agréable. En vérité, je ne puis voir dans tout cela les preuves d'une habileté réelle. J'aime mieux y reconnaître les marques d'un esprit trop mobile peut-être, trop prompt à l'action et à la parole, porté plutôt par sa nature aux intempérances de la sociabilité qu'à la discrétion solitaire, mais toujours prêt en définitive, comme les gens d'honneur imprudens, à réparer leurs torts et à regretter d'avoir accepté sur parole des témoignages équivoques, ainsi que nous avons pu le voir récemment par les gazettes italiennes. M. About est arrivé maintenant à une période critique. En quelques années, il a fait parcourir une vaste carrière à son talent, et il lui a donné tout le développement dont il semblait susceptible. Une question reste douteuse il peut produire beaucoup encore sans doute, mais peut-il produire de meilleures choses que celles qu'il a déjà données? Il semble que les qualités qu'il a montrées aient atteint leur niveau le plus élevé. Voudra-t-il s'efforcer de monter encore, ou bien se condamnera-t-il au statu quo, qui, pour le romancier et l'artiste, est toujours une décadence? Le talent que nous connaissons contient-il encore des ressources ignorées, ou bien est-il capable d'un renouvellement inattendu et d'une métamorphose complète? Il a prouvé qu'il avait de l'esprit, du goût, de la vivacité, de la grâce, qu'il connaissait l'art de raconter. Montrera-t-il qu'il possède aussi les dons de la passion, de la rèverie, de l'émotion? Nous l'espérons pour lui, et sans doute un prochain avenir nous le dira. Nous l'engageons cependant à réfléchir sur cette vérité élémentaire, c'est que les chances favorables et défavorables se partagent à peu près également la vie, et qu'il n'a jamais tiré jusqu'à ce jour que de bons numéros à la loterie de l'existence. Nous voudrions de grand cœur que la suite de sa carrière fùt aussi heureuse que ses débuts, et c'est pourquoi nous nous sommes permis de lui donner cet avertissement. L'activité remuante, l'agitation, le travail rapide, lui ont bien réussi jusqu'à ce jour; mais il en a tiré, je crois, tout ce qu'il pouvait en attendre. Peut-être l'heure est-elle venue pour lui de voir quelles ressources on pourrait tirer de la lenteur et de la prudence, et de consentir à être oublié quelquefois. Il est agréable sans doute qu'on parle de vous chaque soir; qu'importe cependant, si les soirs durant lesquels on vous nomme étaient comptés d'avance, et s'ils étaient en nombre restreint? Il me semble qu'à partir de ce jour, M. About devrait employer tous ses efforts à faire parler de lui non le plus souvent, mais le plus longtemps possible. Mais qu'il suive ou non nos conseils, nous prenons congé de lui, en lui souhaitant tous les cailloux blancs du sort. ÉMILE MONTÉGut. RÉSURRECTION I. Quand tous près d'un mourant s'endorment dans l'erreur, Tout se taisait ainsi. Sur la campagne austère, Alors, comme à la lèvre une amère liqueur, Un regret douloureux monta jusqu'à mon cœur. Dans la rosée, à l'aube, adieu les longues courses II. C'était le même jour, non loin de Louvecienne, Seul dans ce lieu désert, une cognée en main, Qui sur leurs reins tendus portent de lourds fardeaux. Sa charge de ramée avait courbé son dos, Et ses grands bras velus pendaient à l'aventure. III. Je l'ai revu depuis, un soir près de sa porte, Qu'avait laissée à ce vieillard sa fille morte. Tout honteux de sa force, il cherchait par quels soins Il pourrait assouplir sa robuste nature Pour ne pas effrayer la blonde créature, Et se pliait docile à ses moindres besoins. TOME XXII. 64 Pauvre être un de ses pieds n'avait plus de soulier; Ses cheveux étaient d'or, comme on en voit aux anges Si bon. Ce n'était plus cet homme au regard louche, Mais un vieillard aimant et fier de son devoir. Il était même beau dans sa métamorphose, Tant ses traits attendris resplendissaient d'amour, Comme en un soir d'automne, au sommet d'une tour, IV. Le temps avait aussi changé l'aspect des bois; C'est le destin; il faut que tout se renouvelle, Et qu'on sente courir, ainsi qu'un jeune sang, Que la nature enfante au grand jour, sans mystère, L'homme seul, au milieu de l'éternelle fête, Vieillit, travaille et meurt. Pour lui, chaque printemps Est comme une menace ironique du temps, Et sous un poids plus lourd il sent fléchir sa tête; De jeunesse et d'amour, que la volage fée L'âge vient, ses cheveux blanchissent, et l'Envie Et lui refait au cœur comme une autre jeunesse ! ERNEST CHATONET. |