché, où nous occupons une place enviable, est le plus important dans le mouvement des échanges en Asie; il doit faire l'objet de l'attention particulière de nos industriels et commerçants. En même temps que nos éloges, il nous faut formuler quelques petites critiques. Pourquoi porter son attention sur l'orographie et

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