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-Oh! mon cher Théodore! balbutia la charmante fille.

Et ils ne parlèrent plus, tant leur bonheur était grand et tant ils avaient peur du bonhomme Signoret, qui rôdait dans le parterre en faisant semblant de fumer un cigare. Enfin Théodore retrouva la parole Ma chère âme, je ne vous prie pas pour la contredanse, dit-il en jetant un coup d'œil sur ses vêtemens noirs.

-Moi aussi je suis en deuil et je ne danse pas, lui répondit-elle avec un regard si doux, si pénétrant, qu'il en fut comme enivré.

Elle était habillée d'une robe de percale blanche, avec un peu de gaze claire chiffonnée autour du cou. Quelques noeuds de ruban noir accompagnaient ses tresses blondes, et elle avait attaché à son corsage une petite touffe de roses blanches. Théodore la contemplait tout ravi et consumé d'amour; jamais il ne l'avait vue si éblouissante. En effet, elle était alors dans le complet épanouissement de sa rare beauté; aucune comparaison ne pouvait rendre l'éclat suave de son teint, la grâce souveraine de toute sa personne. A son aspect, on se rappelait involontairement sa mythologie, Hébé, Vénus et tout le cortége des jeunes déesses aux pieds desquelles se prosternait l'antiquité païenne. Il y avait beaucoup de jeunes gens à ce bal de noces plusieurs d'entre eux auraient volontiers suivi l'exemple de Casimir Brindorge, plusieurs, subitement épris de Camille, l'auraient dès le lendemain demandée en mariage; mais tous restèrent à distance, parce qu'ils savaient ses amours avec Théodore.

La tante Dorothée gémissait au fond de son âme en considérant ce couple amoureux dont le bonheur pouvait être encore si longtemps ajourné. Quoiqu'elle ne fût pas sans avoir dans l'imagination quelques idées romanesques, elle regrettait vivement que sa filleule eût pris un engagement si téméraire. Aussi interrompit-elle bientôt le tête-à-tête des deux amans, qui furent réduits à se regarder de loin jusqu'à la fin du bal.

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Le lendemain, Théodore, tout enfiévré d'amour, disait en soupirant à Marcelle - Hier, j'étais au ciel;... aujourd'hui, je suis retombé sur la terre... Comme les heures me paraissent longues!... Que faire d'ici à ce soir?... Loin d'elle, l'ennui me consume, je ne vis pas... Ah! Marcelle, si tu l'avais vue hier à ce bal de noces!... Qu'elle était belle!... J'aurais voulu me mettre à ses genoux, et, les mains jointes, la contempler et l'adorer. Elle m'a répété qu'elle m'aime, qu'elle ne sera qu'à moi, qu'elle attendra; mais j'ai cru voir en elle un fonds de tristesse et d'impatience. Ah! malheureux, malheureux que je suis!... Oh! que notre sort est cruel! oh! que de belles années perdues!...

Pendant cette tirade, Marcelle mettait le couvert sur la petite table près de laquelle Théodore était assis.

- Hélas! dit-elle, est-il possible de maudire son sort quand on est aimé? Vous savez bien qu'un jour viendra où vous serez l'homme le plus heureux de la terre.

- Vivrai-je jusque-là? murmura Théodore en s'accoudant sur la table où Marcelle venait de lui servir son déjeuner.

- Allons, mangez un peu, dit-elle avec douceur, comme si elle parlait à un enfant volontaire et malade; je vous trouve mauvais visage ce matin; on voit bien que vous ne vous êtes pas couché. Il faudra tâcher de dormir un peu cette après-midi. Tenez, voilà de bons petits œufs frais que j'ai été chercher dans le nid de la poule noire, vous savez, celle qui vient jusqu'à la porte du jardin, et à laquelle vous donnez toujours des miettes.

Théodore mangea ses œufs en soupirant.

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As-tu vu Cascarel? demanda-t-il à Marcelle.
Oui, il n'y a qu'un moment.

Que dit-il?

Pas grand'chose; son maître est fort occupé maintenant.
Ah! fit Théodore étonné.

Il est fort occupé de deux pierrots qui sont venus faire leur nid dans un trou du mur, juste en face de sa fenêtre. Tout le jour il est là, derrière la persienne, à les regarder. Ça l'amuse beaucoup de les voir venir avec la becquée et d'entendre les petits qui se chamaillent au bord du nid quand le père et la mère sont dehors.

- Mon pauvre oncle, hélas! murmura Théodore avec une compassion sincère.

Huit jours après, tandis que Théodore était à déjeuner, Cascarel arriva tout effaré. - Il est arrivé un malheur, dit-il; les pierrots se sont envolés.

-Comment! comment! s'écria Théodore.

