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pée, ou du cabinet, ou de la cour : l'un et l'autre mis ensemble ne pèsent pas un homme de bien.

Dans la guerre, la distinction entre le héros et le grand homme est délicate: toutes les vertus militaires font l'un et l'autre. Il semble néanmoins que le premier soit jeune, entreprenant, d'une haute valeur, ferme dans les périls, intrépide; l'autre excelle par un grand sens, par une vaste prévoyance, par une haute capacité, et par une longue expérience. Peut-être qu'Alexandre n'étoit qu'un héros, et que César étoit un grand homme.

que

Emile' étoit né ce que les plus grands hommes ne deviennent qu'à force de régles, de méditation, et d'exercice. Il n'a eu dans ses premières années qu'à remplir des talents qui étoient naturels, et qu'à se livrer à son génie. Il a fait, a agi, avant que de savoir, ou plutôt il a su ce qu'il n'avoit jamais appris. Dirai-je que les jeux

il

La plupart des traits rassemblés dans ce portrait semblent appartenir au grand Condé. On conçoit que La Bruyère, employé à l'éducation du petit-fils de ce héros, se soit plu à tracer l'image du prince qui avoit jeté tant d'éclat sur l'auguste famille à laquelle lui-même étoit attaché.

de son enfance ont été plusieurs victoires? Une vie accompagnée d'un extrême bonheur joint à une longue expérience seroit illustre par les seules actions qu'il avoit achevées dès sa jeunesse. Toutes les occasions de vaincre qui se sont depuis offertes, il les a embrassées; et celles qui n'étoient pas, sa vertu et son étoile les ont fait naître admirable même et par les choses qu'il a faites, et par celles qu'il auroit pu faire. On l'a regardé comme un homme incapable de céder à l'ennemi, de plier sous le nombre ou sous les obstacles; comme une ame du premier ordre, pleine de ressources et de lumières, qui voyoit encore où personne ne voyoit plus ; comme celui qui, à la tête des légions, étoit pour elles un présage de la victoire, et qui valoit seul plusieurs légions; qui étoit grand dans la prospérité, plus grand quand la fortune lui a été contraire: la levée d'un siège, une retraite, l'ont plus ennobli que ses triomphes; l'on ne met qu'après les batailles gagnées et les villes prises; qui étoit rempli de gloire et de modestie; on lui a entendu dire, je fuyois, avec la même grace qu'il disoit, nous les battimes; un homme dévoué à l'état, à sa famille, au chef de sa famille sincère pour

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Dieu et pour les hommes, autant admirateur du mérite que s'il lui eût été moins propre et moins familier un homme vrai, simple, magnanime, à qui il n'a manqué que les moindres vertus.

Les enfants des dieux', pour ainsi dire, se tirent des règles de la nature, et en sont comme l'exception : ils n'attendent presque rien du temps et des années. Le mérite chez eux devance l'âge. Ils naissent instruits, et ils sont plus tôt des hommes parfaits que le commun des hommes ne sort de l'enfance.

Les vues courtes, je veux dire les esprits bornés et resserrés dans leur petite sphère, ne peuvent comprendre cette universalité de talents que l'on remarque quelquefois dans un même sujet où ils voient l'agréable, ils en excluent le solide; où ils croient découvrir les graces du corps, l'agilité, la souplesse, la dextérité, ils ne veulent plus y admettre les dons de l'ame, la profondeur, la réflexion, la sagesse : ils ôtent de l'histoire de Socrate qu'il ait dansé.

Il n'y a guère d'homme si accompli et si nécessaire aux siens qu'il n'ait de quoi se faire moins regretter.

Fils. Petit-fils: Issus de rois. (Note de La Bruyère.

Un homme d'esprit et d'un caractère simple et droit peut tomber dans quelque piège; il ne pense pas que personne veuille lui en dresser, et le choisir pour être sa dupe : cette confiance le rend moins précautionné, et les mauvais plaisants l'entament par cet endroit. Il n'y a qu'à perdre pour ceux qui en viendroient à une seconde charge: il n'est trompé qu'une fois.

J'éviterai avec soin d'offenser personne, si je suis équitable; mais sur toutes choses un homme d'esprit, si j'aime le moins du monde mes intérêts.

Il n'y a rien de si délié, de si simple, et de si imperceptible, où il n'entre des manières qui nous décélent. Un sot ni n'entre, ni ne sort, ni ne s'assied, ni ne se lève, ni ne se tait, ni n'est sur ses jambes, comme un homme d'esprit.

Je connois Mopse d'une visite qu'il m'a rendue sans me connoître. Il prie des gens qu'il ne connoît point de le mener chez d'autres dont il n'est pas connu; il écrit à des femmes qu'il connoît de vue : il s'insinue dans un cercle de personnes respectables, et qui ne savent quel il est ; et là, sans attendre qu'on l'interroge, ni sans sentir qu'il interrompt, il parle, et souvent, et ridicule

ment. Il entre une autre fois dans une assemblée, se place où il se trouve, sans nulle attention aux autres, ni à soi-même : on l'ôte d'une place destinée à un ministre, il s'assied à celle d'un duc et pair; il est là précisément celui dont la multitude rit, et qui seul est grave et ne rit point. Chassez un chien du fauteuil du roi, il grimpe à la chaire du prédicateur, il regarde le monde indifféremment sans embarras, sans pudeur : il n'a pas, non plus que le sot, de quoi rougir.

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Celse est d'un rang médiocre; mais des grands le souffrent il n'est pas savant; il a relation avec des savants : il a peu de mérite; mais il connoît des gens qui en ont beaucoup : il n'est pas habile; mais il a une langue qui peut servir de truchement, et des pieds qui peuvent le porter d'un lieu à un autre. C'est un homme né pour des allées et venues, pour écouter des propositions et les rapporter, pour en faire d'office, pour aller plus loin que sa commission, et en être désavoué; pour réconcilier des gens qui se querellent à leur première entrevue ; pour réussir dans une affaire, et en manquer mille; pour se donner toute la gloire de la réussite, et pour détourner sur les autres la haine d'un mauvais suc

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