Page images
PDF
EPUB

ainsi délivrée des persécutions des états secondaires. Ce conflit qui allait s'élever à propos des propositions militaires qu'elle avait faites à la diète sera conjuré, car pourquoi persisterait-elle dans des propositions qui n'ont plus d'objet? Il lui sera permis de jouer ce rôle de grande puissance qui lui tient si justement à cœur, et qu'elle conserve avec tant de difficulté au milieu des tracasseries que lui suscitent les états secondaires : seulement, au lieu des périls de ce rôle, elle n'en aura que les honneurs. Elle n'assumera point les risques d'une médiation armée; elle prendra simplement part aux paisibles délibérations européennes auxquelles ne peut manquer de donner lieu le règlement pratique de la nouvelle condition de l'Italie.

L'Angleterre, elle aussi, a eu sa part de l'alarme générale. C'est le pays où la nouvelle de la paix produira l'effet le plus salutaire. L'Angleterre a subi cette maladie des armemens extraordinaires pour laquelle elle a une répugnance toute particulière et très justement fondée. Par tous ses organes les plus autorisés, elle s'excitait aux préparatifs militaires et maritimes. Il y a quelques jours, un des plus fermes vétérans de la chambre des lords, un de ces vigoureux vieillards qui conservent dans la vie parlementaire jusqu'à un àge fabuleux l'énergie de leurs facultés politiques, lord Lyndhurst, se levait solennellement pour exhorter son pays à organiser ses défenses: il faut respecter dans de telles bouches le langage élevé du patriotisme, lors même qu'il s'y mêlerait, ce qui est inévitable, des défiances peu fondées. Grâce à Dieu, cette bénédiction de la paix, comme l'appelle lord Brougham, va calmer toute cette menaçante éloquence. Il est heureux pour le ministère de lord Palmerston et de lord John Russell que le soudain dénoûment de la guerre mette un terme aux anxiétés anglaises. L'on ne peut s'empêcher de remarquer cependant que le cabinet anglais n'a pas le droit de revendiquer le moindre mérite dans l'œuvre de cette paix. La paix a été conclue en dehors de son influence et à son insu. Il semblerait même, en un certain sens, qu'elle fait disparaître la principale raison qui ait justifié l'avénement de ce cabinet. Pour conjurer une crise que l'on redoutait de voir s'étendre sur l'avenir et s'envenimer par sa durée, les principaux chefs du parti libéral avaient cru devoir oublier leurs dissentimens et se réunir au pouvoir pour faire tête à l'orage. C'était, comme on l'appelait, le ministère de tous les talens. Il est certain que le principal objet de cette coalition de tous les talens, dans laquelle M. Cobden seul avait refusé de s'engager, disparaît avec les dangers de la guerre. Il est également évident, depuis la publication des correspondances diplomatiques de lord Malmesbury, que l'opposition avait été injuste dans les reproches qu'elle adressait à l'ancien cabinet. Lord Derby et M. Disraeli, à la tête d'un parti imposant, regagnent par la simple vertu des événemens qui s'accomplissent une sorte d'ascendant moral sur le ministère Palmerston. Nous souhaitons cependant que le ministère libéral se maintienne au pouvoir, car l'Italie libérale, dans la période critique qu'elle va traverser, a besoin d'avoir des amis puissans en Europe. C'est en vue même des services qu'il se croyait appelé à rendre à l'organisation de la liberté en Italie que lord John Russell, vieil avocat et ami éprouvé des libéraux italiens, a voulu prendre, dans 'administration actuelle, la direction des affaires étrangères. Il a choisi lui

même son poste : c'est à lui maintenant de remplir les engagemens et pour ainsi dire les devoirs qu'il a contractés envers l'Italie.

EUGÈNE FORCADE.

ESSAIS ET NOTICES.

