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le continent, -sans la centralisation, dans une société démocratique,

avec un roi sage.

Un autre pays voisin, le Piémont, offre un spectacle d'un intérêt égal, et il a droit aux mêmes vœux, quoiqu'on ne puisse contempler son avenir d'un œil aussi tranquille. Là aussi le système représentatif s'est établi sans clergé gouvernemental, sans chambre héréditaire, en pleine liberté de presse, à la veille des émotions contagieuses de 1848. Une guerre plus honorable qu'heureuse et les sacrifices qui suivent les revers ont mis aussitôt à une critique épreuve ce gouvernement naissant, et loin que la monarchie en ait été ébranlée, la maison royale en est sortie plus populaire. Depuis lors, ce qui a agité le Piémont, ce n'est point la liberté, c'est une ambition patriotique. Si le Piémont doit avoir encore ses jours d'épreuve, ce n'est point pour des causes intérieures : c'est que de glorieux événemens, en lui donnant plus de grandeur, lui ont créé de nouvelles difficultés à vaincre. Quoi qu'il arrive, le Piémont n'est pas plus que la Belgique menacé jusqu'ici d'un renversement par les causes que l'on va chercher dans la comparaison de l'Angleterre et de la France, et pourtant tout ce qu'on dit des différences qui séparent celle-ci de celle-là pourrait s'appliquer à la Belgique et au Piémont.

Les malheurs que l'on prédit comme inévitables dans la voie de la liberté politique ne sont donc nullement certains, ou, s'ils le sont, ils auraient d'autres causes que celles qu'on allègue, et surtout il n'est pas plus prouvé par l'expérience que par la théorie qu'un peuple intelligent et éclairé ne puisse, du droit de sa raison, emprunter quelques-unes des institutions essentielles d'un autre pays; il n'est pas vrai qu'une nation soit condamnée à être toujours gouvernée comme elle l'a toujours été. Il lui est difficile de changer de gouvernement; il lui est difficile de conserver celui qu'elle s'est choisi, s'il a besoin pour exister de son concours, et que ce concours, elle ne sache pas le lui donner. Cependant il n'y a point là d'obstacles invincibles, et pour les vaincre, le moyen n'est pas mystérieux; il se borne à ceci comprendre et vouloir.

CHARLES DE RÉMUSAT.

GEORGY SANDON

HISTOIRE D'UN AMOUR PERDU

SECONDE PARTIE.

VI.

En revenant à elle, Georgy se trouva étendue sur un canapé, dans ce même petit salon de mistress Erskine où, le matin, elle avait passé une heure si cruelle (1). Une femme de chambre avait pris soin d'elle, détaché son chapeau, et lui apportait à boire. James était auprès de sa cousine, et il se prit à sourire quand elle lui demanda s'il était bien tard, si elle ne pouvait partir pour Brighton. Elle rit aussi, quoique faible encore, lorsque, pour unique réponse, il lui présenta un miroir où elle vit ses traits étrangement décomposés. Il s'engagea entre eux une causerie simple, naturelle, sans effort de part ni d'autre. Georgy, répondant aux questions de son cousin, ne lui cacha point qu'elle avait quitté Grainthorpe sans l'aveu de ses parens. Un peu surpris peut-être, mais n'en laissant rien voir, il lui demanda pourquoi elle n'avait pas tout dit le matin à mistress Erskine. Cette question délicate fut adroitement éludée. L'entretien continuant, Georgy songeait à la bizarrerie de ce long têteà-tête et reparlait de Brighton. —Prenez d'abord le thé, vous partirez ensuite, reprenait James Erskine, et d'ajournemens en ajournemens on gagna l'heure où rentrait mistress Erskine. Instruite par son fils

(1) Voyez la Revue du 15 juillet.

de ce qui s'était passé, elle s'adressa mille reproches pour le froid accueil qu'elle avait fait à Georgy, l'embrassa, la consola, et s'empressa d'écarter son fils en lui rappelant une invitation à dîner dont il ne paraissait plus se souvenir.

