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LE

ROI FERDINAND II

ET

LE ROYAUME DES DEUX SICILES

II.

LES RÉVOLUTIONS DE 1848, LA RÉACTION A NAPLES ET LE NOUVEAU ROI. '

I.

On attribue à Pie IX un mot d'une ingénuité profonde qui peint le caractère du pontife aussi bien que le mouvement de toutes ces révolutions italiennes surgissant à la fois à l'aube de 1848 comme le prologue fantasque de la grande explosion. Pie IX, dans ses heures d'anxiété, racontait l'histoire d'un enfant qui avait vu un magicien faire apparaître ou disparaître le diable, et qui, ayant voulu l'imiter, avait bien réussi à évoquer la redoutable apparition, mais avait oublié le secret de la conjuration pour chasser le fantôme. Et cet enfant, ajoutait naïvement le pape, cet enfant, c'est moi. C'est là en effet un des traits de ces révolutions qui naissaient d'un même souffle, secouaient bientôt toute direction et s'échappaient en effervescences capricieuses pour dégénérer en mouvemens confus et contradictoires. Lorsque dans le reste de l'Italie les princes prenaient l'initiative d'une politique nouvelle qui ralliait les populations en

(1) Voyez la livraison du 1er août.

les enflammant, le roi Ferdinand II s'isolait, résistait et traitait presque le pape de jacobin. Lorsque Rome, la Toscane, le Piémont en étaient encore aux réformes civiles et administratives, à ces premiers pas d'une laborieuse régénération pratique, Naples, d'un bond et sans nulle transition, s'élançait jusqu'au régime constitutionnel, accélérant la marche et hâtant les événemens. Lorsque tout semblait tendre à fondre les vieilles rivalités locales dans un sentiment commun de nationalité italienne, ce mouvement était brusqué par une explosion imprévue de l'esprit municipal. La Sicile allait entraîner Naples, Naples allait entraîner l'Italie, et désormais s'ouvrait cette carrière où éclate si souvent le mot des révolutions sans direction: il est trop tard!

C'est en Sicile que s'allumait la première étincelle, je viens de le dire. Enfermés dans leur île, les Siciliens ne laissaient point de partager les surexcitations de l'Italie entière, et sans cesser de donner à leurs sentimens une forme toute locale, ils demandaient, eux aussi, des réformes en invoquant les noms de Pie IX et des autres princes italiens. Ils allaient plus loin dès les premiers jours de 1848 ils donnaient en quelque sorte rendez-vous au gouvernement en assignant un terme à leur patience, et, chose étrange, on vit une ville fixer le jour, l'heure, le lieu où une population tout entière se trouverait en armes, si elle n'avait point obtenu les réformes qu'elle demandait. C'est ainsi que le matin du 12 janvier 1848, à l'heure fixée, éclatait l'insurrection de Palerme, insurrection mal combattue d'abord, exaspérée par une répression impuissante, bientôt victorieuse et appuyée aux yeux de l'Europe d'une protestation du corps consulaire étranger contre un bombardement inutile. Le roi Ferdinand se hâtait d'envoyer un de ses frères, le comte d'Aquila, et des forces nouvelles pour réduire Palerme; mais quelques jours avaient suffi pour que l'insurrection devînt universelle et gagnàt toutes les classes de la population, la noblesse, le peuple et le clergé lui-même. C'était moins un soulèvement politique ordinaire que l'insurrection frémissante de cette petite nationalité, qui dès le premier moment s'armait, s'organisait et se donnait pour chefs non de vulgaires agitateurs, mais des hommes considérés, de vrais Siciliens, dont le plus populaire était un ancien amiral, Ruggiero Settimo. Dans les premiers comités de la révolution sicilienne figuraient le duc de Terranova, le duc de Gualtieri, le marquis de Rudini, Stabile, La Masa, Castiglia. Alors à Naples on songea aux concessions, et le 18 janvier paraissaient plusieurs décrets royaux qui donnaient une autorité nouvelle aux consultes de Naples et de la Sicile, qui prononçaient la séparation administrative à peu près complète du royaume et de l'île, qui donnaient même à la presse une sorte de

