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Il n'a manqué à Térence que d'être moins froid : quelle pureté, quelle exactitude, quelle politesse, quelle élégance, quels caractères ! Il n'a manqué à Molière que d'éviter le jargon et le barbarisme, et d'écrire purement: quel feu, quelle naïveté, quelle source de la bonne plaisanterie, quelle imitation des mœurs, quelles images, et quel fléau du ridicule! Mais quel homme on auroit pu faire de ces deux comiques!

J'ai lu Malherbe et Théophile. Ils ont tous deux connu la nature, avec cette différence, que le premier, d'un style plein et uniforme, montre tout à-la-fois ce qu'elle a de plus beau et de plus noble, de plus naïf et de plus simple: il en fait la peinture ou l'histoire. L'autre, sans choix, sans exactitude, d'une plume libre et inégale, tantôt charge ses descriptions, s'appesantit sur les détails; il fait une anatomie: tantôt il feint, il exagère, il passe le vrai dans la nature, il en fait le roman.

loient manuscrites. Au reste, madame de Sévigné n'étoit pas la seule femme de cette époque qui écrivît des lettres avec un abandon plein de grace, et une piquante originalité de style.

Ronsard et Balzac ont eu chacun dans leur genre assez de bon et de mauvais pour former après eux de très grands hommes en vers et en prose.

Marot, par son tour et par son style, semble avoir écrit depuis Ronsard : il n'y a guère entre ce premier et nous que la différence de quelques mots.

Ronsard et les auteurs ses contemporains ont plus nui au style qu'ils ne lui ont servi. Ils l'ont retardé dans le chemin de la perfection; ils l'ont exposé à la manquer pour toujours, et à n'y plus revenir. Il est étonnant que les ouvrages de Marot, si naturels et faciles, n'aient su faire de Ronsard, d'ailleurs plein de verve et d'enthousiasme, un plus grand poëte que Ronsard et que Marot; et, au contraire, que Belleau, Jodelle, et Du Bartas, aient été sitôt suivis d'un Racan et d'un Malherbe ; et que notre langue, à peine corrompue, se soit vue réparée.

Marot et Rabelais sont inexcusables d'avoir semé l'ordure dans leurs écrits: tous deux avoient assez de génie et de naturel pour pouvoir s'en passer, même à l'égard de ceux qui cherchent moins à admirer qu'à rire dans un auteur. Ra

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belais sur-tout est incompréhensible. Son livre est une énigme, quoi qu'on veuille dire, inexplicable: c'est une chimère, c'est le visage d'une belle femme avec des pieds et une queue de serpent, ou de quelque autre bête plus difforme: c'est un monstrueux assemblage d'une morale fine et ingénieuse et d'une sale corruption. Où il est mauvais, il passe bien loin au-delà du pire, c'est le charme de la canaille où il est bon,

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va jusques à l'exquis et à l'excellent, il peut être le mets des plus délicats.

I

Deux écrivains dans leurs ouvrages ont blâmé Montaigne, que je ne crois pas, aussi bien qu'eux, exempt de toute sorte de blâme il paroît que tous deux ne l'ont estimé en nulle manière. L'un ne pensoit pas assez pour goûter un auteur qui pense beaucoup; l'autre pense trop subtilement pour s'accommoder des pensées qui sont naturelles.

Un style grave, sérieux, scrupuleux, va fort loin on lit Amyot et Coeffeteau : lequel lit-on

Nicole et le P. Malebranche. Le premier est celui qui ne pense pas assez, et le second celui qui pense trop subtilement.

de leurs contemporains? Balzac, pour les termes et pour l'expression, est moins vieux que Voiture: mais si ce dernier, pour le tour, pour l'esprit, et pour le naturel, n'est pas moderne, et ne ressemble en rien à nos écrivains, c'est qu'il leur a été plus facile de le négliger que de l'imiter; et que le petit nombre de ceux qui courent après lui ne peut l'atteindre.

Le H. G.'est immédiatement au-dessous du rien : il y a bien d'autres ouvrages qui lui ressemblent. Il y a autant d'invention à s'enrichir par un sot livre, qu'il y a de sottise à l'acheter: c'est ignorer le goût du peuple que de ne pas hasarder quelquefois de grandes fadaises.

L'on voit bien que l'opéra est l'ébauche d'un grand spectacle : il en donne l'idée.

Je ne sais pas comment l'opéra, avec une mu

I LE MERCURE GALANT, par de Visé. C'est par ces initiales H. G., dont la première est fausse, qu'il est désigné dans toutes les éditions des CARACTÈRES, faites du vivant de La Bruyère. Il dit lui-même, dans la préface de son discours de réception à l'académie françoise, qu'il a poussé le soin d'éviter les applications directes jusqu'à employer quelquefois des lettres initiales qui n'ont qu'une signification vaine et incertaine. C'en est ici un exemple.

sique si parfaite et une dépense toute royale, a pu réussir à m'ennuyer.

Il y a des endroits dans l'opéra qui laissent en desirer d'autres. Il échappe quelquefois de souhaiter la fin de tout le spectacle : c'est faute de théâtre, d'action, et de choses qui intéres

sent.

L'opéra jusques à ce jour n'est pas un poëme, ce sont des vers; ni un spectacle, depuis que les machines ont disparu par le bon ménage d'Amphion et de sa race: c'est un concert, ou ce sont des voix soutenues par des instruments. C'est prendre le change, et cultiver un mauvais goût, que de dire, comme l'on fait, que la machine n'est qu'un amusement d'enfants, et qui ne convient qu'aux marionnettes : elle augmente et embellit la fiction, soutient dans les spectateurs cette douce illusion qui est tout le plaisir du théâtre, où elle jette encore le merveilleux. Il ne faut point de vols, ni de chars, ni de changements, aux Bérénices 2 et à Pénélope3; il en

Lulli, et son école, sa famille.

2 La BÉRÉNICE de Corneille et celle de Racine. 3 La PENÉLOPE de l'abbé Genest, représentée en 1684.

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