LES PUBLICATIONS GÉOGRAPHIQUES EN ALLEMAGNE. 1

L'Allemagne est avec l'Angleterre le pays qui prend le plus de part au mouvement de la géographie contemporaine. Tandis qu'un grand nombre de ses enfans s'en vont demander à l'Amérique et à l'Océanie des moyens d'existence que ne leur accorde pas toujours le sol natal, et transportent dans ces régions lointaines l'ordre, le travail, l'esprit de famille, qualités familières à leur race, nous avons vu dans ces dernières années plusieurs Allemands, explorateurs de l'Afrique et de l'Inde, s'illustrer par leur science, par leur courage et par les utiles résultats de leurs travaux. En même temps des instituts et des recueils géographiques sont nés en plusieurs points de l'Allemagne pour répondre à ce sentiment général de curiosité qui promène aujourd'hui l'esprit de tous les hommes intelligens à travers le monde entier. C'est dans ces circonstances et au milieu des savans travaux de Sprüner, de Berghaus, de Charles Müller, de Kiepert, qu'a été fondé, voici quatre ans, le recueil des Mittheilungen ou communications géographiques. L'éditeur, M. Justus Perthes, de Gotha, annonçait l'intention de publier une sorte de manuel destiné à mentionner les recherches, les découvertes, les progrès de la géographie; mais le savant chargé de réaliser ce programme, M. le docteur A. Petermann, a fait beaucoup plus, et les Mittheilungen forment aujourd'hui le recueil le plus utile, le plus intéressant, celui qui, avec les journaux des sociétés géographiques de Londres et de Berlin, est le plus riche en renseignemens et le plus recherché en Europe. Ce recueil nous a tenus au courant des voyages de Barth, de Livingstone, d'Andersson, à mesure que ces voyageurs accomplissaient leur longue mission scientifique; il satisfait notre impatience au sujet des travaux et du sort des explorateurs avant que les relations puissent paraître, et le lecteur qui tient dans sa main la collection de l'année peut à sa fantaisie errer d'un bout de la terre à l'autre, certain de trouver toujours des renseignemens précis sur ce mouvement des peuples, ces mélanges, ces colonisations, ces expéditions lointaines qui sont un des caractères particuliers du XIXe siècle.

C'est ainsi que les informations publiées en 1857 et 1858 nous font voir que l'Afrique, l'Australie et l'extrême Orient ne sont pas les seufs points qui aient

(1) Mittheilungen aus Justus Perthes' Geographischer Anstalt über wichtige neue Erforschungen auf dem Gesammtgebiete der Geographie, von Dr A. Petermann, 1857-1858.

attiré les voyageurs et mérité de fixer l'attention; l'archipel indien, les vastes espaces de la Sibérie, l'Himalaya, le Pendjab, les plateaux du Dekkan, et, plus près de nous, ces contrées de la Palestine auxquelles se rattachent tant d'histoires et de traditions qui nous sont familières, ont eu aussi leurs explorateurs. Sait-on qu'il n'y a que peu d'années que la forme du lac Aral et de la Mer-Morte, ces deux nappes d'eau qui confinent presqu'à l'Europe, a été déterminée avec exactitude? En 1857 et 1858, le docteur Roth suivait encore, du lac de Tibériade au lac Asphaltite, la vallée du Jourdain, étudiant les phénomènes bizarres du sol de la Judée, et s'efforçant de rattacher à l'histoire de ses convulsions la catastrophe de Sodome et de Gomorrhe. Dans le même temps, bien loin de là, un naturaliste, M. Salomon Müller, étudiait les races humaines de la Nouvelle-Guinée. Ailleurs, MM. Speke et Burton partaient de Zanzibar pour pénétrer, dans l'intérieur de l'Afrique équatoriale, jusqu'à cette grande mer Ujiji ou Uniamesi, sorte de Caspienne africaine qui n'aurait pas moins de deux cents lieues de long, au dire des indigènes, d'après lesquels seuls elle nous était connue jusqu'ici (1). La nouvelle expédition a eu pour résultat de démontrer qu'au lieu d'une seule mer il y en a trois. La première, que les indigènes appellent Nyassi, est la plus rapprochée de la côte, et elle était la seule qui depuis longtemps figurât sur nos cartes d'Afrique. La seconde est appelée Ukerevé, et c'est à la troisième qu'appartient en propre le nom d'Ujiji. Entre ces deux dernières se dresse, à ce qu'il paraît, une haute chaîne de montagnes qui ne permet pas de supposer qu'il existe entre elles des communications. L'étude de cette partie de l'Afrique offre d'autant plus d'intérêt que c'est là, selon toute présomption, et au milieu des lacs intérieurs que nous venons de nommer, que le Nil prend sa source. Il y a dix-sept cents ans, un géographe écrivait : « C'est par-delà les montagnes de la Lune, au fond d'une mer intérieure, qu'il faut chercher les sources du Nil. » Longtemps notre cartographie a accepté cette assertion sans contrôle; puis, quand s'est ouverte pour l'Afrique l'ère moderne des découvertes et des voyages, comme on ne trouvait ni la mer ni les montagnes là même où le savant grec les avait placées, on a crié à la fable et au mensonge. Le Nil, selon les uns, descendait des montagnes de l'Abyssinie; selon d'autres, il courait de l'ouest à l'est. Un moment même, doublant le cours de ce roi des fleuves, on en a fait la continuation du Niger. Quelques voyageurs cependant le remontaient toujours; d'autres, partis de la côte de Zanguebar, découvraient, au sud de l'équateur, des monts chargés de neige; enfin voici la mer intérieure qui se révèle, et bientôt il suffira de reculer vers le midi la latitude où le fleuve prend sa source pour trouver exacte l'assertion de Ptolémée. Sur bien d'autres points encore, la science moderne en est venue à constater la vérité de faits énoncés par les anciens, et qui avaient longtemps semblé fabuleux; elle nous enseigne à ne pas récuser légèrement les témoignages de Strabon, de Pline, de Ptolémée, et même de ce charmant conteur, Hérodote, que l'on a accusé, souvent à tort, d'avoir demandé à son imagination l'intérêt de ses récits.