droit de vivre qu'elle n'avait jamais eu. Ces concessions auraient suffi sans doute le 12, elles étaient tardives et impuissantes après une insurrection victorieuse, et le marquis de Spedalotto répondait avec hauteur au nom du gouvernement nouveau: « Les armes ne seront déposées, les hostilités ne seront suspendues que lorsque la Sicile réunie à Palerme en parlement adaptera à notre époque la constitution que notre pays a possédée pendant plusieurs siècles, qui a été réformée en 1812 sous l'influence de la Grande-Bretagne, et qui a été confirmée implicitement par un décret royal de 1816. » Ainsi en quelques jours la rupture était complète; de toute la Sicile, il ne restait plus au pouvoir des forces royales que la citadelle de Messine.

Et les événemens ne marchaient pas moins vite à Naples, où la révolution sicilienne faisait vibrer les âmes. Dans cette révolution, il y avait, il est vrai, une dangereuse pensée de scission; pour le moment, on ne voyait que la commotion imprimée à l'Italie entière et au royaume napolitain par une insurrection qui parlait de constitution et de nationalité. A Naples, l'agitation grandissait d'heure en heure aussi bien que dans les provinces de la Basilicate, de Salerne, qui commençaient à s'ébranler, et le gouvernement se voyait assiégé par cette marée montante de l'opinion surexcitée. Enfin arrivait le 27 janvier, journée grise et pluvieuse où une immense manifestation populaire remplissait les rues de Naples. Des drapeaux aux trois couleurs italiennes flottaient partout et étaient promenés aux cris de vive la constitution! Une circonstance servit singulièrement cette manifestation à sa naissance : le bruit se répandit tout à coup que le roi était prêt à donner spontanément cette constitution qu'on demandait, et la démonstration se grossit de tous ceux qui suivent le vent, qui ne voulaient pas être moins libéraux que le roi. Il n'en était rien cependant; Ferdinand II tenait ferme encore, ému sans doute des événemens de Palerme, agité de violens combats intérieurs, mais irrité autant qu'ému et décidé à résister. Déjà les troupes se serraient en bataille autour du palais. Le château SaintElme arborait le drapeau de la guerre, la bannière rouge. Trois coups de canon partaient des forts en signe d'alarme, et comme pour ouvrir les hostilités. Comment la collision s'arrêta-t-elle? Parce que le commandant du château Saint-Elme, le général Roberti, déclarait qu'il était prêt, en soldat loyal, à défendre le fort contre toute attaque, mais que s'il fallait tirer sur une population inoffensive, il préférait remettre sa démission au roi, et le roi lui sut gré, dit-on, de cette honnête franchise. De son côté, le général Statella, commandant de la garnison de Naples, parcourait la ville et revenait au palais avec la conviction qu'on se trouvait en face d'un mouve

ment d'opinion irrésistible. D'autres encore ne se taisaient pas sur le péril. Il arriva ce qui arrive toujours : l'incertitude était la défaite d'une politique; l'orgueil du prince absolu hésitait et fléchissait. Après avoir résisté tant qu'il avait pu, Ferdinand II accomplissait trois actes qui étaient toute une révolution.