Ces façons familières, même un peu brusques, cette gaieté, ces sourires échangés de la mère au fils, agissaient merveilleusement sur Georgy, et la consolaient, la rassuraient mieux que toutes les protestations du monde. Mistress Erskine, quand elles furent seules, se fit expliquer les motifs que Georgy avait eus de quitter son oncle, et, approuvant pleinement la résistance de la jeune fille à un mariage qu'on voulait lui imposer, elle lui promit d'intervenir pour tout pacifier. Elle prenait l'affaire aussi à cœur que si elle eût dù épouser elle-même le capitaine Anstruther.

Georgy fut gardée au lit toute la journée du lendemain, dans un état purement passif de quiétude heureuse, et plongée en mille rêves charmans. Elle entendait les deux voix de la mère et du fils conversant dans la pièce voisine, et il lui semblait qu'ils parlaient d'elle. Puis mistress Erskine entrait, l'entretenait de quelques détails intérieurs, lui donnait les petites nouvelles de Londres, et il ne tenait qu'à la jeune malade de se croire tout à fait de la maison. Le soir, James et sa mère sortirent ensemble, et la petite provinciale s'étonna un peu de tant d'heures données au plaisir. Elle resta toute la soirée à côté du piano sans oser l'ouvrir, s'assoupit par degrés, et, rentrée chez elle, dormait tout de bon quand ils revinrent.

Près d'un mois se passa ainsi sous le toit hospitalier des Erskine. La tante de Georgy cependant était revenue à Londres: miss Sparrow ne demandait pas mieux que de prendre sa nièce chez elle; mais mistress Erskine en avait décidé autrement. Elle allait partir pour Millthorpe, Georgy l'y accompagnerait, et de là on négocierait sa réconciliation avec M. et mistress Sandon. Du reste, un peu romanesque en ses idées, mistress Erskine trouvait tout simple que Georgy gagnât sa vie comme maîtresse de musique, et déjà elle cherchait les moyens de lui procurer des leçons. James ne partageait pas à cet égard les idées de sa mère, et la raillait doucement des folles idées qu'elle entretenait chez Georgy. Il est vrai qu'il n'avait rien à proposer de son côté. S'il était question du mariage avec Anstruther Ah! disait-il, c'est un idiot qu'elle fait bien de refuser.Si on hasardait l'idée de la réintégrer chez les Sandon - Fi! les vilaines gens!... Elle sera mieux partout ailleurs. - S'agissait-il de jouer en public: - Elle est bien trop timide, ou de donner des leçons : Elle a trop de sensibilité... Pauvre petite!... un travail d'esclave! Mais que voulez-vous donc qu'elle fasse? - Eh! qu'elle attende,... il se présentera peut-être quelque chose,... ou

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qu'elle se marie,... puisqu'il est dit qu'une fille ne saurait rester fille. Et avec qui? Sur ce point, James ne répondait que par

un silence absolu.

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Pendant qu'on délibérait ainsi sur son sort, Georgy était la personne la plus heureuse du monde. Le matin, elle jouait du piano, lisait, causait avec James. Dans l'après-midi arrivaient les visites, et James s'étonnait de ce qu'elle n'ouvrait plus la bouche. — Quand on vient de Grainthorpe à Londres, répondait-elle, on ne parle pas, et c'est déjà bien assez de travail que d'écouter tout ce qui se dit ici. Puis elle sortait en voiture avec mistress Erskine, et restait dans le carrosse pendant que son amie faisait ses visites. Mistress Erskine, durant ces promenades, parlait à peu près constamment. Georgy l'écoutait avec une attention scrupuleuse qui redoublait quand il était question du mariage de James, et que l'excellente mère lui communiquait toutes les difficultés qu'elle entrevoyait pour cette grave affaire dont il faudrait bien s'occuper un jour. Dans le cours de ces conversations, qui ressemblaient fort à des monologues, il arriva une fois que Georgy se permit une épigramme, bien innocente d'ailleurs, sur l'insignifiance des jeunes personnes en général. Mistress Erskine l'en reprit aussitôt. Pas de sarcasmes, mon enfant!... surtout avec les hommes. Rien ne leur plaît moins. A mesure que vous acquerrez de l'expérience, vous verrez comme le sarcasme sied mal aux femmes.

