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et avec des gestes appropriés. Dès qu'un élève a fini de parler, le maître, toujours assis, fait ses observations, quelquefois fort dures : il signale des omissions, complète les parties traitées superficiellement et critique les endroits défectueux. L'élève se défend et les auditeurs interviennent. Quand tous les élèves ont déclamé, au bout de deux. jours ou davantage, le rhéteur prend la parole à son tour: il commence par quelques remarques préliminaires, s'y décerne des louanges à lui-même, y raille ses confrères, indique le ton à prendre, fait connaître le plan qu'il compte suivre et les idées qu'il va développer. Ensuite, il se lève, au moment d'aborder le sujet, et débite son corrigé, travaillé avec soin. L'auditoire écoute sans interrompre, mais ne cesse de manifester son opinion: il témoigne de son admiration par des rires approbateurs, des cris, des applaudissements ou ce silence que Pline le Jeune préférait à tous les applaudissements Les Déclamations, pp. 55-58).

Comment faut-il juger ces écoles, que M. Bornecque nous dépeint à peu près en ces termes, qui ont occupé une si grande place dans la vie romaine, qui ont dû exercer une si profonde influence? Heureusement, nous avons, pour les apprécier, un livre intéressant au plus haut point, que M. Bornecque a étudié et qu'il a voulu nous donner sous une forme nouvelle. Ce sont les Suasoriae et les Controversiae de Sénèque le Père ou le Rhéteur (né entre 55 et 58 avant notre ère, mort en 39 après J.-C.). M. Bornecque nous en offre un texte revu, qui diffère en près de 600 passages de l'édition H. J. Müller (Prague 1887), avec une traduction élégante et exacte, à laquelle l'Académie française a décerné un prix Jules Janin. Les exigences de la collection où figure cette traduction, n'ont pas permis d'accompagner le texte de notes critiques: celles-ci ont été réservées à la Revue de Philologie, qui a déjà publié les variantes et où M. Bornecque rendra. compte prochainement de ses conjectures personnelles. Quant à la traduction, dont l'utilité paraîtra incontestable, si l'on songe que ce livre n'avait plus été traduit depuis Lesfargues (1663), voici les principes que l'auteur a suivis : « Il ne suffit pas qu'on retrouve dans la traduction toutes les intentions du texte; il faut aussi qu'elle ne laisse rien d'obscur pour un lecteur français. Voilà pourquoi... j'ai donné, entre parenthèses ou entre crochets, un certain nombre. d'éclaircissements, qui m'ont semblé indispensables à l'intelligence pleine et entière du texte. » M. Bornecque a mis à la fin de chacun des deux volumes un commentaire suivi, mais forcément concis à cause du caractère de la collection Garnier.

Les déclamations de Sénèque présentent pour nous un double intérêt. Quintilien nous donne la théorie de l'éducation oratoire;

Sénèque met sous nos yeux la pratique. En outre, l'œuvre de Sénèque nous permet de retracer un curieux chapitre de l'histoire littéraire, car nous y voyons revivre un grand nombre de déclamateurs grecs et latins du temps d'Auguste et de Tibère.

Nul n'était mieux préparé que le nouvel éditeur et traducteur de Séneque, pour dégager de ce livre tout ce qui peut nous y intéresser; aussi M. Bornecque a-t-il complété son utile travail par une étude sur les Déclamateurs et les déclamations.

Après avoir examiné, dans une première partie, la vie, le caractère et l'œuvre de Sénèque, afin de montrer qu'on peut le suivre sans danger comme guide dans les écoles de déclamations, M. Bornecque nous introduit dans celles-ci. Il retrace l'histoire des déclamations, qui font leur apparition à Rome sous Cicéron; il décrit l'enseignement des rhéteurs, recherche la part réservée au droit dans les Controverses, expose les sujets habituels, peu variés, trop étrangers à la vie réelle, des Controverses et des Suasoires, et la manière uniforme dont ses sujets sont développés. Le chapitre final, intitulé: Jugement sur les déclamations, tire de ce qui précède des conclusions importantes.

Les écoles des rhéteurs remplacent notre enseignement moyen : tout en préparant avant tout au barreau, elles constituent un moyen d'éducation générale. Formé par elles, dit Sénèque, on peut aborder toutes les carrières. Ont-elles atteint ce double but? Nous constatons que l'éloquence était en décadence et c'est sur les déclamateurs que Pétrone rejette la faute. L'éloquence de l'école n'a rien de commun avec celle du forum : le public, l'adversaire et le juge différent. Quant au fond, l'école propose un thème vague, tandis que devant le tribunal on se trouve en présence d'une cause privée, nettement déterminée. La langue même des déclamations n'était pas celle du plaidoyer. En un mot, les déclamateurs seraient ridicules devant les tribunaux et ils sont de mauvais avocats.