Le premier de ces actes fut l'abandon des deux personnages contre lesquels s'étaient amassées toutes les haines populaires : le confesseur du roi, Mer Cocle, et le ministre de la police, le marquis Delcarretto. Celui-ci reçut par le général Filangieri l'ordre de s'embarquer instantanément sans revoir son maître, sans lui parler, sans pouvoir même changer de vêtemens, et le confesseur eut le même sort. La seconde concession royale fut la nomination d'un nouveau ministère dont le chef était le duc de Serra-Capriola, qui avait été longtemps ambassadeur à Paris. La troisième, la dernière et la plus grave concession enfin, était la proclamation publiée le 29 janvier et annonçant une constitution. Puis Naples entra en fête et en liesse, pensant avoir tout conquis avec ce mot de constitution. Le roi sortit à cheval, et la population se pressait autour de lui pour baiser ses mains. Moment de singulière et fugitive illusion! En trois pas, Ferdinand II avait fait plus de chemin que tous les autres princes de l'Italie depuis l'avénement de Pie IX. « Ils me poussent, je les précipiterai,» avait-il dit, et il les précipitait en effet, car la constitution à Naples, c'était à peu de jours d'intervalle la constitution à Turin et à Florence. Il ne manquait plus que la révolution de février pour précipiter tous ces princes à la fois et accomplir un miracle bien autrement étrange en mettant une constitution même à Rome. Le vice de cette situation, rattachée à tout ce qui se passait dans le reste de l'Italie et en Europe, était dans l'attitude d'indépendance et de séparation de la Sicile vis-à-vis de Naples, dans le mouvement violent imprimé avant l'heure par Naples aux autres états italiens, et dans l'explosion de la révolution de février tombant au milieu de tous ces élémens d'incohérence et d'incandescence propres à la péninsule. Tout changeait de face en quelques jours. La révolution de février surtout compromettait définitivement l'émancipation progressive de l'Italie en faisant éclater subitement une guerre d'indépendance au nord de la péninsule, en évoquant du même coup le plus redoutable ennemi de tout affranchissement national aussi bien que de toute réforme sérieuse des institutions, l'esprit révolutionnaire.

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Ainsi se dessinait une situation que les événemens de France semblaient rendre plus facile en apparence, qu'ils rendaient désastreuse en réalité. Naples tout particulièrement sortait de cette crise des deux premiers mois de 1848 avec une constitution nominale, une administration décomposée, une population éblouie, un roi marchant à contre-cœur sous le coup d'une nécessité qu'il subissait sans conviction, et un ministère qui avait plus de bonne volonté que de force. Le malheur du royaume napolitain, en ce moment où tout était à faire et à organiser, fut de n'être point gouverné et d'aller à la grâce de Dieu ou à la diable pour mieux dire, comme l'Italie tout entière d'ailleurs. Le premier ministère constitutionnel formé à Naples eut deux phases répondant au mouvement graduel des choses, fiévreuses et tourmentées comme cette expérience où se précipitait tête baissée la péninsule: l'une de ces phases allant du 29 janvier au 6 mars, l'autre se déroulant du 6 mars au 3 avril.

Dans la première période, le cabinet napolitain avait pour chef, je l'ai dit, le duc de Serra-Capriola, un diplomate de la vieille école, et il comptait en outre le prince Dentice, le prince Torella, le baron Bonanni, le commandeur Scovazzo, hommes honnêtes, éclairés, environnés surtout d'une grande considération, mais qui étaient jetés à l'improviste à la tête du pouvoir dans des circonstances extraordinaires pour lesquelles ils étaient peu faits. Le 6 mars, un élément nouveau se faisait jour dans le ministère. A côté du prince Cariati, ancien officier de Murat, diplomate de 1820 et gentilhomme de manières supérieures, qui était appelé aux affaires étrangères, le nouveau ministre de la justice, Charles Poerio, qui depuis le 29 janvier avait dirigé la police du royaume, était un type de libéralisme et de patriotisme éclairé. L'économiste Giacomo Savarese devenait ministre des travaux publics. Un personnage assez mystérieux, qui depuis a joué un certain rôle dans les révolutions italiennes, entrait dès lors presque furtivement au pouvoir c'était M. Aurelio Salicetti, connu comme professeur de législation, remarqué depuis peu comme intendant de la province de Salerne, homme d'ailleurs résolu et opiniâtre; mais dans cette double combinaison, singulièrement incohérente et toujours placée sous la présidence du duc de Serra-Capriola, le chef réel, l'âme, le conseil du gouvernement napolitain, fut le ministre de l'intérieur, M. Bozzelli, appelé dès les premiers jours au pouvoir. Francesco Paolo Bozzelli était la personnification de ce régime constitutionnel qui naissait au milieu des orages. Mêlé depuis longtemps à la politique, ayant vécu près de

TOME XXII.

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