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tre. » Il avait bien d'autres pensées : le soir même, il parla à son frère de la princesse de Bavière.

L'ambassadeur d'Angleterre voulut assister à l'ouverture du corps, et les médecins ne manquèrent pas de trouver qu'elle était morte du choléra-morbus (c'est le mot de Mademoiselle), qu'elle était de longue date gangrenée, etc. Il n'en fut pas la dupe, ni Charles II, qui, d'abord indigné, ne voulut pas recevoir la lettre que lui écrivit Monsieur; mais c'eût été se brouiller et refuser l'argent de la France il s'adoucit et fit semblant de croire les explications qu'on donna.

Saint-Simon nous assure que le roi, avant de remarier son frère, voulut savoir au vrai s'il était un empoisonneur, qu'il fit venir Furnon, le maître d'hôtel de Madame, et apprit de lui que le poison avait été envoyé d'Italie par le chevalier de Lorraine à Beauveau, écuyer de Madame, et à d'Effiat, son capitaine des gardes, mais que Monsieur n'en savait rien. « C'est ce maître d'hôtel qui l'a conté luimême, dit Saint-Simon, à M. Joly de Fleury, de qui je le tiens. » Récit trop vraisemblable; mais ce qui ne l'est pas, ce qu'on ne voudrait pas croire, et qui cependant est certain, c'est que les empoisonneurs eurent un succès complet, que, peu après le crime, le roi permit au chevalier de Lorraine de servir à l'armée, le nomma maréchal de camp, le fit revenir à la cour. Comment expliquer cette chose énorme et outrageuse à la nature?

Le souvenir de Gaston, les embarras qu'un frère cadet pouvait donner, l'utilité de le tenir très bas, avaient dirigé jusque-là Louis XIV (aussi bien que sa mère). Personne mieux que le chevalier n'aurait pu avilir Monsieur, le tenir à l'état de femme ridicule et déshonorée. Il était revenu ici, et il devait être près de Monsieur dans ce grand auditoire, le jour de l'oraison funèbre, quand Bossuet, pour la première fois, trouva de vrais mots d'homme, celui de la lugubre nuit « Madame se meurt! Madame est morte! >> Et encore: « L'eût-elle cru il y a six mois? >> Mais que de larmes et de sanglots, quand il dit ce mot, trop compris : « Madame fut douce envers la mort, comme elle l'était pour tout le monde! »>

MICHELET.

EN TOURAINE

PAYSAGES ET SOUVENIRS

I. -LA VIGNE EN FLEUR.

C'était une vallée entre Saint-Cyr et Luynes,
Dont la vigne à foison couvrait les deux versans;
La tiède nuit de juin glissait sur les collines,
Et dans les chemins creux brillaient des vers luisans.

Lorsque pour son amant le soir la bien-aimée
Lisse ses cheveux bruns, une fraîche senteur
Imprègne sa poitrine et sa tête embaumée;

Ainsi tu parfumais la nuit, ô vigne en fleur!

On dit qu'aux jours d'été, quand tes grappes fleurissent, Le vieux vin des celliers fermente et reverdit;

Quand monte leur odeur, dans les cœurs qui languissent,
L'amour aussi, l'amour se réveille et bondit. -

La lune se leva comme une jeune reine,
Et les prés assoupis, et les grands pampres verts
S'argentèrent soudain à sa splendeur sereine;
On entendit des pas sous les chemins couverts.

Une enfant de vingt ans, dans le sentier des vignes,
Cherchant quelqu'un des yeux, s'avança lentement.
Je voyais son profil aux délicates lignes
Sous les pâles rayons s'éclairer doucement.

Ses regards scintillaient, sa robe aux teintes blanches
Se soulevait parfois aux soupirs de son sein...
D'un cerisier touffu s'écartèrent les branches,
Un jeune homme parut et la prit par la main.

Sur une pierre assis, d'abord ils écoutèrent;

Tout chantait les grillons, les rossignols; près d'eux Les pampres frissonnaient au vent. Ils se levèrent, Et dans l'obscurité disparurent tous deux.

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J'entendis un son clair et frais. Une fontaine
Jaillissait d'un tonneau dans la pierre sculpté;
Limpide, brusque et prompt, le filet argenté
Bouillonnait en tombant dans la margelle pleine.
Au-dessus, des tilleuls se penchaient, ombrageant
L'onde où se reflétait leur image indécise,
Et jusqu'au porche bas et cintré de l'église
La fraîcheur et l'ombrage allaient se prolongeant.
C'était jour de marché bien que jour de dimanche;
Aux yeux des acheteurs qui passaient et jasaient,
Sous les rameaux tremblans, des femmes exposaient
Leurs légumes rangés sur une nappe blanche.