Mais ce ne sont ni Burton, ni M. Salomon Müller, ni le docteur Roth qui

(1) Voyez la Revue du 1er août 1857.

méritent le plus de fixer l'attention, quel que soit l'intérêt qui s'attache à leurs travaux durant ces dernières années. Il y a cinq ans, trois frères, Hermann, Adolphe et Robert Schlagintweit, se proposèrent de parcourir et d'étudier d'une extrémité à l'autre, au triple point de vue de la physique, de la géographie et de l'ethnologie, cette presqu'île de l'Inde, qui, par les traditions qui s'y rattachent, les faits qu'elle a vus s'accomplir, l'étrangeté de ses habitans, excite tant d'intérêt et occupe une si grande place dans l'histoire. Les trois frères ont tenu leur promesse, sillonnant l'Inde dans tous les sens de 1854 à 1857. Grâce aux Mittheilungen, nous pouvons suivre les grandes lignes de leur itinéraire, en attendant que la relation de leurs voyages nous fasse connaître d'une façon plus complète les résultats de leurs travaux. L'aîné, parti de Bombay, a exploré le Dekkan, l'Inde méridionale, puis il s'est dirigé vers Madras et de là sur Calcutta. L'année suivante, en 1855, il s'est engagé dans l'Himalaya, a visité les frontières du Nepaul, du Boutan, et les deltas du Gange et du Brahmapoutre. En 1856, il a exploré l'Oude, les lacs salés du Thibet, rejoint son frère Robert à Ladak, et pénétré jusqu'au fond du Kachemyr. Enfin en 1857 il a regagné Calcutta par le Pendjab et le Nepaul. Cependant Adolphe explorait quelques parties du Dekkan; puis, remontant vers le nord, il franchissait les passages de l'Himalaya, qui mènent dans le Thibet, explorait la vallée du Sutledje et les sources de l'Indus; de là il descendait vers le Godavery, puis jusqu'au cap Comorin. Enfin il remontait dans le Bengale et visitait aussi une partie du Pendjab. De son côté, Robert Schlagintweit, après être parti comme ses frères du Dekkan, participait à plusieurs de leurs excursions dans le Thibet, l'Himalaya, le Kachemyr, puis de Bombay il gagnait Ceylan. Ce n'est pas sans bien des peines et des fatigues que se sont accomplis tant de voyages à l'époque où l'Inde commençait à s'agiter et à remuer sous la domination anglaise.