Les rhéteurs formaient-ils au moins des hommes? Ils n'avaient aucune préoccupation morale et n'avaient cure de la formation du caractère. Ils n'enseignaient qu'à bien parler, et plus la cause était mauvaise, plus il paraissait glorieux de la faire triompher. Les écoles méritaient souvent le nom de ludi impudentiae, car on y traitait des sujets scabreux. Quant à l'esprit et au goût, leur influence fut néfaste, si l'on en juge par celle qu'elles exercèrent sur la littérature : le défaut de composition et d'une idée dominante, les phrases juxtaposés comme des « grains de sable sans mortier », les descriptions et les lieux communs, les traits piquants, la subtilité, l'obscurité, l'abus des figures, de l'hyperbole, de l'antithèse, tous ces ornements déplacés, si bien qu'ils tombent si l'on y touche », tout cela vient de la rhétorique.

Ajoutez la recherche des situations violentes et extraordinaires et des sentiments peu naturels, le goût du romanesque et de l'exceptionnel. On peut dire, en un mot que « la nouvelle éducation oratoire a fait disparaître de la littérature l'art de la composition, le goût de la précision et le sens de la mesure, qualités à la place desquelles elle n'a su mettre que la seule imagination, poussée à l'excès et livrée à ellemême sans contrôle et sans contrepoids » (p. 128).

M. Bornecque reconnaît qu'à d'autres points de vue, cette éducation dut avoir une influence heureuse. Elle excitait l'ardeur de l'étude et l'émulation de bien faire et de bien dire. Vivant de sujets romanesques, les déclamations créèrent l'ébauche d'un genre inconnu à Rome jusque-là, le roman. Vivant dans un monde imaginaire, les déclamateurs ne craignaient pas de dire leur pensée sur les affaires publiques et l'école était républicaine. Discutant librement sur la lettre et l'esprit de la loi, l'école introduit dans le droit le sentiment de l'équité, des idées plus justes sur l'organisation sociale, sur la puissance paternelle, par exemple, sur la dignité humaine, sur l'esclavage, sur l'affection qui doit unir les familles, sur la pitié qui doit unir les hommes.

Après avoir ainsi jugé les Déclamations, M. Bornecque nous parle des Déclamateurs qu'on rencontre dans le livre de Sénèque : il en dresse une liste alphabétique et donne sur la vie de chacun les détails qu'il a pu recueillir. C'est par là que se termine ce travail très intéressant et très approfondi, qui précise ce que d'autres avaient dit sur ce sujet et qui abonde en idées neuves et en détails nouveaux, patiemment réunis et habilement combinés. J. P. WALTZING.

11.

Cuq Edouard, Les Institutions juridiques des Romains. Tome II, 2e fasc. Paris, Plon-Nourrit, 1902. 1 vol. 8o, III-437 pp.

La publication du dernier fascicule de l'ouvrage de M. Cuq suit de près celle du fascicule précédent (Voy. Bull. 15 mars 1902).

L'auteur poursuit l'exposé du droit classique et consacre notamment une centaine de pages à la procédure formulaire. Il aborde ensuite l'étude du droit du BasEmpire; étude intéressante surtout pour les matières profondément remaniées à l'époque byzantine: relations de famille, droits de succession, procédure.

Un usage sûr des sources, une grande clarté et une méthode d'exposition heureuse, font de l'ensemble de l'ouvrage de M. Cuq l'auxiliaire indispensable de toute étude ayant pour objet l'histoire du droit romain.

Le lecteur regrettera certainement que l'auteur n'ait pas cru devoir joindre au tome II, ainsi qu'il l'avait fait pour le tome I, un index alphabétique.

12.

J. WILLEMS.

M. l'abbé Paul Lejay professeur à l'Institut catholique de Paris, a promis de nous donner une Histoire de la littérature latine chrétienne, dans la Bibl. de l'Enseignement de l'hist, ecclésiastique de V. Lecoffre. Ce volume sera le pendant de la littérature grecque chrétienne de Mgr P. Batiffol, déjà parvenue à

sa 3e éd. 3 fr. 50; (Voy. Bull., 1898, page 5). En attendant, M. Lejay publie, depuis 1899, dans la Revue d'hist, et de litt. religieuses (Administration: 74, Boul. S. Germain, Paris, 10 fr. par an, étranger 12,50) une intéressante Bibliographie détaillée de l'ancienne philologie chrétienne. Dans ses derniers articles, il s'occupe des publications relatives à la liturgie. C'est un travail approfondi, d'une critique sûre, que nous recommandons à tous ceux qui veulent s'orienter dans le domaine de la littérature latine chrétienne et de l'antiquité chrétienne. J. P. W.

13.

II. LANGUES ET LITTÉRATURES CELTIQues.

Fr. Vallée. Leçons élémentaires de Grammaire bretonne. T. I. Saint Brieuc, Saint Guillaume, 1902. 200 pp. 8°.

