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elle peut, et elle sait; ou du moins quand elle sauroit autant qu'elle peut, elle ne seroit pas plus décisive.

Foibles hommes! un grand dit de Timagène, votre ami, qu'il est un sot, et il se trompe : je ne demande pas que vous répliquiez qu'il est homme d'esprit ; osez seulement penser qu'il n'est pas un sot.

De même il prononce d'Iphicrate qu'il manque de cœur vous lui avez vu faire une belle action, rassurez-vous; je vous dispense de la raconter, pourvu qu'après ce que vous venez d'entendre vous vous souveniez encore de la lui avoir vu faire.

Qui sait parler aux rois, c'est peut-être où se termine toute la prudence et toute la souplesse du courtisan. Une parole échappe, et elle tombe de l'oreille du prince bien avant dans sa mémoire, et quelquefois jusque dans son cœur : il est impossible de la ravoir; tous les soins que l'on prend et toute l'adresse dont on use pour l'expliquer ou pour l'affoiblir servent à la graver plus profondément et à l'enfoncer davantage : si ce n'est que contre nous-mêmes que nous ayons parlé, outre que ce malheur n'est pas ordinaire, il y a

encore un prompt remède, qui est de nous instruire par notre faute, et de souffrir la peine de notre légèreté; mais, si c'est contre quelque autre, quel abattement ! quel repentir! Y a-t-il une règle plus utile contre un si dangereux inconvénient que de parler des autres au souverain, de leurs personnes, de leurs ouvrages, de leurs actions, de leurs mœurs, ou de leur conduite, du moins avec l'attention, les précautions, et les mesures dont on parle de soi?

Diseurs de bons mots, mauvais caractère; je le dirois, s'il n'avoit été dit. Ceux qui nuisent à la réputation ou à la fortune des autres, plutôt que de perdre un bon mot, méritent une peine infamante: cela n'a pas été dit, et je l'ose dire. Il y a un certain nombre de phrases toutes faites que l'on prend comme dans un magasin, et dont l'on se sert pour se féliciter les uns les autres sur les événements. Bien qu'elles se disent souvent sans affection, et qu'elles soient reçues sans reconnoissance, il n'est pas permis avec cela de les omettre, parceque du moins elles sont l'image de ce qu'il y a au monde de meilleur, qui est l'amitié, et que les hommes, ne pouvant guère compter les uns sur les autres pour la réalité,

semblent être convenus entre eux de se conten

ter des apparences.

Avec cinq ou six termes de l'art, et rien de plus, l'on se donne pour connoisseur en musique, en tableaux, en bâtiments, et en bonne chère : l'on croit avoir plus de plaisir qu'un autre à entendre, à voir, et à manger; l'on impose à ses semblables, et l'on se trompe soi-même.

La cour n'est jamais dénuée d'un certain nombre de gens en qui l'usage du monde, la politesse ou la fortune, tiennent lieu d'esprit, et suppléent au mérite. Ils savent entrer et sortir; ils se tirent de la conversation en ne s'y mélant point; ils plaisent à force de se taire, et se rendent importants par un silence long-temps soutenu, ou tout au plus par quelques monosyllabes; ils paient de mines, d'une inflexion de voix, d'un geste, et d'un sourire il n'ont pas, si je l'ose dire, deux pouces de profondeur; si vous les enfoncez, vous rencontrez le tuf.

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Il y a des gens à qui la faveur arrive comme un accident; ils en sont les premiers surpris et consternés : ils se reconnoissent enfin, et se trouvent dignes de leur étoile ; et comme si la stupidité et la fortune étoient deux choses incompa

tibles, ou qu'il fût impossible d'être heureux et sot tout à-la-fois, ils se croient de l'esprit, ils hasardent, que dis-je? ils ont la confiance de parler en toute rencontre, et sur quelque matière qui puisse s'offrir, et sans nul discernement des personnes qui les écoutent : ajouterai - je qu'ils épouvantent ou qu'ils donnent le dernier dégoût par leur fatuité et par leurs fadaises? il est vrai du moins qu'ils déshonorent sans ressource ceux qui ont quelque part au hasard de leur élévation.

Comment nommerai-je cette sorte de gens qui ne sont fins que pour les sots? je sais du moins que les habiles les confondent avec ceux qu'ils savent tromper.

C'est avoir fait un grand pas dans la finesse que de faire de soi que penser l'on n'est que médiocrement fin.

La finesse n'est ni une trop bonne ni une trop mauvaise qualité; elle flotte entre le vice et la vertu il n'y a point de rencontre où elle ne puisse, et peut-être où elle ne doive, être suppléée par la prudence.

La finesse est l'occasion prochaine de la fourberie; de l'une à l'autre le pas est glissant : le

mensonge seul en fait la différence; si on l'ajoute à la finesse, c'est fourberie.

Avec les gens qui par finesse écoutent tout, et parlent peu, parlez encore moins; ou, si vous parlez beaucoup, dites peu de chose.

Vous dépendez, dans une affaire qui est juste et importante, du consentement de deux personnes. L'un vous dit, J'y donne les mains, pourvu qu'un tel y condescende; et ce tel y condescend, et ne desire plus que d'être assuré des intentions de l'autre. Cependant rien n'avance: les mois, les années, s'écoulent inutilement. Je m'y perds, dites-vous, et je n'y comprends rien : il ne s'agit que de faire qu'ils s'abouchent, et qu'ils se parlent. Je vous dis, moi, que j'y vois clair, et que j'y comprends tout: ils se sont parlé.

Il me semble que qui sollicite pour les autres a la confiance d'un homme qui demande justice, et qu'en parlant ou en agissant pour soi-même on a l'embarras et la pudeur de celui qui demande grace.

Si l'on ne se précautionne à la cour contre les pièges que l'on y tend sans cesse pour faire tomber dans le ridicule, l'on est étonné, avec tout

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