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— C'est la faute de monsieur, répondit Cascarel; ce matin il a vu toute la nichée qui voletait pour essayer ses ailes, et il m'a dit, tout inquiet « Vite, vite! va-t'en chercher une échelle, une cage; ils vont partir si nous ne les attrapons. - Mais bientôt il y aura là une autre nichée, lui ai-je répondu; les moineaux couvent tout l'été; d'ailleurs ces petits sont déjà gros, ils risquent de mourir si on les met en cage. Fais ce que je te dis!» s'est-il écrié avec emportement. Alors je suis allé chercher l'échelle et la cage, et je suis descendu dans la ruelle. Tous les polissons de la place sont accourus en faisant de grands éclats de rire, ne sachant ce que j'allais faire. Monsieur était derrière la persienne, qui regardait les pierrots étaient dans le nid; j'ai avancé la main tout doucement, mais elles sont fines, ces petites bêtes-là; elles ont glissé entre mes doigts, et toute la bande a pris la volée, le père et la mère en tête... A pré

TOME XXII.

3

sent c'est fini, on ne les reverra plus jamais les pierrots ne reviennent dans un endroit où ils ont failli être pris. Quand je suis rentré, j'ai trouvé monsieur au désespoir; il pleurait presque, et il n'a pas voulu déjeuner.

- Mais c'est facile de le consoler tout de suite, dit alors Marcelle; il s'agit seulement de lui acheter au plus vite une nichée de rossignols, ou bien un merle, ou bien un perroquet.

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Ça ne le consolerait pas du tout, répondit Cascarel; je lui ai sur-le-champ proposé de lui apporter dans une cage peinte en vert une jolie paire de tourterelles, mais il s'est écrié avec colère : « Je n'en veux pas!... Non, je ne veux pas de ces vilaines petites bêtes qui toute la journée roucouleraient et feraient l'amour devant moi. » Alors je me suis hasardé à lui dire : « Si monsieur voulait un serin? Certainement ce serait pour lui une distraction. — Non, non! a-t-il crié encore plus fort; je ne veux autour de moi ni tourterelle, ni serin, ni chien, ni chat, ni rien! Si j'ai envie de m'amuser, eh bien! j'élèverai des araignées. » Quand j'ai vu qu'il pestait et ricanait ainsi, je n'ai plus rien osé dire, et je me suis mis à ranger la chambre. Un moment après, il a ajouté d'un ton un peu radouci : « Tiens toujours la cage prête, je crois que les pierrots reviendront! » Làdessus il est allé vers la fenêtre, et je l'ai laissé le visage appuyé contre la persienne, regardant de tous ses yeux si la nichée ne rentre pas dans son trou.

Théodore et la belle Camille continuèrent à s'aimer ainsi à distance, inventant toujours quelque nouvelle ruse pour entretenir leur correspondance, et se voyant de loin au moins une fois par jour. Mme Signoret, navrée de cette constance, disait souvent à la tante Dorothée Le temps passe; Camille maigrit et se consume... Quand je pense que nous aurions pu la marier comme sa sœur!... Hélas! il était écrit qu'un Fauberton ferait aussi le malheur de ma fille!...

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-Ne croyez pas que Camille soit malheureuse! répondait vivement la tante Dorothée; elle a le cœur haut; l'espoir de se voir un jour dame et maîtresse à l'hôtel Fauberton lui donne la force d'attendre. Elle ne regrette pas les partis médiocres qui auraient pu se présenter, parce qu'elle est assurée d'avoir tôt ou tard une position brillante. Je sais bien que si Théodore venait à mourir avant son oncle, elle resterait vieille fille; mais croyez-vous que les demoiselles Chapusot et bien d'autres ne courraient pas volontiers cette chance? Allez! votre fille ne regrette pas ce qu'elle a fait : elle aime Théodore, elle est sûre de sa constance, et elle prend patience en songeant au jour où elle marchera la première parmi les dames de la ville d'O...

En effet, Camille supportait les tristesses, les ennuis du présent, parce qu'elle vivait dans l'avenir. Quand elle mettait, pour sortir le dimanche, sa pauvre robe de mérinos vert et sa capote de grosse paille, elle se disait : - Qu'importe? un jour j'aurai des robes de velours, des plumes, des dentelles; je me ferai habiller à Paris.

L'année suivante, Scipion Signoret eut le bonheur de marier sa troisième fille, la jolie Hélène. Elle épousa, comme sa sœur Juliette, un homme qui l'avait aimée en la voyant pour la première fois. C'était un employé des douanes, obligé de mener une vie peu sédentaire; une augmentation de grade l'appelait hors du département, et sa femme dut partir avec lui en sortant de l'église.