A l'heure actuelle, il y a en Bretagne un essai de renaissance nationale (1). La langue bretonne se trouve dans une situation des plus précaire (2) par suite des progrès incessants du français; un groupe d'hommes dévoués s'efforce d'en arrêter la disparition lente, mais inévitable, et M. Vallée est l'un des auteurs les plus actifs de cette tentative, si noble en elle-même. Un grand nombre de bretons ne parlent plus aujourd'hui la langue de leurs pères; beaucoup désirent s'y initier, et le nombre s'en est considérablement accru depuis les récents décrets de M. Combes sur l'emploi du Breton. Or, si l'on avait des grammaires excellentes, telles celles de Legonidec, de Hingant, et, surtout, celle de M. Ernault (3), si l'on avait des recueils de conversations en breton et en français, tels les Colloques français-bretons, sans cesse réimprimés depuis deux siècles, et l'excellent petit Divizou brezonek ha gallek de 1857, il n'y avait pas de manuel pratique permettant d'acquérir une connaissance progressive de la langue, tout en s'assimilant peu à peu les règles de la grammaire. M. F. Vallée a eu l'excellente idée de publier dans le Clocher breton une série de leçons contenant des règles de grammaire avec des exercices où elles trouvent leur application. Aujourd'hui, il offre le premier groupe de ces articles réunis en un volume commode à manier.

Prenant le taureau par les cornes, M. Vallée expose d'abord la théorie des mutations. Le breton, comme toutes les langues celtiques en général, est, en effet, caractérisé par une euphonie extérieure très développée, comparable au sandhi sanscrit, et qui fait la difficulté ce la langue.

L'auteur les définit nettement; on regrettera toutefois qu'il ait cru

(1) Voy. sur ce mouvement H. Zimmer, Die Keltische Bewegung in der Bretagne. Preussische Jahrbücher. T. 99 (1900), PP. 454, s.

(2) Voy. F. Vallée, La situation du Breton dans les Côtes du Nord et dans la Finistère. Annales de Bretagne, XIV (1898-9), p. 693, et s.

(3) Petite Grammaire bretonne, Saint-Brieuc, Prud'homme, 1897,

devoir donner des numéros aux trois groupes de mutations, au lieu de conserver les expressions d'affaiblissement, renforcement et aspiration, qui disent bien plus à l'esprit.

Cette tâche accomplie, M. Vallée passe à l'article, à la formation du pluriel, aux formes de l'adjectif, aux déterminatifs correspondants et termine le volume par l'exposé des verbes auxiliaires dont l'importance. est capitale pour la conjugaison bretonne.

Dans tout le livre, M. Vallée reste d'accord avec les principes exposés par M. Ernault dans son excellent livre déjà cité, et l'on peut avoir en lui pleine confiance. Je me permettrai de lui faire deux légères critiques pour n mouillée, notée gn en français, et en breton ñ, M. Vallée emploie une n sans tilde. Je sais que M. Ernault (o. c., p. 3) compte cette inexactitude parmi celles qui peuvent se tolérer dans les impressions en langue bretonne; mais ce système offre des inconvénients, surtout dans une grammaire pratique destinée à des gens qui ne parlent pas le breton, et il n'est pas croyable qu'un imprimeur de Saint-Brieuc ne possède pas ce caractère dans ses casses. En second lieu, je regretterai que M. Vallée n'ait pas inséré plus de thèmes dans son ouvrage. C'est par le thème, beaucoup plus que par les versions, que se retient une langue, et l'auteur est loin d'en abuser.

Mais ces remarques n'enlèvent rien à la valeur de ce manuel éminemment pratique; espérons que le deuxième volume ne se fera pas attendre, et que le premier rencontrera, en Bretagne et à l'étranger, tout le succès qu'il mérite d'obtenir. VICTOR TOURNEUR.

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14. J. M. Normant, Lexique breton-français, nouvelle méthode pour faciliter aux commençants l'étude de la langue bretonne. Quimper, Kerangal, 1902. in-16.

Cette brochure de M. Normant se compose d'un résumé très sommaire de la grammaire bretonne, si sommaire même, qu'il peut, tout au plus, servir de tableau destiné à se rafraîchir la mémoire. En sorte que les commençants feront bien de se procurer tout d'abord la grammaire de M. Ernault. Le lexique est peu fourni; cependant, on y rencontre surtout des mots pouvant servir à l'explication des choses de la religion; il semble donc pouvoir rendre surtout des services aux prêtres bretons chargés d'enseigner le catéchisme.

VICTOR TOURneur.

15. — Les Revues en 1902. Zeitschrift für Celtische Philologie. Deux fascicules du T. IV ont paru. Dans un article intitulé Kelten und Gallier, M. Zupitza combat à nouveau la théorie déjà résutée par M. d'Arbois de Jubainville, d'après laquelle les Celtes et les Gaulois seraient des peuples différents (p. 1-23); M. J. Strachan étudie la langue des gloses de Milan (p. 48-72); M. Chr. Saraw

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