Vêtus de droguet gris, coiffés de feutre noir,
Des vieillards faisant cercle autour de la fontaine
Devisaient longuement de la moisson prochaine,
Tandis que
l'eau chantait au creux du réservoir.

La cloche, s'éveillant dans le clocher de pierre,
Sonnait le catéchisme, et dans l'ombre on voyait,
Par le porche béant, la lampe qui brillait,
Ainsi qu'un ver luisant, au fond du sanctuaire.

D'enfans endimanchés un essaim babillard
Essayait une ronde à deux pas de l'église;
Une petite fille au pied d'un arbre assise,
Apprenant sa leçon, restait seule à l'écart.

Tantôt elle agitait ses lèvres entr'ouvertes,
Et sur le livre usé sa tête se penchait;
Tantôt, les yeux en l'air, rêveuse, elle cherchait
Le passage oublié parmi les branches vertes.

Filtrant dans les tilleuls, le gai soleil d'été
Éclairait les vieillards et l'enfant blonde et rose...
O tableau doux à voir, où le cœur se repose,
Et que le pur Brizeux en beaux vers eût chanté!

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Calme petite ville, où t'ai-je déjà vue?
Dans quel rêve ou dans quel pays?

Les noirs logis muets qui bordent chaque rue,
Avec leur forme étrange et pourtant bien connue,
Me paraissent de vieux amis.

Les pignons au soleil découpent leurs sculptures,
A leurs pieds l'ombre se répand;

L'herbe autour des pavés met de vertes bordures,
Les murs sont lézardés, aux poutres des toitures
Le lierre grimpe et se suspend.

A la mode des temps anciens encor vêtues,
Des servantes aux grands bonnets,
Droites sur les degrés aux assises moussues,
Restent sans mouvement ainsi que des statues;
Dans l'air volent des martinets.

Ils volent vers la place où l'église dans l'ombre
Entr'ouvre son portail cintré.

C'est dimanche, et déjà les fidèles en nombre
Vont s'asseoir gravement dans le chœur frais et sombre,
De stalles de chêne entouré.

L'encens fume, la cloche, aux voix de l'orgue unie,
S'envole, et c'est une chanson

Pleine d'émotion et de mélancolie...

Où donc ai-je entendu cette vague harmonie
Qui me donne encor le frisson?

Tout près, une maison se dresse, morne et grise;
A la vitre où monte un jasmin,

Une enfant aux yeux bruns, triste et pâle, est assise;
Elle suit dans leur vol les oiseaux de l'église,

Et rêve le front dans la main.

Oh! je me ressouviens!... La douleur inquiète
Qui met tout mon cœur en émoi,

Je la comprends enfin ! Chère ville muette,
Je connais quelque part une obscure retraite,
Silencieuse comme toi.

C'est la même attitude immobile et glacée,
La même église aux toits aigus.
Seulement la maison, de jasmin tapissée,
Est plus morne et plus vide encore; à la croisée
La pâle enfant ne rêve plus.

Les volets sont fermés, la grande porte est close,
Et le jasmin n'a plus de fleurs;

Dans un tombeau profond la pauvre enfant repose,
Et la rosée, hélas! seule au matin arrose
La fosse étroite de ses pleurs.

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D'un flot de ses rayons le soleil vint noyer
Un grand château du temps du roi François premier,
Et l'on voyait briller l'ardoise des toitures,
Les vitraux, les balcons et leurs frêles sculptures.
Tout autour, des fossés d'eau vive s'étendaient,
Où de blancs escaliers jusqu'au bord descendaient,
Et plus loin, des gazons, des massifs de verveines,
Abrités à demi par l'ombrage des frênes.

Puis, dans les profondeurs d'un parc de châtaigniers,
Frais, sinueux, obscurs, s'enfonçaient des sentiers,
Et d'espace en espace, une claire échappée
Laissait voir la prairie où l'herbe, encor trempée
Des larmes du matin, tremblait et scintillait,
Où, pleine jusqu'aux bords, et lente, sommeillait
L'Indre entre deux rideaux de bouleaux et de saules.
Bordant l'horizon bleu de leurs rondes épaules,
Les coteaux s'inclinaient, couverts de vigne en fleur,
Et sous cette verdure et dans cette fraîcheur
Je sentais à l'espoir mon âme se reprendre,
Et dans mon cœur guéri le calme redescendre.

Sur la pelouse, au seuil du château, deux enfans,
Blonds, roses, gracieux dans leurs vêtemens blancs,

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