Vers la même époque, un autre mariage fit grand bruit dans la ville d'O...; le notaire, M° Beaumoulin, épousa l'aînée des demoiselles Chapusot. A cette occasion, les Signoret reçurent une lettre de faire part et durent rendre une visite aux nouveaux mariés. La famille alla en corps, moins Mme Signoret, qui prétexta une indisposition pour rester au logis; mais elle était remplacée par la tante Dorothée, qui ne haïssait point ces corvées-là. La vieille fille prévoyait que Théodore ne laisserait pas échapper une si belle occasion de rencontrer l'objet de son amour, et elle n'était pas fâchée qu'il eût cette satisfaction: il lui plaisait que l'héritier de l'oncle César troublât un peu la joie triomphante des Chapusot en leur laissant voir que son cœur était fidèle à la belle Camille, qu'elle avait toujours en perspective le plus beau parti de l'arrondissement, et peut-être de tout le département. C'était un dimanche; l'employé municipal avait endossé une redingote neuve en alpaga noir, et marchait fier comme un monarque à côté de la tante Dorothée, qui n'avait pas voulu prendre son bras. Camille suivait entre ses deux plus jeunes sœurs, deux enfans déjà belles, et qui, selon l'énergique expression du bonhomme Signoret, portaient une dot de cent mille francs sur leur visage.

La famille Chapusot attendait les visites, assise en demi-cercle au fond du salon, tapissé de jaune, qu'on n'ouvrait que les jours de cérémonie. La mariée, en robe de mousseline blanche et parée de tous ses cadeaux de noces, souriait les yeux baissés, et mettait à chaque instant en évidence sa longue main sèche où brillait l'anneau nuptial. L'heureux Beaumoulin, en costume officiel, habit noir, cravate blanche et jabot orné d'une épingle de perles fines, était assis près d'elle. Les trois demoiselles Chapusot, rangées aux côtés de leur mère, avaient une physionomie riante qui décelait les vives espérances qu'avait fait naître en elles le mariage tardif de leur aînée.

La tante Dorothée avait deviné juste; Théodore fut la première

personne qu'elle aperçut en arrivant. Il n'avait pas encore accepté le siége que lui offrait Mme Chapusot, et se tenait debout devant elle, son chapeau à la main. Lorsque la famille Signoret entra, la bonne dame lui dit en clignant l'œil: - Voilà un heureux hasard! — Oui, madame, et j'en rends grâces au ciel, répondit-il sans se déconcerter et en saluant le bonhomme Signoret, qui lui fit une petite inclination de tête sans le regarder.

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La tante Dorothée s'avança la première en faisant la révérence; tout le monde s'était levé pour lui rendre son salut; elle embrassa successivement les mariés, M. et Mme Chapusot, les trois demoiselles Chapusot, et une demi-douzaine de parentes qui se trouvaient là. Camille et ses jeunes sœurs donnèrent aussi l'accolade à toutes les dames et au nouveau marié : il y en eut pour un bon quart d'heure d'embrassades et de complimens. Ensuite on s'assit, toujours dans le même ordre, les demoiselles Signoret alignées d'un côté, les demoiselles Chapusot de l'autre : c'étaient comme trois fleurs brillant du plus doux éclat en face de trois hideux chardons. Ce contraste frappant fit soupirer Mme Chapusot et sourire le bonhomme Signoret, qui, pour entamer la conversation, ne trouva rien de mieux que de dire, en s'adressant à M. Chapusot: Eh! eh! monsieur le percepteur, nous en sommes maintenant au même point; il nous reste à chacun trois filles à marier.

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Rien ne presse, chez nous du moins, répliqua sèchement Mme Chapusot; il faut que j'aie le temps de me reconnaître avant d'écouter d'autres propositions : c'est un terrible bouleversement dans une maison qu'un mariage!

- Vraiment? je ne trouve pas cela! fit Scipion Signoret d'un air dégagé; j'ai établi deux de mes filles dans l'espace de dix-huit mois, et je vous assure qu'il n'y a pas eu chez nous le moindre embarras. Cela dépend de la façon dont on fait les choses, murmura Mme Chapusot.

Pas le moindre embarras, répéta Scipion Signoret. Lorsque Mme Brindorge s'est mariée, nous avons fait la noce chez mon gendre c'est très gai une noce à la campagne. Quant à Hélène, elle n'est pour ainsi dire pas rentrée à la maison: mon gendre l'inspecteur des douanes l'a emmenée aussitôt après la cérémonie.

Pauvre petite femme! murmura Mme Chapusot en levant les yeux au ciel; partir ainsi avec un homme qu'elle n'avait encore vu qu'à la mairie et à l'église!

Moi, j'en serais morte! dit Mme Beaumoulin.

- Je le crois bien! s'écrièrent à la fois, mais sur des diapasons différens, les demoiselles Chapusot.

Ces mariages bâclés sont les plus heureux, continua impertur

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