- En vérité, chère mistress Erskine, vous n'aurez aucune peine à me convertir. Je n'aime pas assez la moquerie pour la pratiquer jamais beaucoup.

Faites-y attention. Avec James, rien de plus simple: il est de la famille; mais il faudrait davantage vous préoccuper de l'opinion des étrangers. Vous les traitez un peu trop sans façon. Votre laconisme (puisque ce n'est pas du sarcasme) pourrait bien vous les aliéner. Vis-à-vis de James, cela vous est bien égal. Et d'ailleurs vous lui plaisez comme vous êtes.

Georgy sourit, et dans le secret de son cœur elle se répétait : Ah!... je lui plais!... et cela m'est égal...

Un soir où Georgy était restée seule au logis, M. Erskine rentra plus tôt que d'habitude. « Ma mère est donc sortie? » lui demandat-il. Il aurait fort bien pu dire cependant où était sa mère, et n'était revenu que parce qu'il la savait absente. Ce fut avec la même franchise qu'il parut craindre de gèner miss Sandon et offrit de monter chez lui. Bref ils passèrent une soirée entière à rire et causer comme autrefois à Monklands, le jour de la grande pluie. Il fut question entre eux d'un grand bal fashionable que donnait la semaine suivante mistress Evelyn Loraine, l'étoile de la saison.

Est-ce que vous aimeriez à voir ce bal? demanda-t-il à Georgy, qui par parenthèse ne s'en souciait pas le moins du monde une minute auparavant.

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Oh! j'en serais vraiment ravie, répondit-elle les yeux levés sur lui.

Le lendemain, il lui apportait une de ces invitations qui faisaient l'envie de mainte et mainte orgueilleuse miss, et quand il vit la joie dont ses yeux brillaient : Allons, allons! s'écria-t-il, moins perspicace qu'il n'aurait pu l'être, vous n'êtes pas femme pour rien... La toilette et le bal vous tournent la tête.

Si du moins il avait dit vrai!

Le soir du bal, à demi étouffée, étourdie du parfum des fleurs de serre, éblouie par les reflets des girandoles, les oreilles emplies d'airs bruyans et de murmures confus, Georgy suivait patiemment de salon en salon un jeune cavalier qu'on lui avait désigné comme partner. Il lui nommait toutes les notabilités et dissertait sur les inconvéniens d'un début dans le monde, sans se douter qu'il avait au bras une débutante encore plus novice que lui. Et Georgy s'abritait derrière une impassible gravité dont elle s'amusait ellemême beaucoup, se sentant plus imposante qu'elle n'aurait dû l'être, quand James Erskine vint par-dessus l'épaule lui reprocher de faire un peu trop poser son jeune ami.

Je vous assure qu'il est fort content de moi, répondit-elle.
Vous savez que c'est un parti, reprit-il en riant.

Et vous-même, savez-vous ce qu'a de fortune cette belle personne qui vient de passer?

La « belle personne » était miss Gertrude Stanley, que mistress Erskine souhaitait ardemment pour bru. Elle l'avait bien souvent nommée à Georgy, qui voyait pour la première fois cette brillante héritière : « Fortune à part, je la vaux bien, » venait-elle de se dire après un examen attentif. Peut-être Georgy s'abusait-elle, car, sauf une légère exubérance de santé, miss Stanley, qui eût peut-être gagné à perdre un peu de son splendide embonpoint, était un échantillon presque irréprochable de cette beauté positive que nul ne s'avisera jamais de contester. Quoi qu'il en soit, en adressant à son cousin ce léger sarcasme, elle n'obéit point à un sentiment de jalousie; elle n'en éprouvait aucun, et le contempla bientôt après d'un œil serein, causant et riant avec cette triomphante rivale. Dans le monde, elle l'aimait mieux partout ailleurs qu'à ses côtés. Les regardant ainsi, en témoin presque désintéressé, elle en vint à penser que James, en bon et loyal fils, épouserait peut-être cette grave et magnifique personne. Phénomène étrange, cette idée ne lui parut pas trop désespérante. Tout au contraire, elle se trouva fort at

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