Le bruit s'était répandu vers la fin de l'année dernière qu'un des trois courageux explorateurs avait péri dans la Haute-Asie, au moment où il achevait d'accomplir sa tâche, et où, voulant joindre à tant de travaux les résultats d'une dernière exploration, il venait de pénétrer par les ramifications occidentales de l'Himalaya dans le Turkestan. Cette nouvelle, longtemps incertaine et plusieurs fois contredite, ne s'est que trop malheureusement vérifiée. Une communication toute récente, datée du 2 mai 1859 et envoyée de Berlin par les frères Hermann et Robert Schlagintweit (1), ne permet plus aucun doute à cet égard: Adolphe Schlagintweit a été assassiné, et ce qui ajoute, s'il est possible, à ce deuil de la science, c'est que les démarches faites par ses frères pour recouvrer ses papiers, ses collections, les fruits de ses derniers travaux, sont jusqu'ici sans aucun bon résultat. Les circonstances de la mort du voyageur ne sont pas encore bien connues, et il y en a plusieurs versions différentes. Selon celle qui semble la plus probable, reconnu pour un Européen malgré le déguisement qu'il portait avec soin, il serait tombé sous le couteau d'un fanatique. On dit aussi que la protection même que lui accordait la compagnie anglaise des Indes n'aurait pas été

(1) Officielle Berichte über die letzten Reisen und den Tod von Adolph Schlagintweit in Turkestan, von Hermann und Robert Schlagintweit.

étrangère aux causes de son assassinat. De plus, son guide Mohammed-Amin s'était, depuis longtemps déjà, aliéné par des rapines les populations de la région que l'on traversait. On a encore dit que le gouverneur chinois de la dernière province du Thibet visitée par le voyageur, ayant reconnu en lui un Européen, avait promis une forte récompense à qui le lui livrerait. Enfin on a prétendu que c'est en voulant s'opposer au trafic d'esclaves d'un petit chef du Turkestan que le voyageur aurait péri. Quoi qu'il en soit de ces récits divers, la nouvelle ne paraît aujourd'hui que trop certaine Adolphe Schlagintweit a été frappé en août 1857. On a bien dit que l'Européen assassiné portait sous l'œil un signe naturel, et MM. Hermann et Robert Schlagintweit ne connaissaient à leur frère aucun signe de ce genre; mais ce peut être la cicatrice d'une blessure récente, et quelque bonne volonté qu'on puisse avoir, il est difficile de conserver la moindre espérance. Il nous reste seulement à souhaiter que les papiers du voyageur assassiné rentrent dans la possession des survivans, et que ceux-ci puissent s'acquitter de la tâche pieuse de joindre à leurs propres relations les résultats des travaux de leur frère. Quand ces relations auront paru, il sera utile et intéressant de les rapprocher des ouvrages de notre voyageur dans l'Inde, Jacquemont, de ceux de Thomson, du missionnaire Graul, et sans doute il en jaillira des lumières importantes et nouvelles sur l'histoire et la condition de cette presqu'île de l'Inde, qui aujourd'hui encore, sur bien des points, est incomplétement

connue.

On peut juger maintenant du genre d'intérêt que présente le recueil de MM. Justus Perthes et Petermann. Il faut louer surtout la variété et l'étendue des sujets qu'il embrasse; il sert de la sorte efficacement la géographie. C'est en effet dans l'intérêt qu'elle a su prendre de nos jours que se trouve la véritable supériorité de la géographie moderne. Naguère encore elle consistait en arides nomenclatures pour lesquelles on croyait tout faire en y cousant quelques phrases descriptives. Il n'en est plus de même; nous savons aujourd'hui que si des lacs apparaissent, si des monts nouveaux se dressent, si des fleuves livrent le secret de leur parcours, ce sont des voies pour le commerce et la navigation, des centres coloniaux, les limites de futurs empires. Et sous les noms inconnus et barbares qui frappent nos oreilles aux récits des voyageurs, l'expérience des temps modernes nous a enseignés à lire des espérances d'industrie, de science et de civilisation.

Atlas pour servir à l'histoire militaire de la France pendant les temps modernes,
par M. Gustave Hubault, Paris, Eug. Belin, éditeur.

Une seule époque a dû offrir plus d'attrait que la nôtre à la curiosité géographique, c'est le commencement du xvi° siècle, alors que l'Europe entière, penchée vers l'Atlantique, écoutait avec avidité les récits nouveaux de découvertes et de conquêtes. L'esprit des hommes parut à ce moment s'élargir; il semblait que sur la terre plus vaste on respirât mieux; les lourdes entraves du moyen âge furent brisées, et c'est de cette première grande reconnaissance du globe que datent plusieurs des inventions et des progrès

« PreviousContinue »